Expéditions géodésiques françaises - Définition

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Expédition en Équateur

Pendant que la méridienne de France fut refaite sous la direction de Cassini de Thury, la mission sous l'Équateur continuait ses travaux aux prises avec de très nombreuses difficultés. L'astronome Louis Godin (1704–1760) en fut nominalement le chef en sa qualité de plus ancien membre de l'Académie présent sur le terrain et pour avoir eu l'idée de l'expédition, mais sa fonction de chef lui fut contestée par certains membres de la mission. Parmi les autres académiciens ou futurs académiciens, on compte le mathématicien et physicien Pierre Bouguer (1698–1758), le chimiste et géographe Charles de La Condamine (1701–1774) et le naturaliste Joseph de Jussieu (1704–1779). Deux officiers espagnols, Jorge Juan y Santacilia et Antonio de Ulloa, furent désignés par Madrid et participèrent à toute l'opération avec un loyalisme total et une parfaite compétence.

Partie de La Rochelle le 16 mai 1735, l'expédition se trouvait réunie à Quito, devenue depuis capitale de la république d'Équateur. À cette époque, Quito était une ville du Pérou, domaine de la Couronne d'Espagne gouverné par une vice-roi siégeant à Lima. La région des Andes où les mesures devaient se faire est un sillon nord-sud, encadré par deux branches de la Cordillère. Les sommets s'y élèvent à des altitudes de plus de 5 000 mètres. Sur les contreforts de la Cordillère, on pouvait appuyer la triangulation. Des volcans, tels que le Pichincha, le Cotopaxi et le Chimborazo, jalonnent la région, qui par ailleurs possède une intense activité sismique. Les accès de la montagne étaient malaisés et les intempéries furent fréquentes et violentes. Les guides et porteurs, indiens pour la plupart, étaient peu fiables et parfaitement incultes. En outre, la mésentente entre certains membres de l'expédition ne facilitait pas la tâche et on eut à déplorer plusieurs morts, dont l'aide-géographe Couplet (emporté par le paludisme en 1736), le chirurgien Jean Séniergue (assassiné à Cuenca par un amant jaloux le 29 août 1739), le mécanicien-horloger Théodore Hugot (qui a vécu à Quito avec son épouse péruvienne) et l'aide-technicien Jean Louis de Morainville (mort d'un accident pendant la reconstruction de l'église Nuestra Señora de Sicalpa dans l'ancienne ville de Riobamba, entre 1764-1772). Les péripéties de cette expédition hors pair sont admirablement décrites dans le roman historique de Florence Trystram «L'épopée du méridien terrestre» (Éditions « J'ai lu », nº 2013, 1979) et dans "La Science au péril de sa vie - les aventuriers de la mesure du monde" d'Arkan Simaan (Vuibert-Adapt, 2001).
On commença par la mesure de l'arc géodésique. Ce dernier s'étend sur 3º, donc plus de 300 kilomètres, depuis le nord de Quito jusqu'à la ville de Cuenca. Une première base fut mesurée non loin de Quito, dans un terrain difficile, au moyen de lattes de bois étalonnées sur la «toise du Pérou» que l'on avait emportée de Paris, où elle avait été soigneusement comparée à la «toise du Nord» emportée par Maupertuis en Laponie. Ensuite les observateurs se partagèrent en trois équipes pour observer les angles de la chaîne. Alors que le fond de la vallée allant de Quito à Tarqui se trouve entre 1 300 et 1 400 toises d'altitude, certains des points de triangulation durent être placés à 2 400 toises. Les angles furent mesurés au quart de cercle, dans leur plan comme on le faisait toujours au XVIIIe siècle. Les signaux (mires) étaient initialement des pyramides à quatre arêtes, parfois recouvertes de toile blanche. Malheureusement, comme ils étaient sujets au vol ou à la malveillance, les tentes des observateurs finirent par servir le plus souvent de mires.

L'enchaînement des triangles de Godin, commun à celui de Bouguer et La Condamine dans la partie centrale, de Milin à Cahuapala, en diffère dans les parties nord et sud de l'arc. Dans le sud, même les bases sont différentes bien que voisines. Godin détermina celle de Cuenca, Bouguer et La Condamine mesuraient celle de Tarqui. On observait les trois angles de chaque triangle, et les erreurs de fermeture étaient bons pour l'époque, compte tenu des difficultés des observations. Par exemple, la fermeture en azimut par transmission et observation directe de la base de Yarouqui à celle de Tarqui est de 40″; la différence entre la base de Tarqui observée et sa valeur calculée par l'enchaînement à partir de la base de Yarouqui est d'environ 3 pieds (un mètre).

Les mesures géodésiques étaient terminées en août 1739. On commença alors les mesures astronomiques. Godin fit équipe avec les deux officiers espagnols, tandis que Bouguer et La Condamine opérèrent en étroite liaison. Étant un astronome éprouvé, Godin possédait un avantage sur ses collègues. En effet, ces derniers devaient accomplir un dur apprentissage avec des secteurs instables à cause de la sismicité, en raison des démontages nécessités par leur transport, et à cause de l'instabilité des supports muraux. Ils perdirent ainsi deux années en essais infructueux avant de prendre la décision d'occuper des stations fixes, l'une au sud à Tarqui, l'autre au nord à Cochesqui, et à y mesurer simultanément la distance zénithale méridienne des mêmes étoiles. Ils terminaient leurs observations en 1743 et regagnaient la France par des routes séparées. Bouguer utilisa la voie terrestre entre Quito et l'isthme de Panama, puis la voie maritime via les Antilles jusqu'à Nantes. La Condamine descendit l'Amazone, passa à Cayenne, puis s'embarqua pour Amsterdam et arriva à Paris plusieurs mois après Bouguer. D'interminables polémiques divisèrent alors les deux savants. Godin et Jussieu ne rentraient que beaucoup plus tard.

Malgré les nombreuses tribulations de cette expédition, les résultats rapportés produisaient des effets à court, moyen et long terme. Le résultat le plus immédiat en fut évidemment la valeur du degré d'arc de méridien proche de l'équateur. Dans son compte-rendu à l'Académie royale des sciences du 14 novembre  1744 (donc sept ans après celui de Maupertuis), Bouguer attribuait au degré à la latitude moyenne de la chaîne une valeur de 56 753 toises, après réduction au niveau de la mer et à la température d'étalonnage de sa toise. La Condamine avait obtenu 56 749 toises. Ce résultat, il est vrai, ne fit que confirmer ce que l'on savait depuis le retour de l'expédition de Laponie, à savoir que la figure de la Terre correspondait à un sphéroïde aplati vers les pôles. Bouguer en déduisait, compte tenu du résultat de Maupertuis « dont le public a déjà heureusement recueilli le fruit » un aplatissement terrestre de 1/179. En fait, il s'est vite avéré que cette valeur était beaucoup trop grande, car elle impliquerait des densités plus élevées en surface qu'en profondeur. On sait maintenant que la valeur réelle de cet aplatissement est proche de 1/298,3.

L'expédition ramenait en outre des mesures de pesanteur à diverses altitudes, des mesures de la vitesse du son, et une observation tout à fait nouvelle de l'influence des masses montagneuses sur la direction du fil à plomb. Cette mesure de la déviation de la verticale sous l'action d'une masse montagneuse fut entreprise par Bouguer dans le but de déterminer la masse de la Terre.

En cette même année 1744 où Bouguer présentait les résultats de l'arc du Pérou, on présentait aussi devant l'Académie des Sciences une «Nouvelle carte qui comprend les principaux triangles qui servent de fondement à la description géométrique de la France, levée par ordre du Roy, par MM. Maraldi et Cassini de Thury de l'Académie Royale des Sciences» sur laquelle figuraient les «villes principales» et les «lieux les plus remarquables et dont il est plus important de connaître la situation». Les latitudes et longitudes avaient été rapportées à l'Observatoire de Paris, et les calculs avaient été effectués sur la sphère de Picard. La nouvelle méridienne de La Caille et Cassini de Thury en était l'épine dorsale, qui s'appuyait sur les six bases suivantes, du nord au sud : Dunkerque, Villers-Bretonneux, Juvisy-sur-Orge, Bourges, Rodez, Perpignan. Les mesures du parallèle Brest-Paris-Strasbourg avaient été reprises en employant la «méthode des signaux de feu» pour synchroniser les horloges. Celle-ci avait été mise au point par La Caille en 1738. Elle consistait à allumer une petite quantité de poudre noire sur un signal situé à mi-distance entre les deux stations dont on voulait déterminer la différence de longitude. A l'instant où l'on observait la lueur de la déflagration, on lisait l'heure sur les horloges locales dans les deux stations. Les résultats de la méridienne et du parallèle confirmaient l'hypothèse d'une Terre aplatie.

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