En algèbre, l'arithmétique des polynômes décrit les propriétés des polynômes qui peuvent se déduire de l'arithmétique et qui sont un peu analogues à celles des nombres entiers. Par exemple, l'anneau des polynômes K[X] à une indéterminée X et à coefficients dans un corps commutatif K dispose d'une division euclidienne. Si le lecteur n'est pas familier avec les structures de corps et d'anneau, il peut considérer K comme une lettre symbolisant l'ensemble des nombres réels ou complexes. La division euclidienne est à l'origine des théorèmes clés de l'arithmétique élémentaire. Il en est de même pour l'arithmétique des polynômes. On démontre de la même manière l'identité de Bézout, le lemme d'Euclide ou un équivalent du théorème fondamental de l'arithmétique, les polynômes irréductibles et unitaires prenant alors la place des nombres premiers.
Ces résultats ne s'appliquent plus de la même manière si les coefficients sont choisis dans un ensemble A comme celui des nombres entiers, où les éléments ne sont pas toujours inversibles pour la multiplication. L'étude de cette configuration demande l'usage d'un attirail d'outils mathématiques plus puissants. Ils permettent de montrer que si l'identité de Bézout n'est plus vérifiée, un équivalent du théorème fondamental de l'arithmétique reste encore valable. Cette propriété reste vraie si l'anneau comporte plusieurs indéterminées. Autrement dit, si A est un anneau factoriel, l'anneau des polynômes à coefficients dans A est aussi factoriel, quel que soit le nombre d'indéterminées. Dans certains cas, l'anneau A n'est pas factoriel mais juste noethérien. À condition que l'anneau des polynômes ne contienne qu'un nombre fini d'indéterminées, il est aussi noethérien.
Ces différents résultats sont à l'origine de théorèmes fondateurs de diverses branches de l'algèbre. La théorie de Galois s'appuie sur la structure euclidienne de K[X], la théorie algébrique des nombres fait usage du caractère factoriel et noethérien d'un anneau de polynômes à une ou plusieurs indéterminées sur un anneau factoriel. Enfin, des théorèmes comme celui de la base de Hilbert ou le Nullstellensatz, essentiels en géométrie algébrique, sont des conséquences directes de l'arithmétique des polynômes.
Dans le reste de l'article K désigne un corps commutatif. Ce corps peut être égal à Q celui des nombres rationnels, R celui des réels ou C pour les complexes, ou encore un corps fini. Dans ce paragraphe tous les polynômes sont en une indéterminée et à coefficients dans K, l'anneau de ces polynômes est noté K[X]. L'anneau K[X] possède une division euclidienne (cf l'article Division d'un polynôme) et comme pour tout anneau euclidien, les conséquences sont multiples. Elles sont exactement semblables à celle traitées dans l'article arithmétique élémentaire, qui traite de l'arithmétique des nombres entiers.
Il est possible d'exprimer ces résultats sous deux formes, la première et la plus simple est celle utilisé dans l'article arithmétique élémentaire. La deuxième, emploie le vocabulaire de la théorie des anneaux, c'est-à-dire des termes comme idéal, idéal principal, premier ou encore maximal. L'article explicite les résultats dans les deux langages.
Suivre le plan de l'article Arithmétique élémentaire, suppose dans une premier temps de s'intéresser aux sous-ensembles de K[X] non vide et stable pour l'addition et la soustraction. Pour que les conséquences soient aussi riche que dans l'article sur les entiers, il est nécessaire d'ajouter la stabilité de l'ensemble par multiplication par un polynôme quelconque. On obtient le résultat suivant :
Sous-ensemble stable — Un sous-ensemble M non vide de K[X] est stable par addition, soustraction et multiplication par un polynôme quelconque si, et seulement si, il existe un polynôme m tel que M soit l'ensemble des multiples de m.
En termes de théorie des anneaux, ce résultat indique que K[X] est un anneau principal, ce qui est le cas de tout anneau euclidien. La démonstration se trouve dans l'article Anneau euclidien.
La conséquence directe est :
Identité de Bézout — Soit P et Q deux polynômes, P et Q sont premiers entre eux si, et seulement si, il existe deux polynômes M et N tel que :
Il devient nécessaire de définir l'expression polynômes premiers entre eux. Deux polynômes sont premiers entre eux lorsque les seuls polynômes qui les divisent tous les deux sont les polynômes constants non nuls. Cette définition est très proche de celle des entiers qui sont premiers entre eux lorsque les seuls diviseurs communs sont 1 et -1, c'est-à-dire les éléments inversibles de l'anneau.
Dans le vocabulaire des anneaux, l'identité se traduit un peu différemment. Soit A et B deux idéaux de K[X], si l'intersection de A et de B est égal au produit des idéaux A.B (ce qui est l'équivalent de l'expression premiers entre eux), alors l'idéal A + B est égal à K[X].
La démonstration étant la même que celle de l'article arithmétique élémentaire, la rédaction proposée ici est succincte. Il est simple de remarquer que les ensembles de multiples sont stables au sens de l'énoncé.
Réciproquement on suppose que M est un ensemble stable au sens de l'énoncé et non réduit à 0, soit m un polynôme de M non nul et de degré minimal et p un polynôme quelconque de M, la division de p par m donne un polynôme de M, par stabilité de M. Le reste de cette division est un polynôme de degré strictement inférieur à m et par définition de m ce reste est nécessairement nul. Ce qui montre que tout élément de M est un multiple de m. Réciproquement la stabilité montre bien que tout multiple de m est un élément de M, ce qui termine la démonstration.
L'ensemble des polynômes de la forme M.P + N.Q est stable au sens de l'énoncé précédent, c'est donc un ensemble de multiple d'un polynôme m. L'ensemble étudié contient P et Q, ce qui montre que P et Q sont des multiples de m.
Si P et Q sont premiers entre eux, m est un polynômes constant non nul car ce sont les seuls à diviser à la fois P et Q. L'ensemble des multiples de m contient m.m-1 égal à 1, ce qui montre que l'identité de Bézout est vérifié pour au moins un couple de polynôme (M, N).
Réciproquement, si P et Q ne sont pas premier entre eux, ils ont un diviseur commun C qui n'est pas de degré nul. Et M.P + N.Q est un multiple de C et ne peut être égal à 1.
Continuer l'analogie avec l'arithmétique élémentaire demande à ce niveau de disposer d'un équivalent des nombres premiers. Dans Z, un nombre premier n'est divisible que par 1, -1 ou le produit d'un de ces deux éléments et de lui-même. Cependant ces nombres ne sont que qualifiés d'irréductibles. Pour qu'ils soient déclarés premiers il faut en plus qu'ils soient positifs. Ce qui caractérise un nombre premier, ce sont ces multiples, or 2 et -2 ont le même ensemble de multiples, ce qui forme une classe d'équivalence dont la relation R est définie par : a et équivalent à b lorsque a et b possèdent le même ensemble de multiples. Dans le cas général, deux éléments d'un anneau a et b sont équivalents, ou encore ont le même ensemble de multiples, s'il existe un élément c inversible pour la multiplication, tel que a.c = b. Dans Z, les deux seuls éléments inversibles sont 1 et -1. On dit qu'ils sont éléments du groupe des unités et les éléments inversibles sont dits des unités. La relation d'équivalence est étudiée dans l'article Groupe des unités. Dans le cas des polynômes :
Groupe des unités de K[X] — Le groupe des unités de K[X] est formé par les polynômes constants non nuls.
On en déduit une définition pour les polynômes, presque équivalente à celle des nombres premiers :
Polynôme irréductible — Un polynôme est dit irréductible lorsqu'il n'est pas inversible et que ses diviseurs sont, soit des polynômes constants inversibles, soit le produit de lui-même par un polynôme constant.
On dispose, par exemple de la proposition :
Polynôme du premier degré — Un polynôme du premier degré est toujours irréductible.
Pour exprimer l'équivalent théorème fondamental de l'arithmétique, il est important de choisir un unique nombre premier dans chaque classe d'équivalence, pour la relation R, de nombres irréductibles. Dans Z, il suffit d'indiquer qu'un nombre irréductible est dit premier s'il est positif, car chaque classe d'équivalence contient deux éléments : a et son opposé -a. La même relation d'équivalence dans K[X] existe et la classe d'équivalence d'un polynôme P est l'ensemble des polynômes k.P si k décrit tous les éléments de K non nuls. Pour exprimer l'équivalent du théorème fondamental de l'arithmétique, on choisit généralement l'élément de la classe qui est unitaire, c'est-à-dire celui dont le coefficient du monôme dominant (celui du plus haut degré) est égal à 1. Dans chaque classe d'équivalence de polynôme irréductible, il n'existe en effet qu'un unique polynôme unitaire.
C'est une conséquence des propriétés des degrés des polynômes (cf Construction de l'anneau des polynômes). Le polynôme constant 1 est de degré 0 et le produit de deux polynômes est de degré la somme des degrés des deux polynômes. En conséquence, un polynôme de degré différent de 0 ne peut être inversible.
Réciproquement, un polynôme de degré 0 est par définition un polynôme constant non nul k, dans un corps tout élément non nul k possède un inverse pour la multiplication k-1, or k.k-1 est bien égal à 1, et tout polynôme constant non nul est bien un élément du groupe des unités.
Soit P un polynôme du premier degré et M, N deux polynômes dont le produit M.N est égal à P. L'égalité sur les degré d'un produit de polynômes montre que le degré de M plus le degré de N est égal à 1. L'un des deux polynômes possède nécessairement un degré égal à 0 et l'autre à 1. Si M est celui de degré égal à 0, comme il ne peut pas être nul (le produit M.N, égal à P, serait nul et non du premier degré) M est inversible et N est égal à M-1.P. Ceci montre que les diviseurs de P sont soit des polynômes constant soit le produit de lui-même par un polynôme constant, il est bien irréductible.
Avant d'énoncer le théorème fondamental, un premier lemme est utile :
Lemme d'Euclide — Soit P un polynôme irréductible et A, B deux polynômes. Si le produit des deux polynômes A.B est un multiple de P, alors soit A soit B est un multiple de P.
En termes d'anneau, ce résultat s'exprime comme par : Si un idéal premier I contient le produit de deux idéaux A et B il est contient soit A soit B , proposition toujours vraie dans un anneau principal (cf l'article Idéal premier).
On obtient finalement le théorème suivant :
Décomposition en facteurs irréductibles — Un polynôme non nul se décompose de manière unique, à l'ordre près, en un produit comportant un polynôme constant et des polynômes unitaires irréductibles.
Autrement dit, en termes d'anneau, K[X] est factoriel, car tout anneau principal est factoriel (cf l'article Anneau factoriel).
La démonstration proposée dans l'article Lemme d'Euclide s'applique exactement au cas des polynômes, car on dispose de l'identité de Bézout.
Montrons l'existence pour un polynôme P dont le degré est noté n et le coefficient du monôme dominant k. Si n est égal à 0, le résultat est évident et si n est égal à 1, le polynôme est irréductible (résultat déjà démontré dans cet article) et il suffit de factoriser k pour conclure. Pour les autres cas, on raisonne par récurrence sur le degré de P. On suppose la proposition démontrée pour tout polynôme de degré inférieur ou égal à p, on suppose alors que n est égal à p + 1. Si P est irréductible, il suffit de factoriser P par k pour obtenir la décomposition. Sinon, il existe deux polynômes M et N de degrés inférieurs ou égals à p tel que P soit égal à M.N, on applique l'hypothèse de récurrence à M et N, et M.N est le produit de deux polynômes constants et de polynômes irréductibles, il suffit de multiplier les polynômes constants pour conclure.
La démonstration de l'unicité est exactement celle de l'article détaillé car on dispose du lemme d'Euclide.
Une structure digne d'intérêt sur les entiers est celle du quotient Z/nZ. Un élément de ce quotient est représenté par un reste de division euclidienne d'un entier quelconque par n, on trouve toujours un représentant unique d'une congruence modulo n dans les entiers positifs strictement plus petit que n. Si p est un entier irréductible (c'est-à-dire un nombre premier ou son opposé), la structure Z/pZ est un corps, autrement dit, tout élément non nul de Z/pZ est inversible.
Soit P un polynôme irréductible, il est tentant de considérer les polynômes de K[X] modulo P. On obtient une structure avec une addition et une multiplication, qui vérifie toutes les propriétés d'un anneau commutatif unitaire, exactement comme celle décrite dans l'article Congruence sur les entiers. On dispose encore de la propriété :
Congruence sur K[X] modulo un polynôme irréductible — Si P est un polynôme irréductible de K[X], toute congruence modulo P non nul possède un inverse pour la multiplication.
Notons L la structure des congruences sur les polynômes de K[X] modulo P. Comme tout élément différent de 0 est inversible pour la multiplication, on dit que c'est un corps. Il est appelé le corps de rupture de K. Ce corps dispose d'une propriété remarquable :
Corps de congruence, vu comme un espace vectoriel — Le corps L dispose d'une structure de K espace vectoriel de dimension le degré de P.
Pour s'en rendre compte, considérons un polynôme M de K[X] dont la congruence n'est pas nulle, modulo P. Autrement dit, le reste de la division de M par P n'est pas nul, ce qui revient à dire que P ne divise pas M. Comme P est irréductible, cela revient aussi à dire que M et P sont premiers entre eux, l'identité de Bézout montre qu'il existe deux polynômes A et B tel que :
En termes de congruence, cela signifie que :
Cette égalité signifie exactement que la congruence de A est l'inverse pour la multiplication de la congruence de M modulo P.
Le corps L dispose d'une multiplication externe sur le corps des scalaires K, de manière naturelle. Si k désigne un scalaire de K et Mc la congruence modulo P représenté par le polynôme M, le produit k.Mc est la congruence représenté par le polynôme k.M. Il est simple de vérifier que cette multiplication externe définit bien une structure d'espace vectoriel sur L, muni de l'addition.
Il faut encore exhiber une base, pour calculer sa dimension. Notons χ la congruence de l'indéterminée X modulo P et B la famille (1, χ, χ2, ..., χn-1) et montrons que B est une base de L, considéré comme un K espace vectoriel.
Il ne reste plus qu'à montrer que :