Extrait de viande - Définition

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Histoire

Il est couramment admis que l'extrait de viande alimentaire a été inventé par le baron Justus von Liebig, chimiste allemand du XIXe siècle qui, mu par le désir d'aider les personnes sous-alimentées, a conçu un extrait d'aliment servant de substitut à la viande que les pauvres ne pouvaient se payer. L'extrait de viande n'est cependant pas la création d'une seule personne mais découle d'un processus de recherches multiples et de publications scientifiques.

Prémices

La pratique de la cuisine a amené les chefs à faire réduire le bouillon de viande jusqu'à obtenir une matière sirupeuse qu'ils utilisent pour la préparation d'autres mets. Ce produit, nommé « gelée de chair » (gelatina carnium), est également utilisé en médecine au XVIIe siècle en cas de fièvre et d'affections respiratoires, selon des recettes différentes pour les pauvres et les riches.

Au XVIIIe siècle, Menon appelle cette réduction « glace de viande ». Vincent la Chapelle en donne une recette, à base d'un bouillon de tranches de veau et de jambon, et la définit : une fois la préparation passée, « vous la remettrez sur le feu, & la faites tarir jusqu'à ce qu'elle se réduise en caramel, qui veut dire glace ». Mais la Chapelle donne aussi en 1742 la recette d’un « Grand bouillon fait de tablettes, facile à transporter, et à conserver pendant un an et plus » dans un chapitre sur les bouillons médicinaux débutant par un avertissement : « Je ne donne pas les Boüillons medecinaux comme étant de ma compoſition ; mais ſeulement comme les ayant faits pluſieurs fois de l’ordonnance des plus ſçavans Medecins. » ce qui indique une pratique antérieure à 1742 du bouillon en tablette.

Portable soup et Meat-biscuit

Selon James Boswell :

« A page of my Journal is like a cake of portable soup. A little may be diffused into a considerable portion. »

Au XVIIIe siècle, dans le monde anglo-saxon, il existe effectivement des tablettes de soupe desséchée, dite en français « soupe portative » ou « bouillon concentré », la portable soup dont la célèbre cuisinière Hannah Glasse donne une recette en 1774 à base de viande de bœuf dans The Art of Cookery. Il s'agit d'une glace de viande mise à dessécher en pots.

Cette « soupe portative » aurait été inventée en 1756 par une commerçante londonienne, Mme Dubois. Elle travaillait tout au moins dans le profitable secteur d’affaire que constituait l’exportation de la portable soup ; avec le pharmacien William Cookworthy, elle aurait remporté un contrat de fabrication pour la Royal Navy qui cherchait une parade aux ravages du scorbut.

Le fait est que le Capitaine James Cook est muni de portable soup, de choucroute, de malt et de bière sur le HMS Resolution lors de son expédition en Antarctique et que le scorbut ne sévit pas. Mais tous les bateaux n'ont pas la chance de pouvoir en emporter ; le lieutenant-général Watkin Tench, par exemple, écrit expressément que ce produit n'était pas admis lors du voyage vers la Botany Bay en 1787.

Gail Borden, cimetière Woodlawn, New York.

Cette portable soup se fabrique également en Russie au XIXe siècle.

Les Américains produisent aussi des meat-biscuits selon le procédé de Gail Borden : le bouillon de bœuf, décanté, dégraissé et réduit en sirop est mélangé à de la farine de froment pour former une pâte que l'on découpe en forme de biscuits rectangulaires avant la cuisson au four.
Le meat-biscuit, utilisé par la marine mais aussi lors de voyages terrestres, se consomme soit sec, soit concassé dans de l'eau, additionnée de sel et d'autres condiments, que l'on fait bouillir pendant une demi-heure.

Chercheurs et industriels

Plusieurs chimistes et pharmaciens, dans le cadre de recherches, ont travaillé sur l'extrait de viande, notamment :

  • Claude-Joseph Geoffroy a publié en 1730 Examen Chymique des Viandes qu'on employe ordinairement dans les Bouillons ; par lequel on peut connoître la quantité d'Extrait qu'elles fournissent, & déterminer ce que chaque Bouillon doit contenir de suc nourrissant) ;
  • Antoine Parmentier, dans Recherches sur les végétaux nourrissants qui, dans les temps de disette, peuvent remplacer les aliments ordinaires. Avec de nouvelles observations sur la culture des pommes de terre, en 1781, montre combien il s'est intéressé à l'extrait de viande ; il indique qu'on en trouve plusieurs recettes dans les livres de pharmacie et d'économie, qu'elles peuvent se garder plusieurs années lorsqu'elles sont dans des boites de fer blanc ; il imagine d'y ajouter des plantes et des racines potagères pour en relever la saveur ; il donne l'adresse de la meilleure boutique pour s'en procurer (chez le « sieur Meusnier, Traiteur, à Paris, rue Saint-Denys, au Pavillon Royal ») ; il signale qu'il existe un « autre bouillon portatif que la Marine parait avoir adopté depuis quatre ou cinq ans, et qui a la propriété d'attirer l'humidité de l'air infiniment moins que toutes les tablettes de bouillon connues ; c'est la poudre qu'a composée M. Acher : elle réunit le double avantage d'être à très-bon compte, et de présenter le mélange d'un de nos meilleurs farineux avec un extrait de viandes et des aromates appropriés. »
  • Louis Jacques Thénard, dès avant 1809, identifie et nomme l'osmazôme, principe actif de la viande rouge, à propos duquel Jean Anthelme Brillat-Savarin affirme dans sa Physiologie du goût, ou méditations de gastronomie transcendante: « le plus grand service rendu par la chimie à la science alimentaire est la découverte, ou plutôt la précision de l'osmazôme. L'osmazôme est cette partie éminemment sapide des viandes, qui est soluble à l'eau froide, et qui se distingue de la partie extractive en ce que cette dernière n'est soluble que dans l'eau bouillante. C'est l'osmazôme qui fait le mérite des bons potages; c'est lui qui, en se caramélisant, forme le roux des viandes ; c'est par lui que se forme le rissolé des rôtis ; enfin, c'est de lui que sort le fumet de la venaison et du gibier. »
  • Charles Louis Cadet de Gassicourt, propose à partir de l'osmazôme, en 1809, une méthode de fabrication de tablettes de bouillon qu'« il est plus avantageux de mettre en poudre, quand on veut les porter en voyage ».
  • Joseph Louis Proust dans son Mémoire sur les Tablettes à bouillon (1821), citant d'ailleurs les recherches de Pierre Thouvenel, indique qu'il a effectué l'examen de tablettes de bouillon préparées à Buenos Aires et en Angleterre (qu'il compare à de la colle-forte), et expose ses propres résultats de fabrication d'extrait de bœuf.
  • Nicolas Appert, dans la 4e édition de Le livre de tous les ménages, ou l’art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales et végétales parue en 1831, expose comment il réalise ses tablettes de jus de viandes (canards et têtes de bœuf) et de légumes avec un autoclave et l'appareil évaporateur de Charles Derosne.

Lorsqu'en 1868, monsieur Poggiale fait la comparaison entre différents extraits de viande présents depuis plusieurs années dans le commerce, il se base sur ceux de Bellat, de Martin de Lignac, d'une firme australienne et de Liebig dont le produit a connu ensuite une grande célébrité.

Extractum carnis

Passage de la 32e lettre où sont cités Parmentier et Proust.

Justus Liebig a pris connaissance des travaux de Parmentier et Proust : il les cite dans la trente-deuxième de ses Nouvelles Lettres sur la chimie, parues en 1841. Comme eux, il analyse les substances qui composent la viande et en retire sa recette d'un extrait de viande qu'il rêve de voir produire à Buenos Aires, au Mexique, en Australie, pays où des milliers de bœufs sont abattus pour leur cuir et leur graisse mais dont la viande elle-même est jetée, faute d'avoir les moyens de conservation pour l'exportation ; cet extrait, dont il donne la recette, pourraient être importés dans les pays européens dont les populations se nourrissent de pommes de terre et où les médecins pourraient, en toutes circonstances, « prescrire aux malades un bouillon d'une qualité constante et d'une force voulue ». Il cite aussi les pratiques mercantiles qui consistent à vendre de la gélatine sous l'appellation tablettes de bouillon comme l'intérêt des recherches de François Magendie sur l'alimentation.

Près de vingt ans plus tard, l'ingénieur Georg Christian Giebert lui propose la création d'une usine en Uruguay. Liebieg et son élève Pettenkofer l'initient à la préparation, des expériences de production industrielle se déroulent entre 1850 et 1852 au laboratoire de la Pharmacie royale de Munich, sous la direction de Pettenkofer. La recette initiale va être modifiée : au départ, la viande finement hachée était portée à ébullition avec 8 ou 10 fois son poids d'eau et la solution, débarrassée de l'albumine coagulée pendant la cuisson et de la graisse, était réduite à consistance d'un sirop brun ; en usine, le bouillon est constitué en parties égales d'eau et de viande hachée (provenant d'un bétail de première qualité), puis passé et évaporé à feu nu dans une chaudière jusqu'à réduction au sixième de son volume avant d'être « amené à consistance d'extrait, à une température peu élevée, et dans le vide. L'extrait est conservé dans des pots en grès vernissé bouché avec soin avec une fermeture spéciale ».

Étiquette au dos du flacon.

Giebert installe ensuite son usine à Fray Bentos et obtient, après l'envoi d'une première cargaison en 1864, l'autorisation de Liebig quant au nom de la compagnie et du produit. Le protocole de travail est précis : la Liebig's Extract of Meat Company expédie l' extractum carnis Liebig au port d'Anvers où l'inspecteur Finck effectue des prélèvements qu'il envoie à Munich pour analyse par Liebig et Pettenkofer ; ceux-ci vérifient la qualité du produit (absence de graisse, de gélatine, de substance étrangère) et renvoie à Anvers l'autorisation de mise en vente en pot sous étiquetage portant leur signature. C'est la première fois qu'une garantie de cette sorte est attribuée à un produit industriel.

Liebig reprend aussi une idée, publiée en 1830 de Anselme Payen qui proposait d'utiliser les cadavres d'animaux car ceux-ci, ayant mangé des végétaux, ont stocké de grandes quantités de matières azotées). Le résidu des viandes, après le procédé d'extraction, est séché et broyé en une poudre appelée « farine fourragère de viande » et destinée à l'alimentation des animaux. Cette farine fourragère de viande comporte plus de protéines que tout autre produit, naturel ou industriel, donné aux bêtes et constitue une des premières farines animales.

L'usine de Fray Bantos ne suffit bientôt plus ; « des centaines de petites fabriques » sont créées en Allemagne et un dépôt de vente en gros de l'extrait est établi à Paris, rue Bergère.

La production s'accompagne d'une campagne publicitaire moderne qui force même le regard d'un autre Proust, avec affiches, calendriers et distribution de chromos, une forme d'imagerie populaire.

Au dos des chromos se trouvent des textes publicitaires tels que :

  • « De l'avis des médecins, les viandes grillées sont plus digestibles et par conséquent les plus nutritives. C'est parce qu'elles ont conservé tout leur suc, leur jus, en quelque sorte ce qui fait la valeur du Liebig très justement appelé : « Le meilleur de la viande ». » ;
  • « Absolument pure, la Graisse Liebig rancit moins vite, parce qu'exempte d'eau. Frire à la Graisse Liebig, c'est frire hygiéniquement. » ;
  • « C'est signé Liebig : c'est une garantie. Le Bouillon OXO est un produit Liebig. Une ou deux cuillerées à café OXO suffisent pour bonifier les mets, pour corser le goût des légumes fades, pour renforcer les sauces faibles. Avec OXO on obtient, sans viande, de savoureux potages et sauces. » ;
  • « Ne demandez pas simplement des Cubes, mais dites des Cubes OXO. Ils contiennent de I'Extrait Liebig. C'est pour cela qu'ils donnent un bouillon de viande de toute bonne qualité à meilleur compte. »

En 1899, la Liebig's Extract of Meat Company, face à la concurrence, a effectivement lancé la marque OXO, moins chère que l'extrait Liebig dont le cout avait été considéré comme trop élevé pour les petites gens, Anselme Payen ayant même établi en 1868 que « l'extrait Liebig coute plus cher que le bouillon ordinaire » !

Il existe évidemment des contrefaçons, voire des usurpations du nom. Les attendus d'un jugement du 24 décembre 1884 du tribunal de commerce de Bruxelles contre un certain Houtekiet prouvent que la société Liebig et ses héritiers ont toujours protesté lorsqu'ils savaient que l'on vendait un autre extrait de viande que le leur avec le nom de Liebig sur les étiquettes, prospectus, annonces, etc. (certains usurpateurs prétendant que le nom Liebig, et même le titre de baron, étaient tombés dans le domaine public) et qu'ils ont déféré aux tribunaux ceux qui fabriquaient ou vendaient de l'extrait de viande sous le nom d’extractum carnis Liebig, Liebig's extract of meat, extrait de viande de Liebig.

Concurrence

Réplique d'un flacon historique de Maggi.

D'autres firmes développent très légalement un produit semblable. De grandes marques émergent (Knorr en 1886, Maggi en 1887, Bovril en 1889), qui existent toujours au XXIe siècle et font partie de l'industrie agroalimentaire.

Dans le tome II de son Die menschlichen Nahrungs-und-Genussmittel paru à Berlin en 1893, le Dr J. König compare les quantités d'eau, sels, matières organiques, azote et matières solubles dans l'alcool à 80 % vol. des extraits de viande de Liebig à Fray Bentos, de Buschenthal à Montevideo, de Kemmerich à Santa-Elena, de Papilowsky et Bruhl à Posen et de l'extrait de mouton australien. Pour les extraits de viande solides, il cite aussi le Saladero Goncordia et le Cibils extractum carnis ; pour les liquides, le Cibil's hermanos, le Bouillon Maggi, le London Co's essence of mutton, le London Co's essence of chicken.

On fabrique donc aussi de l'extrait à partir de mouton ou de poulet, mais aussi de cheval. Le Docteur en médecine Gumprecht, conseiller de la cour du duc régnant de Saxe-Cobourg Gotha, résidant à Hambourg, avait signalé, le 14 mars 1855, avoir fait préparer de l'extrait de viande de cheval selon la méthode Liebig et avait attiré l'attention des pays européens sur l'utilité de cet extrait ; il notait que, malgré les réticences en matière d'hippophagie, ce serait utile pour les armées où la viande de bœuf manquait souvent, et aussi pour « l'humanité souffrante ». Quant à la quantité nécessaire dans les villes, il précisait : « Cette quantité requise peut facilement, et à des frais minimes, être obtenue à Paris. Dans cette grande capitale, il arrive journellement des accidents graves à un grand nombre de chevaux qui sont ensuite envoyés à la voirie ; on pourrait acheter à bas prix ces chevaux, et utiliser leur viande avec avantage ».

L'extrait de viande de cheval ne va pas être développé industriellement. Par contre, des extraits de bouillon de poisson et de bouillon végétal vont apparaître dans la gamme des bouillons en tablettes, cubes ou poudre qui sont utilisés partout dans le monde aux XXe et XXIe siècles.

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