Les villas de la Ville d'Hiver d'Arcachon se rattachent à l'architecture pittoresque. Elles sont, avec leur débauche d'éléments architecturaux empruntés à différents styles, le souvenir d'une opération immobilière menée au début des années 1860 par une poignée d’hommes d’affaires menés par les banquiers Émile et Isaac Pereire.
Haut-lieu de villégiature, la Ville d'Hiver d'Arcachon évoque les riches heures mondaines du passé à travers une série d'architectures qui s'inspirent des styles néoclassique, néo-gothique, du chalet suisse, de la maison coloniale ou de l'architecture "mauresque", comme on disait à l'époque.
Les différentes villas intègrent typiquement des éléments architecturaux tels que toiture à grand débord selon la tradition du chalet, façade en brique, bow-window, belvédère, tourelle, avant-corps, véranda, balcon, en une asymétrie marquant la mode pittoresque apparue au dix huitième siècle et qui s'est développée au dix neuvième siècle.
La villa arcachonnaise, souvent plongée dans la verdure, emprunte ainsi son style hybride à de multiples époques, de multiples régions de la planète. L'utilisation intensive de bois découpés pour les fermes, les lambrequins et les balcons est favorisée par la mécanisation des fabriques de la région ; certains sont si finement découpés qu'on les compare à des architectures de papier.
Les noms des maisons (La Joconde, Figaro, Fantaisie, Le Moulin, Nitouche, ou Madeleine, qui a accueilli Gustave Eiffel) marquent leur époque.
La Ville d’Hiver, avec ses extravagantes villas, est pratiquement construite d’un seul jet dans les années 1860, selon un plan d’urbanisme soigneusement préétabli. Elle doit son existence à l’opportune association d’un banquier avisé et du bacille de Koch.
Quand cette véritable ville nouvelle sort de terre, Arcachon est déjà une station balnéaire et de cure huppée. La bourgeoisie de la IIIe République est saisie d'un véritable engouement pour les bains de mer revigorants, et Arcachon devient une station de cure très prisée. Les riches négociants bordelais y ont pignon sur plage et les trains qui, depuis le rachat de la ligne Bordeaux – La Teste par la Compagnie du Midi, poussent désormais jusqu’à Arcachon même, font le plein tout l’été.
Or, les propriétaires de cette compagnie de chemin de fer, les frères Émile et Isaac Pereire, qui viennent de réussir à Paris la superbe opération immobilière du Parc Monceau, s’intéressent beaucoup à la région où leur famille est fixée depuis un siècle, et sont propriétaires de milliers d’hectares de pins.
Émile, « celui qui a les idées », se demande comment rentabiliser son petit train douze mois sur douze et, pourquoi pas, monter du même coup une nouvelle opération immobilière. Il a un coup de génie. La pénicilline, découverte par Alexander Fleming, ne sera introduite pour des thérapies qu'à partir de 1941 ou 1943, et la tuberculose, que l’on appelle encore la phtisie, fait à l’époque des ravages. On essaie de mettre les malades dans les meilleures conditions de résistance possible. Une seule prescription : bonne nourriture et, surtout, bon air. D’où la floraison de sanatoriums en montagne et sur la Côte d’Azur. Il n’y en a pas sur la côte atlantique, considérée comme trop venteuse.
Mais le corps médical arcachonnais a depuis longtemps remarqué que les marins et les résiniers, malgré des conditions de vie et d’hygiène déplorables, ne contractent jamais la maladie. Le médecin Pereyra, cousin des banquiers, note également qu’en traversant la forêt de pins, les vents marins perdent de leur agressivité et que ce climat océanique atténué serait parfait pour les tuberculeux.
La ville d’été accueille déjà des malades, s'adonnant à des bains de mer et aux ensevelissements sous le sable réputés curatifs. Émile va bientôt acheter les hauteurs d’Arcachon et les lotir. Ce sera la Ville d’Hiver, sorte de gigantesque sanatorium ouvert où les malades pourront séjourner avec leur famille, leurs domestiques, dans des maisons particulières achetées ou louées meublées. La Ville d'Hiver est, dès le départ, conçue comme une petite Suisse pour attirer les tuberculeux : la dune correspond à la montagne, les pins, ce sont les sapins, et les maisons sont conçues comme des chalets. Les villas sortent de terre comme des champignons. Toutes sont d’apparence différente mais en réalité construites pratiquement sur le même plan, à partir d’éléments préfabriqués. La villa Marie-Adèle possède ainsi des cheminées escamotables pour chauffer les malades, la villa Marcelle-Marie est quant à elle une « maison courant d’air » pour faire entrer l’air balsamique des pins censé guérir les tuberculeux.
Paul Régnauld (1827-1879), neveu d'Émile Pereire et polytechnicien, dirige les travaux sur le terrain. Dans un même temps, l’urbanisme va bon train. Un parc à l’anglaise est planté. Rues et allées sont dessinées en courbe, de telle sorte qu’il n’y ait jamais nulle part, de courants d’air. Enfin, une formidable opération de promotion lance la station en présence de l’empereur Napoléon III, de sa femme l’impératrice Eugénie et du Prince impérial, leur fils : un triomphe.
Du monde entier affluent les curistes. La renommée de la Ville d’Hiver devient telle que bientôt, les gens bien-portants s’y installent aussi. Les hôtels s’ajoutent aux villas, et les riches visiteurs viennent se divertir au Casino Mauresque. La ville attire les têtes couronnées de toute l’Europe, jusqu'à l'impératrice d’Autriche Sissi qui séjourne au Grand Hôtel lors de sa venue pour tenter de soulager son désespoir après la mort de son fils Rodolphe.
Pereire revend ses lots. Son idée fait florès jusqu’à la Grande dépression des années 1930. Alors, la clientèle habituelle, désargentée, déserte les fastes de la ville, sonnant le glas de l’âge d’or de la cité. La Ville d'hiver péréclite alors jusqu'aux années 1970, échappant de peu à l'insalubrité. Elle connaît un nouveau dynamisme et regain sous l'effet de l'action de quelques passionnés.
L'architecture balnéaire du 19ème siècle - en art, ce siècle, s'arrête en 1914 - appartient au mouvement "pittoresque", c'est-à-dire : "susceptible de fournir un sujet de tableau, de charmer les yeux et l'esprit". Voila qui décrit parfaitement cette architecture. Elle n'est pas uniquement balnéaire, on la retrouve également dans les villes d'eau, en périphérie des villes dans les résidences secondaires, même si ce terme n'était évidemment pas utilisé à l'époque.
Pour la comprendre, il faut regarder l'ensemble constitué par la villa au milieu du jardin comme une mise en scène, un merveilleux décor de théâtre conçu pour surprendre le visiteur, l'enchanter. Cette mise en scène est le fruit de plusieurs facteurs :
- Le développement des chemins de fer et de l'industrie entraîne celui d'une grande bourgeoisie très cultivée qui prend progressivement le pouvoir en remplacement de la noblesse. Cette bourgeoisie affirme sa culture par la liberté de son éclectisme, le recours aux matériaux modernes, mais souvent un certain conservatisme des formes architecturales lié au désir de se rapprocher de la noblesse. Une compétition amicale oppose les voisins, chaque villa reflétant le statut social et la culture de son propriétaire. Cette émulation entraine une remarquable collaboration entre les architectes et leurs clients et produit une recherche architecturale facilitée par l'apparition de nombreuse revues spécialisées. Les volumes se juxtaposent avec des décrochements de toits. Une abondante décoration d'épis de faîtage, lambrequins, dentelures, céramiques est soulignée par la multiplication des matériaux et le contraste des couleurs.
- L'intérêt pour l'Histoire de France s'accompagne du développement des fouilles archéologiques, de l'Histoire de l'art et d'une redécouverte du Moyen Age. La réhabilitation du Gothique, considéré auparavant comme barbare, va se traduire par des tourelles, des charpentes apparentes, des pans de bois, des vitraux et de nombreuses formes médiévales.
- L'évolution urbaine de la société et le développement du Romantisme provoquent un désir de Nature qui s'exprime par l'utilisation des matériaux locaux traditionnels, l'implantation de la villa au milieu du jardin, le développement d'espaces intermédiaires entre la maison et le jardin comme les bow-windows, les belvédères, les vérandas, les balcons et les galeries. Les plantes grimpantes sur les façades et la création de jardins anglais avec leurs gloriettes, leurs grottes, leurs bassins enjambés par de petits ponts répondent au même désir.
- Les ouvertures sur l'extérieur correspondent aussi à un souci d'hygiène et de "bien-être" en faisant entrer dans la villa la lumière et l'air pur. L'hygiène sera un souci fondamental de la deuxième moitié du 19ème siècle et particulièrement à Arcachon où la Municipalité et les médecins prenaient des mesures draconiennes pour éviter la contagion de la tuberculose.
- La mécanisation et la fabrication industrielle vont abaisser les coûts de construction, rendant la construction de villas accessible aux nouvelles classes sociales. Les progrès techniques considérables sur la fabrication de matériaux comme le fer ou le verre vont se traduire aussi par des formes nouvelles comme les marquises, par l'architecture métallique présente à Arcachon dans l'observatoire Sainte Cécile, mais aussi dans les charpentes métalliques de villas ou l'ossature des bow-windows. Le ciment armé apparaît, surtout sous forme de garde-corps imitant les branches d'un arbre. Le confort moderne se développe : chauffage central, salles de bains avec eau chaude, éclairage au gaz . . .
Cette architecture aux apparences traditionnelles se voulait résolument moderne et novatrice.
La Ville d’Hiver a été classée en 1985 à l’inventaire des monuments historiques.