Place de la République | |
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Situation | |
Pays | France |
Région | Basse-Normandie |
Ville | Caen |
Quartier | Centre-ville ancien |
Morphologie | |
Type | Place semi-fermée |
Forme | Rectangulaire |
Superficie | 11 000 m2 |
Histoire | |
Création | 2e moitié XVIIe siècle 2e moitié XXe siècle |
Anciens noms | Place de la Chaussée Place Royale Place de la Liberté |
Monuments | Hôtel Daumesnil |
Protection | Site du centre historique |
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La place de la République de Caen, à l'origine baptisée place Royale, est un espace public aujourd'hui au cœur de la ville de Caen, créé au XVIIe siècle dans un nouveau quartier aux marges de la cité. Bien que bombardée en partie pendant la bataille de Caen, cette ancienne place royale est un bon exemple de l'urbanisme à l'époque classique.
À partir du Xe siècle, la ville de Caen se développe principalement le long de deux axes : un axe Est-Ouest sur la rive gauche du Grand Odon (Bourg-le-Roi) et un axe Nord-Sud sur la rive droite de l'Odon qui faisait un coude après sa confluence avec un bras de l'Orne, la Noë (Île Saint-Jean). Entre ces deux espaces urbains, des prairies, délimitées au nord par le Grand Odon et au sud par la Noë, s'enfoncent dans la ville jusqu'au confluent de ces deux cours d'eau. Afin de défendre la cité des agressions étrangères, le Bourg-le-Roi et l'Île Saint-jean sont enclos par des enceintes érigées le long des rivières, le seul point de contact entre les deux ensembles fortifiés étant le pont Saint-Pierre protégé par le Châtelet. Les prairies entre l'Odon et la Noë, laissées à l'extérieur des murs de la cité, étaient un point faible dans la défense de la ville. Ainsi, lors du siège de la ville par les Anglais en 1417, le roi Henri V d'Angleterre lance l'assaut sur le Châtelet du Pont Saint-Pierre à travers les champs où se dresse aujourd'hui le quartier de la place de la République.
Cette prairie appelée les Petits Près est divisée par la Chaussée Saint-Jacques. Cette chaussée surélevée va du Pont Notre-Dame (sur l'Odon) au Pont Saint-Jacques (sur la Noë) et relie ainsi la porte de la Boucherie (des Près ou Notre-Dame) à la porte des Jacobins. On trouve à l’est de cette voie le Pré Saint-Pierre, nommé ainsi parce qu’il appartient en grande partie aux prêtres de la paroisse Saint-Pierre, et à l’ouest le Pré aux Ébats ; la partie la plus près de la porte de la Boucherie est dénommée Petits-Prés de Castillon au XIIe siècle, Prés de la Massacre au XIIIe siècle et Prés de la Boucherie par la suite, les deux dernières dénominations faisant référence aux halles de la Boucherie qui se trouvaient jusqu'en 1855 entre la rue Saint-Pierre et la rue de Bras.
Situées à proximité immédiate de la ville, ces prairies sont l'un des principaux lieux de récréation pour les habitants qui s'entassent entre les murs de la cité. On y organise par exemple des tournois de Papeguay ou Papegault, jeu consistant à abattre grâce à une flèche un oiseau de bois peint placé en haut d'un mât très élevé. L'ambiance régnant dans cette grande prairie peut être perçue grâce au témoignage de Charles de Bourgueville.
Jusqu’à la fin du XVIe siècle, l’urbanisation s’organise à l’intérieur des limites défensives de la vieille ville. Mais au XVIIe siècle, la croissance démographique et l’essor économique que connait la ville sous le règne personnel de Louis XIV obligent la cité à repousser ses frontières. La pression démographique contraint la ville à investir les Petits Prés, protégés à l’ouest par une courtine construite à partir de 1590 pour relier la Porte Saint-Étienne et l’Île de la Cercle (appelée Champ de foire par la suite).
Entre 1609 et 1603, la ville fait abattre des maisons pour transformer en rue une simple venelle servant à conduire les chevaux à l’abreuvoir sur le Grand Odon (l'actuelle rue de Strasbourg). En 1626, on construit un pont sur l’Odon au bout de la rue des Jésuites (actuelle rue Saint-Laurent) ; une des lucarnes de la façade intérieure de la maison située à l’angle des rues Jean Eudes et Saint-Laurent porte la date de 1624, ce qui est fait sans doute une des plus anciennes adresses du quartier. Cette demeure est occupée à partir de 1643 par le Père Jean Eudes qui en fait le siège de sa mission.
En 1635-1637, la ville lance une importante opération d’urbanisme consistant à aménager une grande place carrée entourée de maisons construites en pierre de taille sur un alignement déterminé. Le maître voyer Étienne Gondouin établit le tracé. Chaque maison doit compter trois étages au dessus du rez-de-chaussée et doit être surmontée d'un grand toit ; toutes les quatre fenêtres, la toiture doit être percée de deux lucarnes jumelées sous un fronton.
La place fait environ 90 m sur 125 m. Comme au Moyen Âge, on y accède par des rues percées à chaque angle ; traversant la place du nord et sud, l'actuelle rue de Strasbourg et la rue du pont Saint-Jacques correspondent à l'ancienne Chaussée Saint-Jacques ; au sud-ouest, l'actuelle rue Auber conduit à la porte des Près qui se trouvait sur l'actuelle place Gambetta ; au nord-ouest, l'actuelle rue Jean-Eudes mène à l'ancienne Mission faisant l'angle avec la rue Saint-Laurent. Enfin une rue est tracée à l'est de la place (actuelle rue Pierre-Aimé Lair). Ce nouvel espace urbain a l’avantage de combler le vide entre la paroisse Notre-Dame et la paroisse Saint-Jean en offrant par la même occasion une nouvelle voie de circulation pour désengorger le Pont Saint-Pierre. L’espace public ainsi formé est appelé place de la Chaussée, en référence à la Chaussée Saint-Jacques qui en constitue la bordure orientale.
Entre 1640 et 1680, les maisons s’élèvent lentement sur les côtés est, nord et sud de la place. Il s’agit surtout d’hôtels particuliers comme celui construit vers 1657-1658 dans l’angle sud-ouest de la place par Gaspard Daumesnil, riche fabriquant et marchand de serge ; ce dernier toutefois ne respecte pas les règles d'ordonnancement publiées par la municipalité. Afin de clore définitivement la place, son côté ouest est attribué à Jean Eudes en 1658 afin de construire le séminaire des Eudistes ; une église, consacrée aux Très Saints Cœurs de Jésus et Marie, est construite entre 1664 et 1687. La construction des ailes du petit et grand séminaire de part et d'autres de l'église ne commence qu'en 1691. Elle est terminée en février 1703 et marque l'achèvement du lotissement de la place. La façade fermant la place Royale reprend l'ordonnancement caractéristique du classicisme français. Cette harmonie d'ensemble est rompue par la façade de la chapelle dont la façade s'inspire de l'église du Gesù.
En 1679, la grande place prend officiellement le nom de place Royale. Le 5 septembre 1685, une grande fête solennelle est organisée pour l'inauguration d'une statue de Louis XIV placée au centre de la place. Il n'existe pas de représentation de cette statue sculptée par Jean Postel, mais une description du milieu du XVIIIe siècle permet de s'en faire une image : « Cette statue, qui est l'ouvrage d'un sculpteur de cette ville, est admirée des plus habiles. Elle est haute de 8 pieds, élevées sur un piédestal de 12 ; quatre petites figures y tiennent, sur la corniche, les armes et la devise du Roy, mêlées de différents trophées. Les inscriptions latines et françaises sont gravées en lettres d'or sur quatre tables de marbre noir... ».
Non loin de la place, sur l’ancien Prés des Ébats, les Jésuites font construire entre 1684 et 1689 l’église Sainte-Catherine-des-Arts (actuelle église Notre-Dame-de-la-Gloriette). Dans la deuxième partie du XVIIe siècle, les prêtres de Saint-Pierre donnèrent également en concession les terrains leur appartenant pour lotir les rues du Moulin, de la Fontaine et des Quatre-Vents (rue Pierre-Aimé Lair depuis 1907). Les anciennes fortifications, devenues obsolètes par construction de la courtine sont également détruites. Ainsi la porte de la Boucherie est abattue en 1675 ou 1699.
La place est l'une des adresses les plus prisée des notables. En 1740, l'espace central est semé de gazon et sur son pourtour sont plantés des tilleuls sous lesquels sont placés des bancs et des gare-heurts. Selon Jean-Aimar Piganiol de La Force, les allées en diagonale qui mènent à l'espace central où se dresse la statue de Louis XIV sont également plantées de tilleuls. En 1767-1768, les rues entourant la place et les allées la traversant sont pavées. Afin d’assurer la tranquillité des riches habitants, un garde municipal est chargé de déloger « les fainéants, vagabonds et décrotteurs ». L’analyse des registres de l’impôt du Vingtième, créé au début du XVIIIe siècle, a permis d’étudier le niveau social des riverains de la place. On y trouve 35 contribuables déclarés, imposés pour des revenus allant de 40 à 1 200 livres, alors que des revenus compris entre 10 et 20 livres étaient courant dans la plupart des rues de la ville. La moyenne du revenu imposé est de 346 livres pour la place Royale contre 154 livres pour la place Saint-Sauveur (25 contribuables).
Les richesses concentrées sur la place Royale ne sont pas sans attiser les crispations sociales. La place est ainsi le théâtre d’une des plus violentes émeutes de l’Ancien Régime à Caen. Le 25 juin 1725, le prix du blé ayant triplé en quelques mois, la disette s’installe et des altercations éclatent au Tripot (halle au blé, située à l'emplacement de l'actuel 50 rue Saint-Pierre) ; les émeutiers investissent la place Royale et prennent alors pour cible l’hôtel de Gosselin de Noyers, lieutenant de police, et l’Hôtel de Plébois de la Garenne, riche négociant et fermier général de l’abbaye aux Hommes accusé de gaspiller le grain en le transformant en poudre pour ses perruques.
Du fait de sa taille importante au cœur d’une ville densément peuplée, la place est aussi un lieu de prédilection pour la célébration des cérémonies publiques. Les militaires peuvent y parader ; les processions qui sillonnent régulièrement la cité y font également étape. Elle est aussi régulièrement occupée par des spectacles forains et on y tire des feux d’artifice. Lors de ces réjouissances, la concentration de la foule sur la place est si importante que le moindre accident a des issues dramatiques : 6 morts et 80 blessés sont ainsi décomptés suite à un mouvement de panique provoqué par l’incendie du pas de tir d’un feu d’artifice.
Après la Révolution, le quartier devient le centre politique et administratif de la ville. En 1792, la municipalité installe l’hôtel de Ville, à l’étroit dans l’hôtel d'Escoville, dans le Séminaire des Eudistes. Dans la partie supérieure de l'ancien église, on installe la bibliothèque municipale. Dans des galeries du séminaire, on aménage également le musée des Beaux-Arts de Caen et les archives municipales. Enfin, on bâtit une nouvelle aile sur la rue Jean-Eudes au début des années 1880 pour loger l’hôtel des Postes. En 1806, le Préfet Caffarelli prend résidence dans l'Hôtel de Manneville, situé au bout de la rue Saint-Laurent. Les travaux de construction de l’hôtel de la Préfecture sur ce dernier emplacement commencèrent en 1812 et les services préfectoraux quittèrent définitivement le collège du Mont en 1851 ; le bâtiment est définitivement terminé en 1857 avec la fermeture de la cour au sud. La Préfecture s’étend alors de la place Gambetta (place de la Préfecture avant 1894) à Notre-Dame-de-la-Gloriette ; on construit l’actuel hôtel du Département du Calvados après avoir détruit l’aile sur la rue Saint-Laurent dans les années 1960.
Le 3 juillet 1791, la statue de Louis XIV est détruite et la place prend le nom de place de la Liberté. Elle reprend ensuite son ancien nom (Place Royale) et une nouvelle statue en bronze de Louis XIV sculptée par Louis Petitot est inaugurée le 24 avril 1828. En 1882, Albert Mériel, nouvellement élu à la tête de la municipalité de Caen, décide de déplacer la statue et de rebaptiser le lieu place de la République afin d’effacer le souvenir de toutes « les oppressions et des tyrannies » imputées à la monarchie. Le projet provoque un scandale qui dépasse les limites de la capitale bas-normande ; la presse parisienne s’en fait les échos et même The Times participe à la polémique. La statue est tout de même déplacée devant le parc du lycée Malherbe, alors installé dans l'abbaye aux Hommes. En 1883, elle est remplacée par un kiosque à musique construit au milieu de la place de la République transformée en square. Cet espace vert est entouré de bordures en granit surmontées d'une grille de 1,20 m de haut. Sous prétexte qu'ils empêchent la lumière de passer et provoquent ainsi l'insalubrité des bâtiments bordant la place, les vieux arbres ceinturant la place sont coupés, à l'exception de ceux qui se trouvaient du côté nord. Enfin au début des années 1930, deux nouveaux accès sont percés à l'ouest de la place selon un axe nord-sud entre la rue Saint-Pierre et l'actuel boulevard Maréchal Leclerc. En 1932, le prolongement de la rue Démolombe (rue au Canu avant 1905), commencé en 1867, aboutit enfin avec l’ouverture de la rue Paul Doumer ; la même année, on ouvre la rue Georges Lebret et on érige le nouvel hôtel des Postes dans le style art déco.
Le 7 juin 1944, la place est durement frappée par les bombardements aériens ; l'hôtel de ville est en grande partie détruit. Le 13 juin, la place est à nouveau touchée ; l'hôtel de la Place Royale, le café de l'Hôtel de Ville et les immeubles de la rue du Moulin partent en flamme. Le dernier bombardement aérien des Alliés, le 7 juillet, détruit ce qu'il reste de l'hôtel de ville. Après avoir été déblayée, la place de la République est occupée, dans sa partie est, par "le Village nègre", véritable centre commercial provisoire dont le dernier stand n'est abattu qu'en 1959. Une partie du côté nord de la place et la totalité du côté est doivent être reconstruits ; à l’ouest, l’Hôtel de Ville n’est plus qu’un champ de ruines.
Sa reconstruction sur son emplacement original est programmée par Marc Brillaud de Laujardière dès 1945, mais son projet déposé en 1949 est rejeté par le Conseil municipal. Après de longs débats, on abandonne en 1952 l’idée de reconstruire l’Hôtel de Ville et la municipalité s’installe dans l’abbaye aux Hommes en 1964. Le centre de gravité politico-administratif s’est alors déplacé sur l’axe place Gambetta–Abbaye aux Hommes : les services de la préfecture se sont déplacés rue Daniel Huet dans le Centre Administratif Départemental, construit en 1948-1951, le déménagement de la Trésorerie générale a depuis offert l’opportunité au Conseil général du Calvados d’aménager de nouveaux locaux à côté du CAD sur la place Gambetta. Enfin le développement de la Cité Gardin a permis dans les années 1990 de faire le lien avec l’Hôtel de Ville par la construction du nouveau Palais de Justice, de la Trésorerie générale et de nouveaux locaux du Conseil général sur le cours Bertrand.
Après l’échec du projet de nouvelle mairie sur le terrain du Séminaire des Eudistes, le site est planté d’arbres et on y aménage un parking. Aujourd’hui, la place a certes gagné une vue sur l'église Notre-Dame-de-la-Gloriette, autrefois isolée, mais a perdu ses proportions originales. Toutefois le site de l'ancien séminaire est toujours réservé dans le plan d'occupation des sols actuellement en vigueur pour un équipement public. La construction de la future bibliothèque-médiathèque à vocation régionale sur ce site permettrait de retrouver les volumes et les perspectives de la place de la République ; mais bien que cette option ait été étudiée, le site de la Presqu'île semble toutefois privilégié .
La place de la République est aujourd'hui un espace essentiellement commercial (banques, hôtels, restaurants,etc). Quelques administrations y demeurent toutefois, notamment dans l'hôtel Daumesnil, siège de la Communauté d'agglomération Caen la Mer et du tribunal d'instance de Caen. C'est également l'un des principaux squares de la ville. Après la guerre, une grande fontaine constituée de deux bassins et de jets d'eau est aménagée dans la partie est de la place. Cette grande fontaine a été remplacée par la suite par l'actuelle fontaine plus petite sur la partie sud de la place.