Fièvre du caoutchouc - Définition

Source: Wikipédia sous licence CC-BY-SA 3.0.
La liste des auteurs de cet article est disponible ici.

La fièvre du caoutchouc au Pérou

En 1885, commença l’époque de l’apogée du caoutchouc (bien que son exploitation se poursuivait déjà depuis un certain temps), produit dont l’exportation augmenta année après année jusqu’en 1907, année où l’on enregistra 3 029 tonnes métriques. Cette abondance ne devait plus se répéter. Iquitos connut pendant ces années un apogée et une prospérité quelle n’avait jamais eu, Abondance qui toucha aussi d’autres villes comme Tarapoto, Moyobamba et Lamas. Les patrons gaspillaient l’argent qu’ils avaient gagné et construisaient de luxueuses habitations pour lesquelles ils importaient des matériaux d’Allemagne et d’autres pays d’Europe. La mode européenne s’imposa et les seringueiros s’habillaient avec les meilleurs tissus et buvaient les plus fines liqueurs. Beaucoup des constructions qui subsistent encore à Iquitos témoignent de l’éphémère période d’abondance et de fortunes improvisées, qui, en fin de compte, s’évanouirent avec la même facilité avec laquelle elles s’étaient formées, au prix de tant de vies, d’abus et de sacrifices.

La fièvre du caoutchouc au Pérou, est teintée de sang et de poudre, de gloire et d’abus, l’histoire du caoutchouc dans l’Est du Pérou configura le territoire actuel et ouvrit les yeux de l’administration des gouvernements d’alors, qui donnaient peu ou rien pour ces immenses régions vertes. Cette époque est postérieure aux expéditions que conduisirent les conquistadors à trouver le mythique Eldorado ou un Paititi qui recélaient d’incalculables trésors ; elle est également postérieure à l’élan évangélisateur des missionnaires qui s’engagèrent dans l’Amazonie pour fonder des centres de population et « civiliser » les « sauvages ». L’explorateur qui pénétra dans la forêt pour extraire le caoutchouc vers la fin du XIXe siècle le fit avec une imagination libre de cités utopiques couvertes d’or, et sans s’encombrer d’une Bible pour justifier ses entreprises.

Les seringueiros

Le seringueiro péruvien fut non seulement un entrepreneur qui se consacrait à l’extraction du latex, mais aussi l’équivalent d’un mineur de la frontière américaine, une sorte de loi dans une terre sans lois et souvent le défenseur de la souveraineté et de l’intégrité territoriale face aux aspirations expansionnistes des voisins brésiliens, colombiens et équatoriens. En fait, les prétentions brésiliennes étaient connues, sachant que l’empire du Brésil d’alors considérait qu’il ne serait une puissance mondiale que s’il obtenait un accès au Pacifique.

Iquitos, fondée en 1757, par les Jésuites et érigée en capitale du département de Loreto par le maréchal péruvien Ramón Castilla y Marquezado en 1864, fut le centre caoutchoutier de la forêt péruvienne et le premier port fluvial sur le rio Amazonas péruvien. De là, on commerçait avec Manaus, au Brésil. À partir de 1880, à l’apogée du caoutchouc, la ville commença son expansion. Elle comptait des colonies portugaises, espagnoles, juives (dont Isaac Edery Fimat), chinoises, et avait neuf consulats à cette époque. Iquitos jouit d’années dorées au cours desquelles la richesse qu’apportait l’« or blanc » laissa des marques de splendeur dans les demeures et édifices de style morisque, comme la Casa de Fierro, dessinée par l’ingénieur Gustave Eiffel.

La demande du caoutchouc à la fin du XIXe siècle déclencha une sorte de « fièvre du caoutchouc », semblable à celle de l’or quelques décennies auparavant aux États-Unis et au Canada. Colombiens, Équatoriens, et surtout Brésiliens, s’installèrent dans les confins amazoniens inconnus et se partagèrent un territoire sans présence étatique.

Au début de cette étape, en 1886, le préfet José Reyes Guerra, originaire de Moyobamba, rédigea un rapport que préfigurait le sombre avenir de l’exploitation de cette ressource :

« ...les grands bénéfices qu’apportera le caoutchouc se verront assombris par d’importantes déconvenues à moins que l’État prenne des mesures... »

Iquitos est une ville du Pérou, capitale de la Région de Loreto.

À une époque, les principales maisons exportatrices étaient celles de Julio C. Arana, Luis Felipe Morey et Cecilio Hernández, bien qu’il y eut de nombreux seringueiros mineurs non moins importants. Arana fut le plus grand propriétaire de domaines caoutchoutiers et de colonies du Putumayo, la Casa Arana se transforma en Peruvian Amazon Company avec siège à Londres et actions cotées en bourse. En 1909, elle délogea les seringueiros colombiens et prit le contrôle non seulement du territoire compris entre le río Caquetá et le río Putumayo (anciennes limites du Pérou), mais aussi de la main d’œuvre indigène de toute la région.

Sous le mandat préfectoral de Pedro Portillo (1901-1904), sont votées des lois qui grevèrent les importations et tentèrent de donner une meilleure distribution aux impôts dérivés de l’exportation de la gomme, en fonction de sa qualité. Restèrent libres d’impôts des produits tels que le beurre, le sucre et la farine, ainsi que certains équipements et machines agricoles. Ainsi, la brillante douane d’Iquitos augmenta notablement ses recettes et Loreto se hissa économiquement au niveau du reste du pays.

Dans un certain sens, le seringueiro fut un conquistador moderne, un explorateur qui -sans Bible ni Dorado ni Paititi- gouverna une terre indomptée, découvrit en elle un inconnu attirant et la transforma en une région attrayante qui offre encore de nos jours d’infinies possibilités et richesses sous diverses formes.

Force de travail

La place d’Armes de Puerto Maldonado

Les Indiens indigènes de l’Amazonie étaient divisés - selon l’ethnocentrisme du colon - en deux groupes : les baptisés ou « civilisés » et les « sauvages ». Ils étaient recrutés de force et obligés de livrer un certain nombre d’arrobes de gomme par mois sous peine de tortures, mutilations et autres vexations. En vertu de telles considérations, dans certains cas les seringueiros arrachèrent à leurs terres les indigènes les plus soumis et les transférèrent dans leurs colonies de production.

Le système de contrôle de la main d’œuvre était cruel et injuste : le patron soumettait les indigènes et les obligeait à travailler dans des conditions d’esclavage. Dans chaque baraque de travail, il y avait un contremaître et, sous ses ordres, un groupe d’hommes armés qui maintenaient l’ordre dans la baraque et poursuivaient, châtiaient ou neutralisaient toute tentative de rébellion ou d’évasion. Dans ces « armées », existait une figure particulière, celle des « muchachos », jeunes indigènes élevés par les patrons qui exerçaient un rôle très important de contrôle, vu qu’ils étaient armés et maîtrisaient les langues et usages des indigènes.

Un autre aspect de l’époque du caoutchouc fut le déplacement des indigènes, extraits de leurs terres et conduits à cohabiter avec d’autres ethnies, parfois rivales entre elles. Dans le seul bassin du Putumayo, durant la première décennie du Xe siècle, sont morts 40 000 Amérindiens sur les 50 000 que y vivaient auparavant.

Migration interne et colonisation

Cependant, l’exploitation du caoutchouc entraîna une autre conséquence insoupçonnée jusqu’alors : la migration interne et la colonisation de différentes zones de montagne dans lesquelles peu s’étaient aventurée avant. Avec l’extraction de la gomme, il fut nécessaire de créer des zones agricoles pour approvisionner les établissements. Le gouvernement, favorisa cette migration et pourvut en partie aux frais de transport, de manutention et de semences pour ceux qui se trouvèrent dans les zones concernées. Les Péruviens furent plus nombreux que les immigrants étrangers, et provenaient principalement de Rioja, Chachapoyas, Moyobamba, Tarapoto et Cajamarca.

Personnalités liées au caoutchouc

Julio César Arana du Águila (1864-1952), originaire de Rioja, dans le Nord-Est et Carlos Fermín Fitzcarrald (1862-1897), originaire de Huaráz, dans le Sud-Est, furent de grands entrepreneurs de l’exploitation du caoutchouc. Les lois n’étaient pas rigoureuses et permettaient l’entrée de seringueiros boliviens et brésiliens dans le département de Madre de Dios au Pérou. Les Boliviens, par exemple, pénétraient entre le río Beni et le río Mamoré, mais en période de moindre inondation ils arrivaient jusqu’au río Madre de Dios. Jusqu’en 1880, un seringueiro influent était le Bolivien Nicolás Suárez, associé un moment à Fitzcarrald, qui posséda jusqu’à 16 millions d’acres et 10 000 ouvriers entre 1880 et 1910.

Dans le Sud-Est péruvien, les grandes boules de caoutchouc se transportaient par voie fluviale et ensuite par voie de terre jusqu’au tronçon ferroviaire de Sandía dans le Puno, suivant un chemin muletier qui allait jusqu’à Marcapata. De Tirapa au Tambopata et de Sandía à Marcapata, il y eut un trafic dense de produits liés à l’activité caoutchoutière.

Fitzcarrald voulut innover dans l’extraction du caoutchouc en se servant des varaderos et raccourcis en ligne droite. Cela nécessitait de prendre depuis le río Ucayali jusqu’au río Manu, affluent du Madre de Dios, un petit bateau à vapeur. Entre le río Serjalí (affluent du río Misahua) et le río Cashpajali (affluent du Manu), il existait des collines argileuses. La petite embarcation Contamana fut désarmée par Fitzcarrald pour la mettre sur le Cashpajali, dont elle suivit le courant vers l’aval jusqu’au Madre de Dios. Ce fut le premier bateau à vapeur à circuler sur le bassin. Plus tard le Bolivien Suárez racheta la Contamana.

Fitzcarrald, qui donna une impulsion à la bourgade fluviale de Puerto Maldonado jusqu’à en faire une agglomération prospère, est mort en 1897 alors qu’il explorait le Ucayali.

À partir du 22 avril 1901, avec la Junta de Vías Fluviales pour le sud de l’Amazonie péruvienne et le Commissariat du Madre de Dios et Acre, commença le recensement des seringueiros et la concession légitime de peuplements d’arbres à caoutchouc.

Caoutchouc et noix du Brésil

L’activité caoutchoutière prit une autre tournure avec l’arrivée de grands capitaux américains et anglais : la société Inca Rubber Company, de propriété américaine, choisit le port de Mollendo pour ses exportations à partir de 1906. Après un parcours fluvial sur le río Tambopata, la voie de sortie du caoutchouc était le chemin de Tirapata et ensuite le chemin de fer d’Arequipa à Mollendo. Les grandes entreprises acheteuses imposaient leurs prix et faisaient des distinctions entre les diverses qualités de gomme. Rapidement l’activité extractive perdit le côté aventureux et d’enrichissement rapide qu’elle avait autrefois. Au début de la Première Guerre mondiale, se manifesta l’intérêt des pays européens pour l’achat massif de produits alimentaires de facile conservation. La région de Madre de Dios fut un grand fournisseur de noix du Brésil qui étaient réputées sur le marché international. Jusqu’en 1914, Manaus, sur le Rio Negro, au Brésil, fut le principal port de sortie des noix du Brésil de Madre de Dios, via le chemin de fer Madeira-Mamoré.

Isthme de Fitzcarrald

La découverte de grands peuplements d’arbres à caoutchouc et de jebe dans le territoire de l’actuelle région de Madre de Dios, au Pérou, en particulier entre les ríos Manu et Tahuamanu, Las Piedras et Los Amigos, focalisa l’attention des seringueiros sur cette zone. Les voyages d’exploration se succédèrent, dont ceux du colonel Faustino Maldonado, qui mourut étouffé en 1861, et le préfet du Cusco, Baltasar de la Torre, également mort tragiquement en 1873, au cours d’une expédition sur le río Madre de Dios.

L’accès à la région était, cependant, difficile, et plus encore le transport des produits vers les marchés européens. Le chemin jusqu’au Cusco ou vers Arequipa était excessivement long et on n’avait pas encore découvert l’itinéraire par le río Madre de Dios jusqu’au Madeira et au río Negro, pour atteindre le port de Manaus et de là l’océan Atlantique en descendant le fleuve Amazone.

La base des seringueiros péruviens se trouvait à Iquitos, il était de fait de la plus haute importance d’établir une liaison praticable qui fasse communiquer les départements de Loreto et de Madre de Dios. Une partie de ce trajet pouvait se faire par voie fluviale, en entrant par l’Ucayali jusqu’à sa naissance à la confluence du río Tambo et du río Urubamba. À partir de là, toutefois, l’itinéraire devenait plus problématique, car on ne savait pas comment passer de certains affluents de l’Urubamba, à des affluents du Purús ou du Madre de Dios, et la route n’était pas viable à l’époque.

Dans ces circonstances, Carlos Fermín Fitzcarrald, le plus important seringueiro péruvien, entreprit la recherche du passage (varadero) que servirait de communication entre ces deux bassins. Son projet était d’unifier ce vaste et riche secteur de la forêt, exposé aux incursions de seringueiros boliviens et brésiliens - qui envisagèrent même le projet de créer une République de l’Acre -, avec la partie Nord, déjà intensément parcourue par des commerçants et voyageurs péruviens.

Le varadero est le chemin terrestre que relie deux rivières dont les cours sont parallèles, ou deux points d’une même rivière dont le cours prend la forme d’un « U ». Le varadero se trouve, bien sûr, en cherchant le tronçon le plus court entre les cours d’eau et est un moyen plus pratique, qui faisait économiser de nombreuses heures de transport. Si le varadero est court, l’homme de la forêt transporte son canoë avec lui, sinon, il transborde le chargement. Son importance fut grande pendant ladite époque du caoutchouc, durant laquelle ils furent intensément utilisés.

Fitzcarrald se lança à la recherche de l’isthme tant désiré en 1891. Outre l’intérêt de se relier avec Iquitos, il avait pour objectif d’établir de meilleures relations commerciales avec les entrepreneurs brésiliens et éventuellement d’exporter par ce territoire, sans avoir à passer sous le contrôle d‘Iquitos, le caoutchouc qu’il extrayait de l’Ucayali et celui qu’il pourrait extraire du Madre de Dios. En tous cas, il est certain que Fitzcarrald mobilisa des centaines d’indigènes pour localiser le varadero, dont il avait eu de vagues informations transmises par des indigènes piros et campas. À propos de ces derniers, selon l’avis de Fitzcarrald, pendant les plus de dix années au cours desquelles il se perdit dans la forêt, il aurait résidé parmi eux et réalisé de grandes prédications.

La recherche de Fitzcarrald, est marquée par la démesure et la soudaineté. Soudaine et démesurée fut sa richesse, et la maison qu’il fit construire, en 1892, au confluent de l’Ucayali et du Mishagua a aussi ces caractéristiques. Cette demeure, destinée à être son centre d’exploitations, avait trois étages et vingt-cinq pièces et fut construite en bois de cèdre. Des jardiniers chinois étaient chargés du jardin. Elle possédait un magasin dans lequel on pouvait voir une grande variété de marchandises et près d’elles s’agglutinèrent d’autres maisons de seringueiros jusqu’à former une petite agglomération.

De Mishagua, Fitzcarrald partit vers Urubamba. En août 1893, et prenant la tête d’une flottille de canoës montés par des centaines d’Indiens, il entra dans le río Camisea et à un certain point gravit une petite élévation et atteignit une autre rivière. Il fit construire un radeau et parvint jusqu’au Manu, qu’il crut identifier comme un affluent du Purús, alors qu’il l’était du Madre de Dios. À son retour, il emprunta un autre itinéraire plus court et parcourut le varadero connu aujourd’hui sous le nom d’isthme de Fitzcarrald, soit les onze kilomètres environ qui séparent le Serjali, affluent du Mishagua, du Caspajali affluent du Manu.

Conséquences

Dans les années qui ont suivi la « fièvre du caoutchouc », s’amorça un déclin de la production du caoutchouc, tant en quantité qu’en valeur, à cause de la forte concurrence des colonies anglaises et néerlandaises d’Asie. En effet, le caoutchouc avait été acclimaté avec succès dans ces colonies asiatiques, où on le cultivait dans des plantations qui, en outre, disposaient en propre de routes, de chemins de fer et d’une main d’œuvre bon marché.

À la fin de cette étape mouvementée de l’histoire du Pérou et face à l’incapacité de l’appareil étatique de contrôler la situation des seringueiros et des indigènes et les incursions des milices étrangères dans le territoire national, le Gouvernement fut conduit à céder peu à peu de vastes étendues, évitant ainsi d’engager des conflits belliqueux qui auraient eu des résultats désastreux pour le Pérou. Ainsi, le Brésil obtint près de 170 000 km² en vertu du traité Velarde-Rio Branco ; la Bolivie, plus de 90 000 km² par le traité Polo-Bustamante, la Colombie obtenait en 1928, par le Traité Salomón-Lozano (resté secret pendant cinq ans jusqu’à sa ratification), un accès souverain à l’Amazone et le territoire connu sous le nom de Trapèze amazonien compris entre les ríos Caquetá et Putumayo, qui au total couvre 114 000 km².

Page générée en 0.158 seconde(s) - site hébergé chez Contabo
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL sous le numéro de dossier 1037632
A propos - Informations légales
Version anglaise | Version allemande | Version espagnole | Version portugaise