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La controverse sur la paternité de la relativité remet en cause l'attribution de la relativité restreinte, de la relativité générale et de l'équation E=mc2 à Albert Einstein. Cette dernière est généralement admise, ce qui ne signifie pas que les savants qui ont travaillé sur ces sujets et ont apporté des avancées substantielles à la même époque soient pour autant ignorés dans les présentations sur ces théories. Comprendre l'importance du rôle de chacun est une question délicate d'histoire des sciences et qui fait souvent l'objet de débats. Dans le cas de la relativité, ils ont pris une tournure parfois très polémique et très médiatique au point de s'éloigner des débats scientifiques. Cette controverse n'est qu'un élément partiel de l'histoire plus large de la relativité.
L'approche de l'année 2005, sacrée année de la physique car année du centenaire de la relativité restreinte, a été l'occasion pour de nombreux historiens des sciences de rappeler le travail de prédécesseurs : Hendrik Antoon Lorentz et Henri Poincaré en ce qui concerne la relativité restreinte, ainsi que David Hilbert dans le domaine de la relativité générale (plus rarement, le travail de Poincaré est rapproché de la relativité générale).
Dans certains cas, les thèses allèrent jusqu'à l'accusation de plagiat contre Einstein, et de cabale des chercheurs allemands dans le cas de Jules Leveugle. Dans la Francophonie, la campagne a surtout été localisée en France (il s'agissait de retirer les lauriers à Einstein pour les attribuer à Poincaré), et plus spécifiquement on trouve plusieurs polytechniciens impliqués (Poincaré étant lui-même polytechnicien).
Les protagonistes de la découverte de la relativité restreinte (Lorentz, Poincaré, Einstein) ont parfois eu l'occasion d'exprimer leur point de vue (directement ou indirectement) à propos de la paternité de cette théorie. Ces témoignages de première main (pas nécessairement objectifs) peuvent toutefois mettre en perspective les exégèses actuelles.
« Je sentis la nécessité d'une théorie plus générale, que j'ai tenté de développer plus tard [1904] mais qui a en fait été formulée par vous (et, dans une moindre mesure, Poincaré). »
« de façon surprenante, il se révéla en fait, que pour surmonter la difficulté… il est seulement nécessaire d’appréhender le concept de temps avec suffisamment d’acuité. Il suffisait de s’apercevoir qu’on peut tout simplement définir comme temps une grandeur auxiliaire introduite par H. A. Lorentz, qu’il appelait temps local. Si l’on s’en tient strictement à cette nouvelle définition du temps, alors les équations fondamentales de la théorie de Lorentz sont en accord avec le principe de relativité, à condition seulement de remplacer les équations de transformation données plus haut par d’autres, qui soient en accord avec le nouveau concept de temps. L’hypothèse de H. A. Lorentz et Fitzgerald apparaît alors comme une conséquence impérative de la théorie. »
« Je n’ai pas établi le principe de relativité comme rigoureusement et universellement vrai. Poincaré, au contraire a obtenu une invariance parfaite des équations de l’électrodynamique, et il a formulé le postulat de relativité, terme qu’il a été le premier à employer. »
« Il est hors de doute que si l’on jette un coup d’œil rétrospectif sur son évolution, la théorie de la relativité était mûre en 1905. Lorentz avait déjà découvert, par l’analyse des équations de Maxwell, la transformation qui porte son nom. De son côté, H. Poincaré a pénétré plus profondément dans la nature de ces relations. Quant à moi, je n’avais connaissance, à cette époque, que de l’œuvre importante de 1895 de Lorentz mais non des travaux ultérieurs de Lorentz et, pas davantage, des recherches consécutives de Poincaré. En ce sens, mon travail de 1905 est indépendant. Ce qui est nouveau dans ce mémoire, c’est d’avoir découvert que la portée de la transformation de Lorentz dépassait sa connexion avec les équations de Maxwell et mettait en cause la nature de l’espace et du temps. Ce qui était également nouveau, c’est que l’invariance de Lorentz est une condition générale pour la théorie physique. »
Un grand nombre de thèses, attribuant plus ou moins de mérites à Einstein et à Poincaré, sont défendues dans une abondante bibliographie. Pour autant, on pourrait classifier ces thèses dans quatre catégories principales représentant les quatre combinaisons, qui sont toutes possibles, entre :
La thèse E1/P1 est notamment défendue par Abraham Pais dans sa biographie d'Einstein.
La thèse E1/P2 est par exemple défendue par Gérard Holton dans son livre "L'imagination scientifique". Dans cette combinaison, la paternité est double.
La thèse E2/P1 est mentionnée dans le livre de Louis de Broglie, "Savants et découvertes".
Pour la thèse E2/P2 voir la bibliographie ci-dessous.
La thèse P3 est défendue par Sir Edmund Whittaker, Jules Leveugle, Jean-Paul Auffray, G. H. Keswani, et Jean Hladik.
Les défenseurs de ce point de vue, même s'ils reconnaissent que Poincaré a su prévoir E=mc², ou les formules de transformation de Lorentz, remettent en cause la compréhension et l'interprétation physique que Poincaré a données à ces formules.
Un point important souvent cité est que Poincaré n'aurait pas compris (ou voulu accepter pour les défenseurs de P2) que la Relativité est en fait une théorie de l'espace-temps.
Abraham Pais en donne la démonstration suivante :
Poincaré aboutit aux formules d'addition relativiste des vitesses et de la dynamique de l'électron en faisant trois hypothèses :
Autrement dit, Poincaré ne voit pas que les transformations de Lorentz découlent logiquement des deux premiers principes alors qu'elles peuvent s'en déduire essentiellement si l'on considère que ce sont des transformations de l'espace et du temps.
D'après Pais, Poincaré maintient encore la nécessité de cette troisième hypothèse en 1909, d'où la conclusion de celui-ci : "il ne comprit donc pas l'une des caractéristiques les plus fondamentales de la relativité restreinte".
Georges Lochak reprend ce même argumentaire, en précisant de plus les points suivants :
À cette époque, la physique newtonienne avait une emprise très forte sur les physiciens. Plusieurs siècles de vérification des lois newtoniennes par l'expérience rendait sa remise en cause difficile. Poincaré, bien qu'ayant approché par les mathématiques bien des aspects de la relativité restreinte, ne put se résoudre à franchir le pas qu'imposait la relativité. Einstein, quant à lui, travaillant à l'office des brevets à Berne était assez coupé du monde de la recherche. De plus, il possédait un esprit critique qui lui faisait remettre en cause beaucoup de concepts. C'est sans doute ceci qui lui permit de franchir ce cap en premier.
Jules Leveugle a comparé le célèbre article d'Einstein du 26 septembre 1905 et l'article de Poincaré du 5 juin 1905. Leveugle affirme qu'Einstein a présenté exactement les mêmes équations sans aucune interprétation nouvelle par rapport à Poincaré. Leveugle décrit le facteur Epsilon de Poincaré (= v/c) qui prend correctement des valeurs inférieures à l'unité tout simplement parce que Poincaré a normalisé les équations, mettant c = 1. Leveugle souligne que Poincaré a appelé le principe de la relativité le point essentiel, critère d'où découlent les transformations correctes de Lorentz.
Leveugle ajoute que le principe de la relativité de Poincaré s'applique aux 'phénomènes physiques' (la mécanique), et non pas seulement à l'électromagnétisme, et cite Poincaré : [...] Relativité, d'après laquelle les phénomènes physiques doivent être les mêmes soit pour un observateur fixe, soit pour un observateur entrainé dans un mouvement uniforme
C'est Poincaré qui a donné à l'ensemble des formules de transformation le nom d'« équations de Lorentz ». Il indique dans son cours de 1898 que le temps local que Lorentz présentait comme un paramètre fictif n'avait pas de raison de ne pas être considéré comme le temps tout court, qui serait relatif et non pas absolu. En juin 1905, Poincaré signale également que l'ensemble des transformations en question forme une structure de groupe sur l'espace-temps, et que le terme (x² + y² + z² − c² t²) constitue un invariant du groupe. Dans un texte publié en 1915, Lorentz approuve le point de vue de Poincaré.
Nous trouvons dans le livre de T. Damour, une analyse comparée du concept de temps chez Poincaré et Einstein montrant la valeur de ce qu'apporte Einstein. Citons-en quelques phrases :
« Une conséquence cruciale de la limitation de l'horizon conceptuel de Poincaré est que le "temps local", dont il parle dans le texte de 1904 cité ci-dessus diffère de façon essentielle du "temps" qu'Einstein attribue à un référentiel en mouvement. En effet, une lecture attentive du texte de Poincaré de 1904, des cours qu'il donna à la Faculté des Sciences de Paris pendant l'hiver 1906-1907, et d'un article publié en 1908, montre que le "temps" dont parle Poincaré est toujours un temps dont la "seconde" est battue par des horloges en "repos absolu". »
À cet égard, si l'on peut discuter le fait qu'Einstein ait lu ou non Poincaré avant juin 1905, il convient de se demander si Poincaré avait lu l'article de 1905 d'Einstein par la suite.
Citons encore la conclusion de T. Damour sur le sujet : « Comme Lorentz et Poincaré pensaient toujours le temps en termes de temps universel absolu de Newton, ils n'ont jamais suggéré, comme Einstein le fit, qu'une horloge en mouvement puisse battre un temps différent de celui d'une horloge au repos. »
La synthèse que fait par exemple Stephen Hawking crédite Lorentz et Poincaré des transformations mathématiques et Einstein de l'interprétation physique. Hawking insiste d'ailleurs sur le fait que Poincaré mériterait une bien plus grande reconnaissance de son travail, mais qu'il n'est en aucun cas question de contester le mérite d'Einstein.
Mais d'autres physiciens, par exemple Michel Paty, soulignent qu'on pourrait parfaitement développer une autre physique, mathématiquement équivalente, à partir de l'interprétation de Poincaré des travaux de Lorentz. Christian Bracco et Jean-Pierre Provost soulignent qu'une relativité avec éther est parfaitement cohérente.
Même sans éther, on peut conserver le temps absolu de Poincaré en considérant la dilatation comme n'étant qu'une apparence ; Elie During montre qu'une telle interprétation de la relativité, défendue par Edouard Guillaume, a pu influencer Bergson dans son livre Durée et simultanéité (1922), bien que ce dernier se défende explicitement de vouloir réintroduire le point de vue d'une relativité avec éther, avec système privilégié. Cette critique du "ralentissement des horloges" est bien entendu défendable d'un point de vue physique, à condition de s'en tenir à des référentiels non accélérés. Dans le cas de référentiels accélérés, la question se pose de savoir quelle portée donner à la pluralité des temps associés aux différents systèmes. Bergson demande : en quel sens un temps "dilaté" est-il un temps "réel" ?
En 1999, Yves Pierseaux , formé à la philosophie et à la physique a publié un ouvrage qui rassemble toute une série d’indices, physiques, épistémologiques, historiques permettant de penser qu’il y a en vérité deux théories de la relativité restreinte, certes très proches, mais fondamentalement différentes (une « structure fine »).
Mais si les deux théories sont équivalentes expérimentalement, la théorie issue de Poincaré est en quelque sorte un sauvetage de l'univers pré-relativiste : l'éther y est doté de toutes les propriétés de contraction nécessaire pour que tout se passe comme dans la théorie d'Einstein, où il n'existe simplement pas. La conservation d'un temps absolu apparaît quant à elle comme une hypothèse inutile et alourdissant la structure : en effet, en postulant l'équivalence des référentiels, Einstein fait émerger spontanément les transformations, et l'univers de Poincaré est en comparaison une construction artificielle.