En mathématiques et plus précisément en algèbre, la théorie de Galois est l'étude des extensions de corps commutatifs, par le biais d'une correspondance avec des groupes de transformations sur ces extensions, les groupes de Galois. Cette méthode féconde, qui constitue l'exemple historique, a essaimé dans bien d'autres branches des mathématiques, avec par exemple la théorie de Galois différentielle, ou la théorie de Galois des revêtements.
Cette théorie est née de l'étude par Évariste Galois des équations algébriques. L'analyse de permutations des racines permet d'expliciter une condition nécessaire et suffisante de résolubilité par radicaux. Ce résultat est connu sous le nom de théorème d'Abel-Ruffini.
Les outils essentiels de la théorie sont les extensions de corps et les groupes de Galois.
Les applications sont très variées. Elles s'étendent de la résolution de vieilles conjectures comme la détermination des polygones constructibles à la règle et au compas démontrée par le théorème de Gauss-Wantzel à la géométrie algébrique à travers, par exemple, le théorème des zéros de Hilbert.
La théorie de Galois voit ses origines dans l'étude des équations algébriques. Elle se ramène à l'analyse des équations polynomiales. Une approche par des changements de variables et des substitutions a permis à des mathématiciens comme Al-Khwarizmi , Tartaglia , Cardano ou Ferrari de résoudre tous les cas jusqu'au degré quatre. Cette approche ne permet pas d'aller plus loin et deux siècles seront nécessaires pour apporter de nouvelles idées.
Paragraphe détaillé : Histoire des polynômes cyclotomiques
Gauss utilise les polynômes cyclotomiques pour apporter une contribution à un problème ouvert depuis l'antiquité: celui de la construction à la règle et au compas de polygones réguliers. Il construit en particulier l'heptadécagone, polygone régulier à 17 côtés. Son approche, typiquement galoisienne bien avant la découverte de la théorie, lui vaut le surnom de prince des mathématiciens.
Son travail est complété par Wantzel , qui donne une condition nécessaire et suffisante de constructibilité des polygones réguliers et démontre l'impossibilité de la trisection de l'angle et de la duplication du cube.
Paragraphe détaillé : Histoire du théorème d'Abel-Ruffini
Dans le cas général, l'équation quintique n'admet pas de solution par radicaux. C'est la raison pour laquelle une démarche à l'aide de substitutions et changements de variables devient stérile. Lagrange et Vandermonde utilisent la notion de permutation à la fin du XVIIIe siècle et pressentent l'importance de cet outil dans le cadre de l'équation polynomiale.
Ruffini est le premier à prévoir l'impossibilité de la solution générale et que la compréhension du phénomène réside dans l'étude des permutations des racines. Sa démonstration reste néanmoins peu rigoureuse et partielle. Le mathématicien norvégien Abel publie une démonstration en 1824 qui finit par convaincre la communauté scientifique. Elle ne propose pas à l'époque de condition nécessaire et suffisante de résolubilité.
En étudiant le problème de l'équation algébrique, Galois met en évidence les premiers éléments de la théorie qui porte maintenant son nom. Ses écrits sont perdus ou tombent dans l'oubli. Un mémoire est finalement retrouvé par Liouville qui le présente à l'Académie des sciences en 1843. Les travaux de Galois accèdent alors in extremis à la postérité.
Galois, pour la première fois dans l'histoire des mathématiques, met en évidence une structure abstraite qu'il appelle groupe. À la différence de ses prédécesseurs, il n'étudie pas une incarnation particulière comme les permutations de Lagrange ou les groupes cycliques de Gauss, mais une structure générale définie par un ensemble et une loi.
Cette démarche, particulièrement novatrice, est à l'origine de l'algèbre moderne. Liouville en parle dans les termes suivants : « Cette méthode, vraiment digne de l'attention des géomètres, suffirait seule pour assurer à notre compatriote un rang dans le petit nombre des savants qui ont mérité le titre d'inventeur. »
L'apport majeur de Galois, c'est-à-dire l'utilisation d'une structure algébrique comme outil fondamental, est rapidement compris par la communauté mathématique. Cauchy publie vingt-cinq articles sur les groupes dont un sur son célèbre théorème. Cayley donne la première définition abstraite d'un groupe. Enfin, Jordan diffuse largement les idées de Galois. Son livre de 1870 présente les travaux de Galois comme une théorie générale sur des groupes, dont le théorème sur la résolution des équations n'est qu'une application. En France, la théorie de Galois est identifiée à celle des groupes à cette époque.
D'autres structures sont mises en évidence, particulièrement en Allemagne. Indépendamment des travaux de Galois, Kummer étudie des anneaux et découvre l'ancêtre de la notion d'idéal. Kronecker et Dedekind développent les prémisses de la théorie des anneaux et des corps. Kronecker établit le pont entre les écoles française et allemande. Il donne la définition moderne de groupe de Galois à partir d'automorphismes de corps.
À la fin du XIXe siècle, Weber réalise une synthèse des différents travaux. La théorie de Galois est alors pour la première fois identifiée avec celle des corps commutatifs.
Un nouvel axe d'analyse enrichit la théorie de Galois. En 1872 Klein se fixe comme objectif de classifier les différentes géométries de l'époque. Il dégage, dans son célèbre programme d'Erlangen, le principe général qu'une géométrie est définie par un espace et un groupe opérant sur cet espace, appelé groupe des isométries. Un pont est ainsi établi entre la théorie des groupes et la géométrie. Ces premiers groupes correspondent à des groupes de Lie et n'appartiennent pas directement à ceux de la théorie de Galois.
En 1877 Klein remarque que le groupe des isométries laissant invariant l'icosaèdre est isomorphe au groupe de Galois d'une équation quintique. La théorie de Galois s'étend à la géométrie algébrique. Les groupes de Galois prennent alors la forme de revêtements aussi appelés revêtement de Galois. David Hilbert étudie les corps de nombres quadratiques et apporte une contribution majeure à la théorie en démontrant son célèbre théorème des zéros. Ce théorème possède aussi une interprétation géométrique sur les variétés algébriques. La théorie est maintenant enrichie d'une nouvelle branche: la théorie de Galois géométrique. Elle s'avère particulièrement féconde.
Les travaux de Hilbert ouvrent d'autres branches de la théorie de Galois. Le théorème des zéros permet l'étude des premiers groupes de Galois d'ordre infini. Son théorème d'irréductibilité ouvre la problématique inverse. Elle s'énonce de la manière suivante : si G est un groupe alors est-il le groupe de Galois d'une extension?
Enfin les travaux de Picard et Vessiot ouvrent une autre voie pour l'étude des groupes de Galois d'ordre infini, la théorie de Galois différentielle.
Les travaux de Hilbert ont ouvert l'étude des cas où le groupe de Galois est d'ordre infini et commutatif. Ce vaste sujet prend le nom de théorie des corps de classes. Elle est maintenant achevée et est souvent considérée comme un des plus beaux succès des mathématiques du siècle.
La formalisation définitive de la théorie de Galois est donnée par Artin. L'adjonction de l'algèbre linéaire permet une exposition plus claire et concise. La théorie utilise maintenant toutes les grandes structures de l'algèbre, les groupes, les anneaux, les corps et les espaces vectoriels. Elle dispose maintenant de ramifications importantes en géométrie algébrique.
Elle est la base d'une quantité majeure des grandes réalisations mathématiques du XXe siècle. L'alliance de la géométrie et de l'algèbre est presque systématiquement utilisée. On peut citer par exemple les travaux des mathématiciens Jean-Pierre Serre (Médaille Fields 1954) et Grothendieck (Médaille Fields 1966) avec une refonte de la géométrie algébrique, Faltings (Médaille Fields 1986) pour ses travaux sur les modules de Galois démontrant le théorème de Mordell ou Laurent Lafforgue (Médaille Fields 2002) sur le Programme de Langlands, une généralisation de la théorie des corps de classes.