Électricité de France - Définition

Source: Wikipédia sous licence CC-BY-SA 3.0.
La liste des auteurs de cet article est disponible ici.

Réorganisation du secteur, changement de statut (1996-2007)

À partir de 1996 débute une période d’intenses changements institutionnels pour le secteur électrique européen et pour EDF. Ces évolutions comportent de nombreuses facettes que l'on peut regrouper en quatre grandes familles d’évènements :

  • la déréglementation du secteur électrique dans l’Union européenne, sous l’impulsion de la Commission européenne ;
  • le changement de statut juridique d’EDF et son introduction en bourse ;
  • l’évolution du régime de financement des retraites de la branche des Industries électriques et gazières en France ;
  • le développement significatif des acquisitions internationales en et hors d’Europe.

La déréglementation du secteur électrique dans l'Union européenne

Le changement de régulation du secteur électrique, passant d’un régime historique de monopole régulé, privés ou publics, à un régime de concurrence à la production, découle d’un choix politique au niveau européen. Cette évolution s’inscrit dans le mouvement général de déréglementation connu dans les pays occidentaux depuis le milieu des années 1970 et qui a affecté jusqu’à nos jours de nombreux secteurs de services d’infrastructure : transport aérien, télécommunications, transport ferroviaire… Elle s’inscrit dans la perspective de construction d’un Marché intérieur de l’Union européenne dessinée par l’Acte unique européen de 1986.

En ce qui concerne le secteur électrique les textes initiateurs de la déréglementation sont les directives 96/92/CE du 19 décembre 1996 et 2003/54/CE du 26 juin 2003.

En France, les dispositions de ces directives autres que celles d’application directe sont transposées principalement par la Loi 2000-108 du 10 février 2000, la loi 2003-08 du 3 janvier 2003 et la Loi 2004-803 du 9 août 2004.

Les Directives établissent un certain nombre d’obligations pour les États membres dont les plus significatives sont la possibilité offerte aux consommateurs d’électricité de choisir leur fournisseur d’énergie. En France cette possibilité est offerte graduellement par seuil de consommation établi par décret en Conseil d’État.

  • Le 19 février 1999 : la directive 96/92 est applicable directement pour les sites consommant plus de 100 GWh/an.
  • Le 29 mai 2000 : le décret 2000-456 fixe le seuil d’éligibilité à 16 GWh/an (environ 30 % de la consommation est concernée sur 1 400 sites principalement industriels).
  • Le 5 février 2003 : le décret 2003-100 abaisse le seuil à 7 GWh/an (environ 37 % du marché représentant près de 3000 sites).
  • Le 23 juin 2004 : le décret 2004-597 établit que toute consommation non résidentielle est éligible à partir du 1er juillet 2004 (environ 70 % de la consommation est concernée sur environ 2,3 millions de sites).
  • Le 1er juillet 2007 : les directives européennes prévoient qu’au plus tard au 1° juillet 2007 tous les clients seront éligibles.

Le changement de forme juridique d’EDF et son introduction en bourse

La loi du 9 août 2004 transforme EDF EPIC (Établissement public à caractère industriel et commercial), en EDF Société anonyme. L’entreprise a introduit une partie de son capital en Bourse le 21 novembre 2005 au prix de 32 € par action et figure dans le CAC 40 depuis le 19 décembre 2005. Son capital est détenu à 87,3 % par l’État, à 10,8 % par le public (institutionnels et particuliers) et à 1,9 % par les salariés d’EDF .

Le changement du régime de financement des retraites de la branche des Industries Électriques et Gazières

Les salariés du secteur des IEG disposent d’un régime de retraite spécial, légal et obligatoire institué conjointement à la nationalisation du secteur électrique, par le décret du 22 juin 1946. Jusqu’aux évolutions récentes ce régime de retraite par répartition au sein de la branche assurait son propre financement du fait, notamment des taux de cotisation élevés en comparaison du secteur privé.

La réforme, posée par la loi du 9 août 2004, redoutablement complexe d’un point de vue technique, institue :

  • une Caisse nationale des industries électriques et gazières agissant comme caisse de retraite spéciale pour les salariés des IEG ;
  • un adossement aux régimes général et complémentaire d’assurance vieillesse moyennant compensation financière des effets démographiques particuliers aux entreprises des IEG ;
  • un régime de financement particulier pour les droits acquis à la date de la réforme et supplémentaires aux droits généraux et complémentaires. Leur financement ne figure plus dans les charges de personnel des entreprises concernées mais est prélevé directement sur les tarifs d’acheminement de l’électricité pour le compte de la CNIEG. Les tarifs sont immédiatement ajustés à la baisse pour tenir compte de ce transfert. L’opération est neutre pour les clients (en moins dans le tarif mais en plus sous la forme d’une taxe) mais l’entité responsable du financement n’est plus la même (l’entreprise avant, la CNIEG gestionnaire de cette taxe après) ;
  • un régime de provisionnement par les entreprises pour les droits supplémentaires futurs pour les activités réputées en concurrence, et couvert par la même taxe sur l’acheminement pour les activités en monopole.

Ces dispositions ne modifient pas directement l’économie générale des retraites du secteur, les montants à payer restent déterminés par les droits acquis, en revanche la répartition des responsabilités de financement en dernier ressort et donc les risques pour les parties sont profondément réorganisés.

Le financement de la part correspondant au régime général et complémentaire non spécifique est désormais garantie par les caisses nationales correspondantes (CNAV…), les droits acquis avant la réforme sont garanties par la CNIEG et financés par une taxe sur le tarif d’accès au réseau, et les droits postérieurs à la réforme doivent être garantis par les entreprises elles-mêmes, si nécessaire par la constitution d’actifs dédiés.

Le point clef de cette réforme n’est pas la sauvegarde du financement du régime de retraite des IEG qui n’a jamais été déficitaire (celle-ci ayant versé 206 M€ au régime général en 2006), mais la banalisation du régime de comptabilisation et de financement de ce régime.

Les arguments échangés autour de la réforme

De nombreux arguments ont été échangés souvent de façon confuse, mélangeant les différentes dimensions de la réforme.

Sur le changement de forme juridique et la mise en bourse

Les promoteurs de l’abandon du statut d’EPIC (Établissement public à caractère industriel et commercial) ont soutenu que ce statut donnait un avantage concurrentiel insupportable pour les concurrents. Deux types d’arguments ont été avancés :

  • l’absence de réciprocité possible pour les acquisitions, EDF pouvant acquérir des sociétés cotées alors que son capital n’était pas accessible ;
  • le financement par dette à un coût avantageux, les analystes financiers assimilant l’EPIC à l’État dans leur évaluation des risques, ce qui permet de bénéficier de taux d’emprunts réduits.

On notera toutefois que, ni l’abandon du statut d’EPIC, ni même la cotation d’une entreprise n’entraînent ipso facto l’accès libre à son contrôle. Aujourd’hui, EDF est une entreprise partiellement privée mais non Opéable.

Par ailleurs, le verrouillage du contrôle du capital n’est en rien une spécificité des entreprises publiques, de nombreuses sociétés privées, même cotées ne sont pas non plus opéables.

Enfin, si le financement des EPIC apparaît objectivement avantageux, cela ne découle pas d’un privilège juridique des entreprises, mais du processus d’analyse des risques par les sociétés de notation et les opérateurs financiers, qui assimilent l’EPIC et la puissance souveraine.

Cette assimilation permet aux EPIC de bénéficier d’une excellente notation, synonyme à la fois de taux réduits et d’accès à des sources de financement souples. Ces éléments n’entrent pas seuls en lignes de compte dans la fixation de la notation, la solvabilité de l’entreprise étant également importante, mais peuvent avoir un impact significatif.

Les promoteurs de la réforme ont également avancé l’importance des besoins de financement de l’entreprise. Ces besoins ne pouvant être couverts par les pouvoirs publics en tant qu’actionnaire, cela justifierait la mise en bourse donc le changement de statut. Deux arguments pratiques principaux ont été utilisés :

  • les besoins de financement stricto sensu liés au développement international et à la diversification, aux mêmes justifiés par le processus de déréglementation : l’entreprise devrait se diversifier pour faire face aux inévitables pertes de parts de marché sur son activité historique ;
  • les besoins de recomposition de la structure du passif liés au changement de comptabilisation des charges de retraites. Le passage à un régime provisionné et le règlement auprès des régimes généraux des compensations financières de l’adossement, risquait d’annuler et au-delà les capitaux propres de l’entreprise, l’expression faillite technique ou virtuelle a parfois été improprement utilisée, une augmentation de capital permettait de rétablir une structure de bilan acceptable.

Les critiques à l’inverse ont porté sur :

  • le bien fondé de ce développement, notamment à l’international, et donc du besoin de financement correspondant ;
  • l’absence d’obligation réglementaire de modifier la comptabilisation des charges futures de retraite. En revanche, la mise en bourse de l’entreprise supposerait un alignement des pratiques comptables sur celles des entreprises cotées, donc un provisionnement. Le besoin de restructuration du bilan apparaîtrait alors comme la conséquence et non la cause de la mise en bourse.

Enfin, les promoteurs de la réforme ont soutenu que le principe de spécialité imposé aux EPIC nuisait à la diversification et au développement de l’entreprise EDF, alors que ce développement était nécessaire dans un environnement concurrentiel.

Si le lien entre EPIC et principe de spécialité est juridiquement exact, la seule transformation en société anonyme suffisait à lever cette contrainte, la mise en bourse n’étant pas nécessaire. Depuis son changement de statut, EDF n’a pas connu de développements notables qui n’aient été accessibles sous le statut d’EPIC (international, énergies nouvelles…) Cela rend douteux l’argument du « carcan juridique » qu’aurait représenté le principe de spécialité.

Sur les retraites

L’évaluation et le principe même d’engagement « retraites » à fait l’objet d’âpres discussions et de valorisations nombreuses et variées. Le premier point à noter est que le régime des retraites des Industries Électriques et Gazières, dont EDF et Gaz de France constituent les principales entreprises, est un régime spécial, légal et obligatoire.

  • Spécial, non seulement parce que ses paramètres de calculs (durées de cotisations, éléments dits non contributifs, taux de cotisation…) lui sont spécifiques, mais également parce qu’il forme une caisse de financement séparée du régime général et des régimes complémentaires AGIRC/ARCO, les entreprises et les salariés du secteur assuraient seuls le financement de leur retraites sans recevoir de contribution des autres régimes. EDF a même ponctuellement contribué, comme d’autres régimes de retraite, à l’équilibre des régimes spéciaux structurellement déficitaires (SNCF, agriculteurs, commerçants, etc.).
  • Légal, en ce qu’il était institué par la Loi du 8 avril 1946 et le décret du 22 juin 1946 et non par des conventions entre partenaires sociaux. À ce titre, il ne pouvait être modifié que par voie légale.
  • Obligatoire, en ce qu’il s’impose aux acteurs sociaux du secteur et ne constitue pas un dispositif adaptable par contrat ou par convention.

Compte tenu de ces arguments, EDF et GDF n’ont jamais constitué de provisions dans leurs comptes. En revanche, figurait depuis le milieu des années 1990 à l’annexe de leur compte, un commentaire donnant l’estimation de la valeur actualisée des versements futurs de pensions. La principale discussion a porté sur la nécessité ou non de comptabiliser ces 'engagements' sous forme de provisions, et dans l’hypothèse d’une réponse positive d’en déterminer le périmètre et le montant. Sur ce dernier point, les chiffres les plus variés ont circulé, et ont été instrumentalisés dans les débats autour de la privatisation, souvent de façon confuse. Les chiffres exhibés se situaient dans des fourchettes allant d’une quinzaine de milliards d’euros (les versements d’adossement au régime général) à 80 milliards d’euros (l’actualisation sur très longue période de la totalité des retraites des agents d’EDF et de GDF). La technicité des calculs actuariels, notamment leur extrême sensibilité aux paramètres démographiques (taux de mortalité), financier (taux d’actualisation et horizon de calcul) se prêtant mal à des explications synthétiques, les débats n’ont souvent retenu que l’importance des montants en jeux.

Le montage finalement retenu consiste à adosser le financement aux régimes généraux et complémentaires, moyennant d’une part le paiement d’une soulte destinée à compenser les effets démographiques spécifiques (la pyramide des âges des agents des IEG et leur espérance de vie résiduelle est différente de celle des salariés couverts par les régimes généraux) et le paiement à l’avenir des cotisations sociales prévues par ces régimes. Ce dispositif considéré comme « libératoire » permet aux entreprises de ne pas provisionner la part des engagements correspondante aux régimes général et complémentaire. Il reste en revanche des droits supplémentaires correspondant aux bonifications du régime des IEG (taux de liquidation plus favorable, durée de cotisation plus courte, départs à l’âge de 55 ans pour les salariés cumulant un historique de carrière de plus de 50 % de service dit actif ou ayant été affectés à des tâches classées insalubres…). Ces droits ont reçu des traitements différents selon qu’ils sont considérés comme acquis à la date de la réforme ou qu’ils restent à constituer. Les premiers font l’objet d’un financement par une taxe sur l’acheminement de l’électricité. Les seconds selon qu’ils concernent les activités en concurrence ou en monopole, font l’objet d’un provisionnement ou d’un financement par le tarif.

Sur la protection maladie

Le régime spécifique de protection complémentaire maladie couvre 300 000 électriciens et gaziers. Un accord ratifié, en novembre 2004, par seulement deux syndicats est dans l’impasse, les trois autres syndicats s’y opposant. Là encore, les chiffres avancés, le plus souvent dans une extrême confusion technique, ont été et sont instrumentalisés par les différents commentateurs. Exprimés en termes de provision, c’est-à-dire de montants futurs cumulés, des chiffres variés ont été avancés (5,5 milliards d’euros, dont 4 milliards pour EDF).

Sur les finances et la rentabilité

La question de la rentabilité pour un monopole, qui plus est public, est une question complexe. Trop élevée elle est jugée comme la marque d’un abus de position dominante, trop faible elle peut être considérée comme la marque soit d’une inefficacité, souvent préjugée pour une entreprise publique, voire d’un subventionnement implicite par la puissance publique, soit de pratiques commerciales déloyales (vente à perte), par exemple par les concurrents proposant d’autres énergies.

Il n’y a pas de position « juste » a priori, et si on s’en réfère au mot de Marcel Boiteux, « dans un monopole, le résultat est l’expression d’une opinion sur la santé financière de l’entreprise ». On constate en effet que sur les soixante dernières années, cette question a été abordée pour EDF sous des rapports bien différents.

Jusqu’aux années 1970, prévaut une conception implicite de l’équilibre budgétaire. Le « bon » niveau de résultat d’une entreprise publique bénéficiant d’un monopole est légèrement positif. C’est en quelque sorte la preuve qu’il n’abuse pas de sa position dominante en restituant ses bénéfices à ses clients, en contribuant à la croissance de l’industrie…

Dans les années 1970 et 1980 interviennent deux phénomènes majeurs qui vont modifier cette conception. D’une part l’effort d’investissement lié au programme nucléaire et d’autre part l’accélération du rythme d’inflation qui passe au-dessus de 10 %/an.

EDF doit alors accroître son autofinancement, donc obtenir des hausses de tarifs significatives, dans une ambiance où les pouvoirs publics cherchent à peser sur les indices d’inflation. Il est donc primordial de ne pas présenter une situation financière trop florissante. Cette difficulté sera partiellement contournée en trois temps :

  • Une première vague de hausse des tarifs de l’électricité dès le milieu des années 1970 pour tenir compte de la hausse générale des prix de l’énergie. Celle-ci se répercute sur les coûts de production d’EDF qui exploite alors un parc de production comportant une part importante de centrales fioul. Cette hausse tarifaire est concentrée sur les gros clients, pour lesquels les coûts de production sont prédominants par rapport aux coûts de réseaux. Elle contribue au financement de la première vague de centrales nucléaires et compte tenu de la hausse de ses propres coûts de combustible EDF n’a pas de geste particulier à faire pour modifier ses affichages de résultat.
  • Une seconde vague de hausse au début des années 1980, avec le second choc pétrolier (révolution iranienne). EDF est alors dans une phase active de mise en service des premières générations de centrales. Elle devient elle-même moins sensible au coût du pétrole, mais ses besoins de financements restent élevés car de nombreuses centrales sont encore en construction. Elle retient alors des options comptables, notamment l’amortissement dégressif des centrales nucléaire et une durée de vie comptable prudente de trente ans, inférieure à la durée de vie technique probable des ouvrages, qui lui permettent d’accroître son autofinancement sans augmenter son bénéfice. Cela lui permet de limiter la tentation de baisses de tarifs autoritaires au nom de la lutte contre l’inflation.
  • Ce dispositif est enfin complété à la fin des années 1980 par un recours systématique à la constitution de provisions, permettant de maintenir un niveau très élevé d’autofinancement sans accroître les bénéfices et d’amorcer le désendettement de l’entreprise qui s’est accru significativement pendant la décennie quatre vingts. Ainsi, EDF constituera des provisions pour renouvellement pour les centrales hydrauliques, le réseau de transport et le réseau de distribution. Les deux premières sources d’autofinancement seront ultérieurement contestées par l’administration fiscale et la Cour des Comptes et joueront un rôle important dans la réforme financière de 1997.

À partir de la fin des années 1980 jusqu’à la fin des années 1990, la question du bénéfice émerge progressivement comme question en soi.

Les résultats technico-économiques et financiers d’EDF sont exceptionnels, l’entreprise se désendette de 15 à 20 MdF par an, ses tarifs baissent en terme réels de 1 à 2 %/an et la qualité de fourniture de l’électricité (mesurée par le temps de coupure moyen), jusque là médiocre, s’améliore considérablement.

Toutefois sa rentabilité reste très médiocre, elle connaît même des pertes importantes au début des années 1990 et ne paie pratiquement pas d’impôt sur les sociétés, en bénéficiant d’un report fiscal déficitaire très important.

La stratégie de financement par accroissement des charge calculée (amortissement et provisions) n’est plus adaptée à la situation, les pouvoirs publics souhaitent « leur part du gâteau » et demandent une meilleure rémunération de l’État, dans les contrats de plan successifs.

De plus, le contre choc pétrolier de la fin des années 1980 a largement entamé la compétitivité de l’électricité dans les usages concurrentiels, notamment vis-à-vis du gaz naturel, qui progresse fortement dans les usages thermiques comme le chauffage. EDF a besoin de baisser ses tarifs pour retrouver des parts de marché.

Il devient alors stratégiquement nécessaire et possible, compte tenu de la baisse très importante des investissements (de 60 MdF/an milieu des années 1980, à 30 MdF/an), de baisser les tarifs et d’accroître la rémunération de l’État. Mais cela n’est possible qu’en laissant apparaître un bénéfice plus substantiel qu’auparavant. Il est également vraisemblable que la perspective d’une déréglementation du secteur, ait poussé également à banaliser la situation financière de l’entreprise pour la rapprocher des standards politico-idéologiques du marché (une entreprise qui marche bien fait du bénéfice).

Progressivement avec en point d’orgue la réforme de 1997, EDF va « déshabiller » son compte de résultat pour atteindre simultanément ces trois objectifs. Les facteurs déterminants seront :

  • la baisse mécanique des charges financières découlant du désendettement et de la baisse des taux d’intérêts nominaux ;
  • la baisse mécanique des amortissements sur le parc nucléaire, liée au choix initial d’amortissement dégressif, complétée par un allongement de la durée de vie comptable des centrales ;
  • l’abandon des provisions pour renouvellement sur l’hydraulique et le réseau de transport avec réintégration des provisions déjà constituées pour apurer le passif fiscal de l’entreprise ;
  • dans les limites de la réglementation fiscale, le choix de modes d’amortissement permettant d’accroître le bénéfice imposable.

Simultanément EDF conclut avec l’État des contrats d’entreprise puis de groupe, qui prévoient l’affectation explicite du financement :

  • baisse forte des tarifs jusqu’en 2000 permettant à l’entreprise d’entrer dans la déréglementation avec des tarifs attractifs ;
  • constitution d’actifs dédiés pour le démantèlement des centrales nucléaires et le financement futur des retraites ;
  • à partir de 1998, une forte hausse des investissements internationaux est projetée.

Au début des années 2000, la question de la rentabilité est alors abordée selon les standards politico-idéologiques du moment :

  • l’entreprise entre progressivement dans un marché déréglementé, qui va dans un premier temps se traduire par une baisse importante des prix de l’électricité, mais sur des quantités très limitées. Ses tarifs de vente réglementés (hors marché) sont désormais parmi les plus bas en Europe ce qui lui permet d’éviter l’apparition de niches tarifaires, qui attireraient une concurrence d’opportunisme ;
  • elle a réalisé de très gros investissements à l’étranger, présentés comme des substituts aux pertes de part de marché supposées en Europe. Ceux-ci ont été conclus dans une ambiance générale d’euphorie boursière qui tire les prix vers le haut et, pour une large part dans des zones à risque monétaire (Brésil, Argentine). Leurs résultats très médiocres tirent la rentabilité vers le bas. La période 2001-2003 est la plus difficile du point de vue de la rentabilité, même si la solidité financière d’EDF n’est jamais mise en cause (sa notation ne se dégrade pas notablement) ;
  • la direction de l’entreprise et une partie de la classe politique souhaite accélérer la marche vers la privatisation et la mise en bourse. La faible proportion de fonds propres dans le bilan va alors être mise en avant pour justifier une augmentation de capital qui ne peut être faite que par mise en bourse. Celle-ci permettant en plus de faire pression sur le personnel pour justifier la réforme de son régime d’assurance retraite, qui ne rentre pas dans les standards d’appréciation des analystes financiers.

À aucun moment EDF n’a eu besoin « d’argent frais », contrairement aux arguments distillés par les promoteurs de la réforme, son autofinancement couvrant largement ses besoins d’investissement industriels limités. C’est bien un choix stratégique de régulation du secteur qui prédomine.

Face à ces choix, la question de la rentabilité est complexe. Elle ne doit être ni trop haute, car cela saperait l’argumentation en faveur de la mise sur le marché, ni trop basse car cela découragerait les investisseurs potentiels, et surtout, pour convaincre les analystes financiers, il faut nettoyer le bilan de tout ce qui ne rentre pas dans leur cadre d’analyse : investissements hasardeux à l’étranger, couverture par des actifs des éléments de passif nucléaire et sociaux, adossement au régime général pour les retraites, perspectives tarifaires plus douces, couverture des obligations d’achats de cogénération par un mécanisme tarifaire neutre pour EDF, etc.

La conduite de la réforme s’inscrit pleinement dans ce cadre et permet à EDF d’afficher à court terme une rentabilité retrouvée et des perspectives plus attractives pour les investisseurs.

Avec l’apurement des investissements au Brésil, en Argentine, la remontée spectaculaire des prix de l’électricité en Europe à partir de 2004 et surtout 2005, parachève le tableau. La rentabilité redevient bonne, et l’État en tant qu’actionnaire majoritaire y trouve son compte.

On est ainsi passé en soixante ans d’une vision de la rentabilité centrée sur la restitution du bénéfice aux usagers via des tarifs faibles et au personnel via des conditions salariales et péri-salariales avantageuses, fusse au prix d’une situation financière tendue (endettement), à une vision de la rentabilité centrée sur l’affectation des bénéfices prioritairement à l’actionnaire, fusse au détriment des intérêts des usagers et des salariés.

Les perspectives futures relèvent davantage de la spéculation, on peut néanmoins cerner quelques facteurs essentiels.

À court terme, l’option de l’actionnaire premier servi semble confirmée. Le contrat d’entreprise en cours, fixe comme seule limite que les hausses de tarif ne dépasseront pas l’inflation, l’usager ne bénéficiera donc pas de la productivité de l’entreprise, la pression sur le personnel reste forte avec la poursuite de la mise en cause des éléments avantageux de son statut, et la succession de plans d’économie. Enfin, dernier évènement en date la possible suppression des tarifs réglementés, permettrait de rendre obligatoire le basculement des usagers vers le marché déréglementé, alors que les prix y sont notablement plus élevés.

À plus long terme la question essentielle sera celle de la reprise des investissements en Europe, de la part qu’EDF y prendra et des impacts sur les prix.

Sur les dix dernières années, la plupart des électriciens ont cessé d’investir dans les moyens de production, le parc européen étant surdimensionné par rapport aux besoins, la demande ne croissant que lentement, et la perspective de déréglementation introduisant d’importantes incertitudes dans une industrie dont l’horizon de planification est au moins de vingt ans.

La forte hausse des prix connue depuis fin 2005 (le prix de gros a plus que doublé) rend de nouveau les investissements attractifs, et le suréquipement passé est oublié. De plus de nombreuses centrales vont arriver en fin de vie dans toute l’Europe, du nucléaire en France mais aussi du thermique classique dans la plupart des autres pays. Les projets recommencent à sortir des cartons.

Nul ne peut dire aujourd’hui si cette reprise de l’investissement va ou non peser sur les prix de l’électricité. C’est pourtant le premier facteur déterminant de la rentabilité d’EDF dans un marché déréglementé.

Le second facteur est l’importance des investissements qu’EDF entreprendra, car d’une façon générale l’investissement tire la rentabilité vers le bas dans les premières années.

Le troisième facteur plus institutionnel reste, le succès ou l’échec du processus de déréglementation. Même si ses promoteurs le réfutent, il est dans les esprits très lié à la hausse des prix, et les tentatives de la commission européenne pour supprimer toute trace des avantages tarifaires du monopole public, en prônant la suppression des tarifs réglementés, peuvent très bien échouer.

Surtout, si apparaissent des accidents ou des tensions dans la gestion en temps réel du système électrique comme aux États Unis, en Suisse, en Italie, ou plus récemment en Europe de l’Ouest. Qu’ils soient ou non liés à la déréglementation. Dans ce cas, la question de la rentabilité d’EDF deviendra seconde par rapport à celle de la reconstitution d’une nouvelle régulation.

D’un autre côté, un scénario du Tout Marché, avec éventuellement des cycles de prix à la hausse et à la baisse reste tout à fait plausible. Dans ce cas, EDF bénéficie d’atouts liés à sa taille et la spécialisation de son parc existant à faibles coûts, au moins pour la décennie à venir.

Le quatrième facteur à considérer est le poids qui pèsera sur le devenir de la filière nucléaire : la durée de vie des centrales, la possibilité ou non d’en construire de nouvelles, les exigences sur le démantèlement des plus anciennes. C’est manifestement le plus gros risque qui pèse sur la rentabilité à moyen terme d’EDF.

Enfin cinquième et dernier facteur, le comportement du personnel d’EDF, actuellement sous pression pour accepter la banalisation de son statut. Comme dans toute entreprise, il participe, par ses compétences individuelles et collectives, au succès économique et en dernier ressort financier. Il est difficile de prévoir ce que sera son comportement dans la durée, au-delà des seuls aspects conflictuels (grève…) mais aussi et surtout en termes de turn over et d’implication. S’il est certain que la « mystique » du service public a permis une réponse rapide aux situations de crise comme la tempête de 1999, il est douteux que le personnel conserve le même enthousiasme dans la durée.

Les prises de position des collectivités locales

Pour les collectivités locales, le changement de statut d’EDF est indifférent au regard des missions de service public qui lui sont confiées pour la distribution d’électricité. Il importe cependant que soient respectés les obligations contractées dans les cahiers des charges des contrats de concessions. Parallèlement à ces enjeux de service public, en général, les élus locaux étaient contre le changement du statut de l’entreprise publique et l’ont exprimé très fortement. Ils craignent, en particulier ceux des communes rurales, et peut-être avec raison, qu’après la disparition du bureau de poste et de l’école, survienne celle de l’agence EDF/GDF, et développent, en résumé, l’argumentaire suivant :

  • l’électricité est un besoin vital, non stockable qui ne doit pas être géré selon un principe de marché ;
  • EDF et Gaz de France sont issus du Conseil national de la Résistance et ont rempli avec compétence leur mission de service public et d’aménagement du territoire ;
  • de nombreux exemples existent, à l’instar de la Californie, où les entreprises privées de production et de distribution d’électricité ne sont pas la meilleure solution, et connaissent de graves échecs quand ce ne sont pas des scandales financiers et des faillites ;
  • ceux de gauche, estiment en plus que la logique de marché ne peut que systématiquement entraîner des hausses des coûts et des prix de vente.

Ils s’interrogent aussi sur le maintien du principe de la péréquation tarifaire (tarif unique sur l’ensemble du territoire et égalité des usagers), conséquence de la mission de service public, car à partir du moment où l’électricité devient une marchandise, elle est soumise à la règle de la concurrence et de prise en compte des coûts réels sur chaque segment de clientèle ou de territoire. Les zones rurales, peu peuplées et décentrées, risquent d’être les grandes perdantes.

De plus, ils s’interrogent sur la finalité réelle du gouvernement dans cette affaire, et sur la volonté stratégique de partenaires privés dans le capital d’EDF, alors que de lourdes menaces (question des retraites, démantèlement des centrales nucléaires) grèvent les bilans réels de l’entreprise.

Sur les nouvelles relations entre actionnaires et salariés et clients

Les syndicat majoritaire chez EDF a déploré que la pression des actionnaires nuise à la relation avec les clients. Fin 2006, Colette Neuville, présidente de l’ADAM, l’Association de défense des actionnaires minoritaires, s’est cependant associée avec l’association EDF Actionnariat Salarié pour dénoncer par écrit auprès des députés et du gouvernement les méfaits du projet de loi sur l’énergie.

Dans un entretien au magazine économique l’Expansion, elle estime qu’il faut « arrêter de faire croire que l’énergie est une denrée peu chère et inépuisable », qui peut être « subventionnée à pertes ».[réf. souhaitée]

Page générée en 0.230 seconde(s) - site hébergé chez Contabo
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL sous le numéro de dossier 1037632
A propos - Informations légales
Version anglaise | Version allemande | Version espagnole | Version portugaise