Albert Scott Crossfield (2 octobre 1921 - 19 avril 2006), généralement connu sous le nom de Scott Crossfield, est un légendaire pilote d'essai américain. Il est plus particulièrement célèbre pour être le premier homme au monde à avoir franchi Mach 2 (voler à 2 fois la vitesse du son) et avoir participé au développement et à la mise au point du X-15, avion piloté le plus rapide à ce jour (Mach 6.72 soit 7297 km/h).
Albert Scott Crossfield | |
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Naissance | 2 octobre 1921 Berkeley () |
Décès | 19 avril 2006 comté de Gordon () |
Nationalité | American |
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Né à Berkeley, Crossfield a grandi en Californie, en Oregon et dans l'État du Washington. Il a servi dans l'US Navy comme pilote de chasse puis instructeur de vol pendant la Seconde Guerre mondiale. De 1946 à 1950, il a travaillé sur le Kirsten Wind Tunnel (une soufflerie) à l'Université de Washington tout en obtenant son baccalauréat (1949) et sa maîtrise (1950) en ingénierie aéronautique. En 1950, il rejoint, en tant que pilote de recherche aéronautique, le "National Advisory Committee for Aeronautics High-Speed Flight Station" (l'ancêtre de la NASA Dryden Flight Research Center) situé sur la base d'Edwards en Californie, précédemment appelée Muroc Field, anagramme de Corum, le nom de la riche famille californienne qui a fait don du terrain à l'US Air Force. Crossfield a choisi la Marine, car il pouvait commencer sa formation de pilote deux semaines plus tôt que la date proposée par l'Armée l'Air américaine (USAF).
En 1950, Crossfield veut donner un nouvel élan à sa carrière comme il le dit dans son ouvrage "X-15", il fait alors le point sur ses compétences et vise le métier de pilote d'essai, spécialisation dans laquelle l'aviateur aura son lot de sensations fortes, et où ses qualités d'ingénieur et de metteur au point seront un atout pour l'exploration aéronautique et spatiale. Crossfield expédie donc trois candidatures au NACA pour un poste de pilote d'essai, trois lettres auxquelles l'organisme d'état ne donnera pas suite... Il décide face aux refus successifs de "forcer le destin" et de se rendre directement dans la Silicon Valley pour rencontrer Laurence Clousing, alors chef-pilote détaché à la soufflerie d'Ames.
"Même si Clousing, l'un de nos meilleurs spécialistes, ne pouvait pas me donner un emploi, ses conseils seuls vaudraient le déplacement", positive-t-il dans ses réflexions (lire "X-15" aux éditions Arthaud).
Mais Clousing n'a rien d'autre à lui offrir qu'un entretien avec John Griffith qui occupe alors le poste de chef-pilote d'essai au centre d'Edwards AFB. Quelques heures après cette entrevue et un coup de téléphone, Crossfield rencontre le boss de la section du NACA à Edwards : Walt Williams. Après un long entretien et des échanges passionnés, Crossfield décroche une place de pilote d'essai en juin 1950. La grande aventure commence et l'Histoire est en marche.
Aux débuts le jeune californien ronge son frein, dernier pilote arrivé, il doit faire ses preuves face à "d'amicaux rivaux" aux noms prestigieux comme Chuck Yeager, Albert Boyd, Pete Everest. Alors, il se documente beaucoup et "bûche" avant qu'on lui donne sa première chance : un avion expérimental à piloter, seul à bord. Cela arrive au mois de décembre 1950 aux commandes d'un X-4 livré au NACA en février de la même année. Son instructeur n'étant pas disponible, il décide de poursuivre les tests prévus sur cette machine. Un vol de routine qui aurait pu cependant mal tourner. Peu avant l'atterrissage, il entreprend un looping (pour "épater la galerie") dont le sommet de la boucle culmine à 8 300 mètres d'altitude.
"Soudain, l'enfer se déchaîna. Un vacarme assourdissant qui rappelait le tir d'une mitrailleuse lourde remplissait le cockpit. Ma manœuvre avait interrompu le flot d'air régulier qu'aspiraient les deux réacteurs. Suffoqués, déjà hyper sensibles à cette altitude, les moteurs s'étaient insurgés. Après avoir tourné quelques instants de façon irrégulière, ils se turent complètement.", raconte-t-il.
Heureusement, au bout de quelques instants, l'un des moteurs redémarre et "Scotty" parvient à poser son avion sans le moindre souci sur la piste d'Edwards. Si l'incident aurait pu lui coûter sa carrière - la destruction d'un avion de plusieurs millions de dollars suite à une fantaisie -, de fins observateurs pouvaient noter là les traits qui caractérisaient ce futur grand pilote : sang-froid absolu, rapidité d'analyse, grande maîtrise et un brin d'audace.
Le travail de pilote d'essai était par certains côtés ingrats. Ces pionniers de l'âge du réacteur et du moteur-fusée poussaient leurs appareils à la limite et prenaient des risques insensés qui se soldaient régulièrement par une mort brutale. Très peu connaissaient la gloire - Chuck Yeager captivait toutes les attentions -, et des rivalités entre les diverses forces armées, constructeurs aéronautiques et administrations réduisaient le NACA au "simple rôle" de collecteur de données de vol et défricheur de terrain. Crossfield le savait : bien faire son travail ne suffisait pas si l'on souhaitait voire sa carrière décoller, accrocher un record ouvrait toutes les portes. La chance allait lui sourire à 32 ans.
Les appareils dont disposait alors le NACA pour mener ses études n'étaient pas à proprement parler du dernier cri, et des restrictions imposées par le Pentagone interdisaient aux pilotes de pousser leurs études au-delà de Mach 1.9. Un comble, puisque le rôle du NACA était justement d'explorer les domaines de vol encore inconnus afin de fournir les relevés et précieuses informations à l'ensemble de l'industrie aéronautique américaine dans le but de la faire progresser. Pire, les dernières réalisations des constructeurs (F-100, F-102, F-104, etc.) n'allaient pas tarder à dépasser en vitesse pure les appareils dont disposait le Centre ! Conscient du problème, la direction et Crossfield prirent la décision de faire lever la limitation de vitesse et ils y parvinrent.
Au petit matin du 20 novembre 1953, le Skyrocket faisait l'objet de toutes les attentions. Malgré un début de grippe "Scotty" supervisait le personnel qui s'affairait autour de son bolide. C'est que le Pentagone ne lui avait accordé qu'une seule et unique tentative pour franchir Mach 2, il fallait donc ne négliger aucun détail. Justement, au cours des semaines précédents cet essai, l'équipe avait engrangé des tas de petites astuces qui optimiseraient le potentiel de l'avion. Détail suprême, Crossfield demanda même à ce qu'on applique une couche de cire sur la totalité de l'avion et que l'on bouche les moindres aspérités parasites afin de garantir une glisse parfaite. Le Skyrocket était choyé comme une Formule 1 !
Malgré quelques incidents survenus le matin au cours de l'avitaillement en carburant, le responsable de la mission, Herman Ankenbruk donna son feu vert pour le vol au cours de la mi-journée. Le Skyrocket devait être largué depuis un B-29 Superfortress à une altitude d'environ 10 000 mètres. Une fois libéré de son berceau, la manœuvre consistait pour Crossfield à allumer son moteur-fusée et profiter des 3 minutes 20 secondes de poussée extraordinaire pour gagner l'altitude de 28 000 mètres selon un angle très précis. Épousant une trajectoire balistique, au sommet de la parabole il n'avait plus qu'à pousser sur le manche pour amener son avion en piqué. Profitant de la "pente", de l'énergie cinétique, du vent arrière (tout avait été calculé !), de la cellule allégée par ses réservoirs devenus vides, il n'avait plus qu'à se pincer pour voir s'il ne rêvait pas :
"L'aiguille de l'indicateur de vitesse dépassa Mach 2 pour s'immobiliser à 2.04. Nous avions réussi !", écrira-t-il.
Ainsi Scott Crossfield devint l'homme le plus rapide au monde pendant quelques mois et de nouvelles perspectives s'offraient à lui en plus de la notoriété. Il resta encore cinq années au NACA avant de donner sa démission pour entrer comme conseiller technique chez North American.
Au cours de ces années, il volera sur la quasi-totalité des avions expérimentaux testés à Edwards : X-1, XF-92A, X-4, X-5, Douglas D-558-I Skystreak et le Douglas D-558-II Skyrocket, l'avion du record.