Représentations d'un groupe fini - Définition

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Histoire

Avant les représentations

Théorie des groupes finis

Évariste Galois 1811-1832
Carl Friedrich Gauss

La théorie des groupes trouve son origine dans l'étude du groupe des bijections d'un ensemble fini. Cette notion, appelée permutation date au moins du XVIIe siècle. Le japonais Kowa Seki et l'allemand Leibniz utilisent les permutations et la notion de signature pour définir un déterminant dans des espaces de dimension trois et quatre. Une utilisation plus systématique est l'œuvre de Lagrange et Vandermonde dans le cadre de l'équation polynomiale. En revanche, l'ensemble des permutations n'est, dans aucun des cas cités, considéré comme une structure disposant d'une loi interne.

L'aube du XIXe siècle voit un apport de première importance pour ce qui deviendra la théorie des groupes finis. En 1801, Carl Friedrich Gauss utilise les groupes cycliques pour fonder l'arithmétique modulaire et résoudre l'équation cyclotomique d'indice un nombre premier de Fermat. Un ensemble fini muni d'une opération interne conférant une structure de groupe est enfin utilisée. La connaissance d'une telle structure devient indispensable pour tout mathématicien étudiant l'arithmétique. Cependant, tout au long de sa vie, Gauss ne verra pas l'intérêt d'une formalisation.

Evariste Galois , à la suite des travaux du mathématicien norvégien Niels Abel permet la réalisation d'un bond fondateur de l'algèbre moderne. À travers la problématique de l'équation algébrique, il découvre non seulement la portée du champ applicatif de la structure, mais de plus, évoque un nouveau formalisme avec la notion de groupe abstrait. Ce n'est que quinze ans plus tard que la dimension de ses travaux est perçue par la communauté. La redécouverte par Joseph Liouville des écrits de Galois en 1846 place la théorie des groupes finis comme un sujet de premier plan. Augustin Cauchy publie vingt-cinq articles sur la question dont un sur son célèbre théorème. Arthur Cayley donne une première définition abstraite d'un groupe. Le domaine d'application s'étend, en 1877 Felix Klein remarque que le groupe des isométries laissant invariant l'icosaèdre est isomorphe au groupe de Galois d'une équation quintique, la géométrie algébrique naît et les groupes finis y jouent un rôle clé. La connaissance du sujet s'accroît, Ludwig Sylow énonce ses célèbres théorèmes et Heinrich Weber donne la définition moderne d'un groupe en 1895.

Caractère et groupe d'automorphismes

Richard Dedekind fondateur de la théorie des déterminants de groupe, ancêtre des représentations

Un outil essentiel aux représentations des groupes est celui du caractère. Il correspond, avec notre regard moderne, à la trace des différents automorphismes correspondant au groupe représenté. Une fois encore, le sujet n'est pas vierge au moment de la naissance de la théorie des représentations.

On peut citer le symbole de Legendre du siècle précédent pour l'explicitation de la loi de réciprocité quadratique, comme premier exemple de caractère avant la lettre. Gustav Dirichlet utilise pour la première fois le terme de caractère pour une fonction multiplicative, proche du symbole précédent.

Richard Dedekind transporte les idées associées aux groupes finis. Il définit formellement la notion de caractère comme un morphisme d'un groupe abélien à valeur dans le corps des nombres complexes non nulle. Les caractères sont parfaitement connus ainsi que leurs relations d'orthogonalité, mais uniquement dans le contexte commutatif.

Enfin, l'idée de groupe fini d'automorphismes n'est pas non plus inconnue. Camille Jordan , étudie les groupes de Galois comme un groupe de matrices en 1870 qu'il appelle le groupe linéaire. Il étudie le cas sur les corps finis premiers, c’est-à-dire de cardinal un nombre premier et traite le cas de la factorisation d'un unique automorphisme. Felix Klein, depuis son célèbre programme d'Erlangen est aussi un familier du concept. Leopold Kronecker et Richard Dedekind développent les prémisses de la théorie des anneaux et des corps. Le groupe de Galois n'est défini qu'à partir d'automorphismes et non plus comme un groupe de permutations de racines.

Si l'idée d'une incarnation d'un groupe fini comme une famille d'automorphismes est parfaitement comprise à la fin du siècle, elle se heurte à une difficulté réelle. Par exemple, pour une équation du quatrième degré, le groupe comprend déjà 24 éléments correspondant chacun à une matrice 24x24. Dedekind développe la méthode des déterminants de groupes. S'il réussit à factoriser le groupe symétrique d'ordre trois, il est dans une impasse pour le cas général.

En 1896 la théorie des groupes finis, ainsi que les outils nécessaires à l'élaboration de la théorie des représentations sont largement développés. Cependant, la taille ainsi que la complexité calculatoire représentent une barrière que Dedekind ne voit pas comment franchir. Il envoie deux lettres à ce sujet adressées à Georg Frobenius le 25 mars et le 6 avril 1896. Le destinataire n'est pas un novice. Il a, par exemple, démontré les théorèmes de Sylow dans le cas des groupes abstraits et déterminé la structure des groupes abéliens de type fini.

Naissance de la théorie (1896)

Lettre de Frobenius à Dedekind du 12 avril 1896

Peu de théories possèdent une date de naissance précise. Les groupes apparaissent par exemple petit à petit, depuis Lagrange jusqu’à la définition exacte de Weber, l'évolution est lente et continue. La théorie des représentations est une exception, les historiens associent systématiquement sa naissance au mois d'avril 1896.

Frobenius répond à Dedekind par trois missives daté du 12, 17 et 26 du mois. Il parvient à factoriser les groupes symétriques d'ordre quatre et cinq ainsi que leurs sous-groupes alternés et le groupe simple d'ordre 168. Il comprend que son approche est à la base d'une vaste théorie et rédige rapidement les traités fondateurs.

Le 16 juillet, il publie un premier article. On peut y lire « je développerai ici le concept (de caractère pour un groupe fini quelconque) avec la croyance que, à travers cette introduction, la théorie des groupes sera substantiellement enrichie ». Les caractères ne se limitent plus au cas abélien, voilà la première clé de son succès.

Cette généralisation permet une factorisation de déterminant de groupe, ce qui amène une deuxième publication. Enfin il existe un produit hermitien naturel pour lequel les caractères irréductibles forment une base orthonormale est le sujet d'un troisième article. Tous ces résultats sont publiés la même année.

À la fin de l'année 1896, beaucoup reste à faire. La notion de représentation n'est pas apparente, l'objet d'étude reste le déterminant de groupe. La notion d'irréductibilité n'est pas là, aucune technique d'extension ne permet d'analyser un groupe à partir de ses sous-groupes, le rapport entre la représentation et l'arithmétique n'est pas établi et seul le cas des nombres complexes est étudié. Cependant, la généralisation des caractères a permis un saut important et laisse présager de la naissance d'une théorie aux conséquences riches.

Essor (1897-1917)

Frobenius

L'idée fondatrice est fertile, les différentes questions associées à la théorie trouvent des réponses rapides et Frobenius reste un acteur majeur. Il publie jusqu'à la fin de sa vie vingt articles sur la théorie des groupes finis, essentiellement sur le sujet des représentations. En 1897, les notions de représentation et d'irréductibilité apparaissent même si de nombreuses évolutions seront encore nécessaire pour que les caractères prennent notre définition moderne, à savoir la trace d'une représentation. L'enrichissement de la structure, à travers l'ancêtre de notion d'algèbre de groupe est aussi présente dans cet article, dans le cas des nombres complexes ou hyper-complexes. Frobenius l'emprunte aux travaux du mathématicien Theodor Molien qui a, de manière totalement indépendanteet travaillé sur le caractère semi-simple de l'algèbre associée. Si Frobenius reconnaît l'importance de ses travaux, Molien reste essentiellement dans l'obscurité. L'année suivante, Frobenius découvre une première méthode d'extension correspondant à notre représentation induite, il établit la remarquable formule de réciprocité qui porte maintenant son nom. En 1899, il établit les formules du produit tensoriel de caractères alors que la notion de produit tensoriel n'est pas encore formalisée, il parle de composition. En 1900 le mathématicien détermine les caractères des groupes symétriques et l'année suivante ceux des groupes alternés.

Au début de XXe siècle, les travaux de Frobenius assurent à la théorie une base solide, les caractères sont généralisés aux groupes non abéliens, les théorèmes d'orthogonalité sont présents, et les techniques d'extension soit par produit tensoriel soit par induction sont comprises. Un regard rétrospectif y voit néanmoins encore trois lacunes. La théorie garde les traces de son origine, les déterminants de groupes forment toujours la structure fondamentale. L'aspect lourd et calculatoire reste inévitable. Les seuls corps véritablement étudiés sont de caractéristique nulle, évacuant ainsi un pan qui apparaît maintenant comme essentiel. Enfin, la dimension arithmétique est quasiment absente. Si le troisième point est juste esquissé et doit attendre les années 1920 avec les travaux d'Emil Artin pour prendre son essor, les deux autres sont largement traités dans la période de temps du paragraphe. Cependant, les contributions majeures sur ces domaines sont le fruit d'autres mathématiciens.

Université de Chicago

Une jeune école mathématique, l'école américaine, influence la théorie naissante. Durant cette époque, l'Université de Chicago est à la pointe de la recherche sur le nouveau continent. R C Archibald écrit : Durant la période 1892-1908 l'Université de Chicago est insurpassable aux États-Unis comme institution pour l'étude des mathématiques avancées. La théorie est étudiée à partir d'un autre angle, Leonard Dickson écrit en 1896 sa thèse de doctorat à l'université de Chicago à propos des groupes linéaires sur des corps finis quelconques, généralisant les résultats de Jordan. Il démontre que tout corps fini commutatif est une extension de Galois d'un corps premier. Elle est publiée en Europe en 1901. Heinrich Maschke , un élève de Klein, rejoint l'Université de Chicago en 1892, il démontre son théorème qui stipule que toute représentation est somme directe de représentations irréductibles. En suivant l'esprit de l'école de Chicago, la démonstration est aussi donnée pour les corps finis (avec une inévitable condition sur l'ordre du groupe). Le mathématicien allemand Alfred Loewy avait, sans preuve, publié ce résultat deux ans auparavant en 1896. Enfin Joseph Wedderburn rejoint l'université de Chicago durant les années 1904-1905 et travaille avec Dickson sur les structures d'algèbres semi-simples dont un exemple important est donné par les algèbres de groupes finis. C'est cependant en 1907 à Édimbourg qu'il publie son article, peut-être le plus célèbre, classifiant toutes les algèbres semi-simples et finalisant les travaux de Molien et Frobenius. L'apport de Chicago peut se résumer en deux points essentiels pour la théorie des représentations : l'approche par les déterminants de groupes tombe en désuétude au profit de la notion de représentation, simplifiant les calculs et la théorie est étudiée sur les corps de caractéristiques quelconques.

Issai Schur

Une autre figure de la théorie de la représentation est essentielle pour la simplification des démonstrations et l'enrichissement de la théorie. Issai Schur est un élève de Frobenius. En 1901 il soutient sa thèse sur les représentations rationnelles d'un groupe fini sur un espace vectoriel complexe.

Il travaille sur le sujet entre les années 1904 et 1907 et utilise le lemme à son nom. Si quelques lignes suffisent à sa démonstration, il simplifie considérablement bon nombre de preuves, particulièrement sur les caractères et leur orthogonalité.

La thèse de Schur apporte, durant cette période une autre contribution majeure. L'analyse de l'aspect rationnel des représentations permet l'introduction des outils de l'arithmétique dans la théorie. Cet enrichissement est à l'origine de nombreuses démonstrations, on peut citer par exemple le fait que toute représentation irréductible possède un degré qui divise l'ordre du groupe (cf Algèbre d'un groupe fini).

William Burnside

William Burnside

William Burnside , après Frobenius, est généralement considéré comme le deuxième fondateur de la théorie des représentations. Son intérêt pour les groupes finis est antérieur aux travaux de Frobenius. Il est l'auteur d'un article de 1895 démontrant que tout groupe fini possédant un 2-groupe maximal cyclique n'est pas simple.

Il comprend immédiatement l'apport de la théorie des représentations. Sa démarche est néanmoins différente de celle de Frobenius ou de Schur. Sur la cinquantaine d'articles publiés sur la théorie des groupes, l'essentiel de son travail consiste à utiliser les résultats de la théorie pour établir les fondements d'une classification des groupes finis.

Il ouvre des conjectures comme le problème de Burnside sur les groupes de type fini et d'exposant fini et utilise les représentations pour défricher cette question. Cette conjecture, malgré de nombreux travaux, comme ceux de d'Efim Zelmanov qui lui apporte une médaille Fields en 1994, reste encore essentiellement ouverte en 2006.

Ses travaux de 1905 qui l'amène à étudier le cardinal d'un groupe résoluble, permet de généraliser les résultats de Ludwig Sylow . Il utilise, pour la démonstration de nombreuses facettes de la théorie des représentations. On peut citer par exemple les caractères de Frobenius, ou l'arithmétique de Schur. Une fois encore, ce théorème est à la base d'une grande question, largement étudiée au XXe siècle. Elle est finalement tranchée par John Thompson qui reçoit la médaille Fields pour son article écrit en commun avec Walter Feit et qui démontre que tout groupe d'ordre impair est résoluble.

Burnside écrit un livre de référence sur la théorie des groupes. La seconde édition, datant de 1911 est toujours d'actualité.

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