Temps (physique) - Définition

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Introduction

Le temps (du latin tempus) est une notion fondamentale de la Nature dans son sens de temps qui passe. « Les physiciens, écrit Étienne Klein, n'essaient pas de résoudre directement la délicate question de la nature du temps (...). Ils cherchent plutôt la meilleure façon de représenter le temps. » Cela vise précisément à mieux appréhender le problème de la mesure physique du temps et des prédictions qui s'y rapportent.

Héraclite et les atomistes proposaient de confondre la matière avec le mouvement. Selon eux, tout est mobile. En étudiant la chute des corps, Galilée fut le premier à considérer le temps comme une grandeur quantifiable qui permettait de relier mathématiquement les expériences. C'est ainsi qu'en choisissant le temps comme paramètre fondamental, il en déduit que la vitesse acquise par un corps en chute libre est simplement proportionnelle à la durée de sa chute. La première figuration du temps fut une ligne (puis une ligne orientée dans un seul sens, ou flèche du temps) composée d'une suite d'instants infinitésimaux.

Les interactions de la matière dans l'espace (définis comme phénomènes physiques) nécessitent un degré de liberté (une dimension) : le temps. Ce degré de liberté peut être représenté ou figuré par une dimension d'espace, suivant une correspondance donnée par un déplacement à vitesse constante, tandis que les autres dimensions de la représentation peuvent toujours servir à représenter des dimensions spatiales. Ainsi peut-on figurer dans un plan ce qui a lieu sur une droite au cours du temps via un déplacement de cette droite à vitesse constante, et figurer dans l'espace usuel ce qui a lieu dans un plan au cours du temps.

Ce mode de représentation du temps sous forme spatiale permet de saisir sous certains aspects la manière dont le temps est relié à l'espace en théorie de la relativité, laquelle décrit un continuum de l'espace-temps, suivant les termes d'Einstein. Il est possible d'envisager des longueurs ou des durées aussi petites que l'on veut.

Le temps scientifique et le temps psychologique

On distingue traditionnellement deux dimensions conceptuelles vis-à-vis du temps. La première peut être qualifiée d'objective : mathématisée, elle correspond au temps étudié par la science physique et que les philosophes désignent usuellement par le terme de « temps. » Coexiste avec cette première voie de conceptualisation une dimension plus subjective du temps, soulevant principalement la problématique de sa perception par l'homme. Il ne s'agit pas seulement de la perception des durées, mais plus généralement de la compréhension de l'écoulement du temps.

La première de ces deux dimensions, le temps objectif, est affaire de mesure et de grandeur, lesquelles sont définies en rapport à une horloge invariable. L'unité légale du temps dans le système international est la seconde (et ses multiples), mais la quantification de cette unité a varié au cours de l'histoire.

Le temps subjectif peut, en première approche, être défini comme l'altération psychologique du temps objectif. En « temps subjectif » les secondes peuvent paraître des heures et les heures, des secondes. La durée (i.e. l'impression subjective du temps) dépend particulièrement des émotions ressenties par la personne qui l'évalue. Autrement dit, il existe une horloge subjective et variable, qui bat la mesure en raison inverse de la concentration du sujet... Pour le sujet très pris par son activité (par exemple quand il s'amuse), l'horloge bat très lentement, il ne s'écoule que quelques battements et le sujet « ne voit pas le temps passer. » Inversement, quand on s'ennuie ou qu'une situation est dramatique (lors d'un accident, par exemple), les phénomènes semblent se ralentir (l'attention cherche un appui), les battements s'accélèrent et on « trouve le temps long. »

Toutefois, temps objectif et subjectif ne suffisent pas à donner une vue complète de la complexité posée par la conceptualisation du temps. Premièrement, ce qui semblait objectif pour les premiers astronomes – pionniers de l'estimation du temps – s'est révélé bien subjectif, les premières mesures venues. Par la suite, plusieurs révolutions conceptuelles ont pris le contrepied d'un modèle du temps objectif absolu et indépendant des phénomènes physiques. La relativité de la mesure du temps n'est ainsi pas l'apanage de la condition humaine.

Deux domaines des sciences ont des implications profondes avec le temps : la physique et la biologie. Pour les physiciens, le temps a une importance cruciale dans la formalisation des systèmes et des lois de la Nature. D'abord considéré comme un paramètre, le temps a acquis une stature nouvelle avec la Théorie de la relativité. Les biologistes ne peuvent pas non plus ignorer le temps, puisque l'essentiel de l'étude du vivant a affaire avec les interactions dynamiques et les ajustements au cours du temps, quelle que soit l'échelle considérée : de la théorie de l'évolution à la multiplication des microbes, le temps impose son cours. L'étude des différentes conceptualisations du temps en physique est cependant riche d'enseignements généraux et sera abordée en premier.

Le temps instantané de la mécanique classique

Le temps « scientifique », qui hérite directement des idées aristotéliciennes, apparaît pour ainsi dire soudainement avec la révolution de la mécanique en Europe, au début du XVIIe siècle. Avec la formalisation mathématique du système galiléo-newtonien, le temps est défini comme un cadre absolu, un repère inaltérable. Temps et espace constituent dans la mécanique dite « classique » les éléments indépendants d'un référentiel au pouvoir qu'on pourrait qualifier de régalien : les phénomènes physiques y trouvent leur place en tant que produits des lois, lesquelles sont totalement subordonnées au couple d'absolus formé par l'espace et le temps – ce qui constitue une formalisation simple et élégante de la causalité, tout à fait intuitive pour le non scientifique.

Cette vision du monde physique vient en fait directement d'Aristote ; elle n'en a pas moins constitué une grande avancée dans la conceptualisation du temps car elle acquiert, par les mathématiques, un statut nouveau : démystifié, débarrassé de ses attributs divins, le temps n'est plus considéré comme une qualité mais déjà comme une quantité. Cela est notamment lié aux progrès effectués dans la mesure du temps : le Moyen Âge a vu l'horlogerie se développer considérablement, et l'idée d'un temps universel, sur la base duquel tous ces instruments de mesure pourraient être synchronisés, transparait finalement dans la physique et la pensée scientifique.

Ainsi, le temps prend le contre-pied de la superstition... mais aussi de l'histoire. C'est la naissance du premier temps physique construit, grâce au calcul différentiel. Exprimé sous la forme d'un rapport entre deux moments successifs, d'une « transformation invariante », le flux continu qu'est le temps en mécanique classique perd dès lors de sa substance : les lois absolues ne considèrent en effet que les conditions initiales et leur devenir au cours du temps désormais mathématisé. Un tel temps, sans consistance propre, si éloigné de l'ontologie, fera dire à Kant que le temps est, non pas du tout une catégorie a priori de l'entendement, mais la forme a priori de la subjectivité humaine. Pour le physicien en mécanique classique, il s'agit très pragmatiquement de considérer que le temps n'est plus une qualité, comme chez la majorité des penseurs grecs, mais un mode de l'être et une condition de son devenir. Ainsi, un corps change, se déplace, mais le temps vient avec lui, dans son absolue invariabilité, comme une « persévérance de l'être. » Il doit donc être supposé régulier – immuablement régulier : le calcul différentiel construit et donne naissance au temps instantané, qui fixe une fois pour toutes les relations de la causalité et de la logique (les lois de la Nature). Cette conceptualisation du temps fut d'abord géométrique ; la mécanique analytique de Lagrange aidera à affiner la physique du mouvement sur la base de ce temps newtonien.

Le temps dépendant de la Relativité générale

À l'époque du modèle newtonien, tous les physiciens ne sont pas en accord avec le modèle de temps et d'espace absolus qui prévaut désormais. Ainsi, Ernst Mach considérait-il le temps comme un moyen d'exprimer facilement certaines relations entre les phénomènes, à l'instar de Leibniz. Cette façon de voir les choses peut sembler saugrenue à la lumière de la physique classique. Pourtant, les développements théoriques de Lorentz jusqu'à nos jours lui donneront, en partie tout du moins, raison.

Un temps malléable

Divers problèmes et contradictions amenèrent les physiciens du XIXe siècle à réexaminer la mécanique classique. Poincaré en propose une vue historique d'intérêt dans son ouvrage La Valeur de la Science. En ce qui concerne le temps, l'essentiel du changement intervient avec Albert Einstein, et tout premièrement avec la relativité restreinte. Dans cette théorie, « ce qui se propose en premier, ce sont les phénomènes – et non la mesure – : le temps et l'espace en termes desquels nous représentons ces phénomènes sont construits de manière à permettre une représentation adéquate de ces derniers. » Pour comprendre le bouleversement conceptuel relatif au temps, il suffit de savoir qu'Einstein entreprend de relier deux théories alors incompatibles, ou tout du moins contradictoires : la mécanique et l'électromagnétisme. La première exprime le principe de relativité, qui est déjà connu (Galilée l'exprimait déjà) ; la seconde stipule notamment que la vitesse de la lumière est constante, indépendamment du mouvement de la source qui l'émet (donc, fondamentalement, non relative). Afin d'unifier ces deux approches, le physicien va non seulement construire mais redéfinir le temps et l'espace (donc les notions de mouvement et de vitesse). Temps et espace, exprimés comme un couple par l'espace-temps de Minkowski, deviennent dépendants des propriétés générales des phénomènes, i.e. des principes explicités ci-avant. Il s'agit là d'une rupture forte avec la mécanique classique, qui s'exprimait à travers un temps absolu et immuable. La relativité générale impose ce diktat des phénomènes sur le temps à tous les types de mouvements, et non plus seulement au mouvement inertiel.

Elle montre en effet, via des équations complexes, que l'espace-temps est déformé par la présence de matière, et que cela se manifeste par une force que nous appelons la gravité. Selon Albert Einstein, temps, espace et matière ne peuvent exister l'un sans l'autre. Plus encore, elle inverse l'ordre habituel de causalité : ce ne sont plus le temps et l'espace qui sont le cadre des phénomènes mettant en jeu la matière, mais les corps qui influent principalement sur le temps et l'espace. Le temps regagne ici quelque matérialité, ce qu'il avait perdu chez Newton. L'ordre des événements, la succession, est inséparable de la causalité, et plus spécifiquement, des propriétés de la lumière. Kant l'avait déjà vu en partie, mais il croyait que la simultanéité était déterminée par une relation de causalité réciproque. C'est qu'il pensait en termes de choses, comme le soleil et la terre, non en termes d'événements. De plus, si pour Kant les propriétés du temps étaient liées à une expérience, si elles n'avaient aucune nécessité logique apodictique, il ne s'agissait pas de l'expérience physique, mais de celle de notre propre sens intime, ou plutôt de sa forme a priori.

Cette vision est certainement non intuitive pour le commun des mortels : un temps qui se dilate ou se raccourcit semble bien irréel. Il est pourtant celui qui permet d'expliquer des phénomènes comme la périhélie de la planète Mercure ou les lentilles gravitationnelles, tout en étant compatible avec notre observation quotidienne du monde. Le trou noir constitue un exemple spectaculaire des propriétés théoriques du temps relativiste lorsque considéré à des vitesses proches de celle de la lumière.

Le lien entre espace et temps a également pour conséquence que la notion de simultanéité perd de son absolu : tout dépend de l'observateur. Ce phénomène ne fait pas non plus partie du sens commun, car il n'est visible que si les observateurs se déplacent l'un par rapport à l'autre à des vitesses relativement élevées par rapport à la vitesse de la lumière. De façon générale, la théorie de la relativité nous indique que le temps objectif du physicien n'en est pas moins variable (ce qui se traduit par local en termes d'espace-temps). La mesure du temps est différente d'un référentiel à un autre, quand leurs vitesses respectives sont différentes l'une par rapport à l'autre. Cette condition nous permet de parler de réintroduire la notion de simultanéité : il y a là une simultanéité « objective » locale, un faux plus vrai que le vrai.

L'écoulement du temps relativiste

Les équations des théories physiques considèrent donc aujourd'hui le temps comme relatif. Les équations de la physique sont symétriques par rapport à une translation dans le temps. Le théorème de Noether, établi en 1918, montre que cette propriété implique l'existence d'une quantité, l'énergie, qui se conserve quelles que soient les interactions entre objets. En même temps que de fabuleuses avancées théoriques et pratiques, la relativité a apporté de nouvelles questions quant à la nature intime du temps. Beaucoup ont à voir avec son écoulement, ce qui les rapproche des interrogations usuelles de l'homme.

Savoir si l'écoulement du temps a des extrémités, un début, une fin, est une question qui a motivé de très nombreux scientifiques de tous champs disciplinaires, et qui renvoie bien sûr aux innombrables croyances sur la genèse et la fin du monde. Du point de vue scientifique, de nombreuses observations, interprétées dans le cadre de la théorie de la relativité générale, ont permis d'établir la théorie du Big Bang, selon laquelle l'univers aurait eu un début, où seraient apparus le temps, l'espace et la matière tels qu'on les comprend aujourd'hui. Selon les connaissances actuelles, le temps relativiste aurait commencé il y a environ 13,7 milliards d'années. Le fait que le temps ait eu un début, et que la question « qu'y avait-il avant le début du temps ? » n'ait pas de sens est extrêmement difficile à se représenter. Parmi les observations qui ont permis de confirmer la théorie du Big Bang – dans le sens où cette théorie leur donne une explication cohérente – figurent le décalage vers le rouge du spectre lumineux émis par les étoiles lointaines, ainsi que l'existence d'un rayonnement cosmique provenant de toutes les directions de l'univers, correspondant à un rayonnement du corps noir de température 2,73 kelvin.

Le temps cosmique en relativité

Tous ces questionnements posent une question plus large, celle de la définition d'un temps cosmique : le temps général prévalant dans l'Univers, « ultime. » Dans la physique newtonienne, le temps absolu joue pleinement ce rôle ; toutefois, il exclut par son existence même la possibilité de tout phénomène également absolu – i.e. d'échelle cosmique : l'Univers physique – si bien que la définition d'un temps cosmique parce qu'absolu semble aujourd'hui erronée – notamment à la lumière de la relativité générale. La théorie de la relativité, précisément, n'offre pas de modèle préconçu concernant un tel temps cosmique : au cours du XXe siècle, de nombreuses théories cosmologiques ont été proposées. Parmi elles, ce sont les modèles liés à la théorie du Big Bang qui semblent les plus probables, car les plus en accord avec les principes généraux de la relativité. Ce sont également les modèles qui offrent les meilleures formalisations d'un temps cosmique et permettent d'étudier l'évolution de l'Univers : le déroulement du temps y est logique d'après le point de vue humain, car linéaire, unidirectionnel... Pourtant, la définition d'un temps cosmique dans le cadre du Big Bang a apporté une énigme de plus : en « remontant » le cours du temps, il existe une limite infranchissable à ce jour, qu'on appelle le temps de Planck. Avant ce moment de la vie cosmique, les théories actuelles ne tiennent plus et la connaissance ne peut plus être ne serait-ce qu'extrapolée, car la science a besoin d'espace et de temps pour exister. Que peut-elle faire, quels indices logiques peut-elle nous donner, si elle prédit l'écroulement de ses propres fondations ? Un nouveau cadre conceptuel est ici à inventer, si tant est qu'il puisse s'en trouver un.

Une autre interrogation plus riche d'enseignements concerne donc la nature de l'écoulement du temps, depuis le premier moment de son existence (le fameux temps de Planck) : son cours est-il régulier ? Le système newtonien imposait évidemment un temps rigide. La relativité impose tout aussi naturellement un temps élastique, mais on a vu comment cette transformation s'est opérée par une redéfinition conceptuelle complexe, où le temps acquiert un double rôle de référentiel et de substance malléable. Enfin, on peut s'interroger sur le sens de l'écoulement du temps. Intuitivement, nous posons le temps comme unidirectionnel, tel une marche en avant du passé vers le futur. Le langage exprime d'ailleurs les rapports entre les différents moments du temps linéaire avec une grande richesse. Toutefois, de nombreuses lois physiques sont, mathématiquement, réversibles sur la flèche du temps.

La flèche du temps

Les équations de la physique sont en effet bien souvent symétriques par rapport à une « inversion temps ». C'est le cas de toutes les équations qui décrivent les phénomènes à une échelle microscopique. Ainsi, si on passe l'enregistrement d'une interaction physique se produisant à échelle microscopique, il est impossible de dire si l'enregistrement est passé à l'endroit ou à l'envers.

Pourtant, à l'échelle macroscopique, certains phénomènes ne peuvent évidemment pas se passer à l'envers. Ainsi, un œuf qui tombe par terre et qui se casse, ne rebondira jamais sur la table dans le même état qu'avant sa chute fatale. Un autre exemple peut-être moins trivial mais quotidien est la transmission d'énergie thermique entre corps, laquelle se fait toujours du corps le plus chaud vers le corps le plus froid – jamais l'inverse. La deuxième loi de la thermodynamique, dont l'objet est l'évolution de l'entropie au cours des échanges de chaleur, postule que l'entropie d'un système isolé ne peut qu'augmenter, et donne donc une loi physique non symétrique par rapport au temps. Ludwig Boltzmann a tenté d'expliquer comment des phénomènes réversibles par rapport au temps à l'échelle microscopique peuvent conduire à une flèche du temps évidente à l'échelle macroscopique. Pour cela, il a développé la physique statistique, où les probabilités jouent un rôle très important. L'explication actuelle, portée par la physique quantique, qui étudie les interactions aux plus petites échelles de la matière, repose sur l'idée de complexité. À l'échelle microscopique, les constituants que sont les atomes ont un comportement individuel erratique qu'on peut modéliser fidèlement par voie statistique – jusqu'à approcher la complète certitude pour certaines propriétés. Mais même une simple aiguille de fer contient des milliards de milliards d'atomes : « notre inaptitude à préciser exactement quelle est la configuration microscopique du système ne permet de caractériser celui-ci qu'avec un certain flou. » Lorsque la cohésion d'un tel système est brisée ou seulement modifiée, les interactions des particules entre elles diluent l'information connue dans la complexité incroyablement grande de la dynamique d'évolution du système. Perte d'information, ou par équivalence, croissance du désordre moléculaire, engendrent sur la base de lois réversibles des comportements déterministes à notre échelle de vie. L'entropie est une mesure de ce désordre de la matière, dont la portée a été étendue à d'autres disciplines, notamment en Théorie de l'information. Ainsi, la flèche du temps s'appuie sur le cours du temps causal, et introduit l'idée d'orientation pour certains phénomènes.

L'irréversibilité du temps, qui est exactement pour nous la direction de son écoulement, passe donc par la définition d'une orientation générale. Par exemple, « l'entropie apparaît comme indicateur du sens d'évolution [d'une réaction macroscopique] et sa croissance dans le temps mesure le degré d'irréversibilité d'un processus ». À examiner le monde tel qu'il nous est donné, que ce soit par la physique ou par nos sens, flèche du temps et direction semblent cohérents. Les « énergistes » du XIXe siècle pointaient pourtant le manque de bon sens qui caractérisait selon eux l'atomisme et en particulier, la thermodynamique. Il est vrai que la réversibilité à l'échelle microscopique semble aller contre le temps ; mais ils se trompaient en désignant par flèche du temps son cours. Newton n'avait pas fait cette erreur, et sans avoir eu a examiner ce problème, avait déjà compris que le concept de flèche du temps est différent de celui de l'irréversibilité : une loi physique peut bien être réversible sur le papier, les évènements qui en sont l'illustration, qu'ils se produisent à l'endroit ou à l'envers par rapport au temps intuitif (tel l'œuf qui se casse ou se recompose), ces évènements n'en sont pas moins inscrits dans le cours du temps, dans sa progression – ils adviennent. L'idée de remonter le temps, notamment, au sens d'en annuler son déroulement et d'en inverser le cours, est fondamentalement contre-intuitive. La thermodynamique en donne des exemples. Une autre illustration, en physique relativiste, est le cas de la lumière piégée dans un trou noir : elle parcourt une géodésique de l'espace-temps refermée sur elle-même, de sorte que pour elle le temps est figé ou annulé, ou quelque chose de cet ordre ; et on peut imaginer en effet que les photons puissent remonter le cours du temps « sur eux-mêmes ». Mais il ne s'agit-là que de spéculation, pour ne pas dire d'une interprétation erronée ; la pensée scientifique incite à considérer que seule la science-fiction détient le séduisant pouvoir de donner une réalité au voyage temporel dans le passé.

La physique quantique et la thermodynamique nous apprennent que, fondamentalement, le grand mystère de l'Univers semble résider dans ses conditions initiales. En effet, la flèche du temps manifeste, ou porte, sans qu'on ne sache trop bien, l'importance critique des conditions initiales face à l'évolution d'un système, qui du réversible, passe au déterminé à travers le déterminisme chaotique. Ce problème des conditions initiales reste entier, mais suggère de nouvelles et intéressantes pistes de réflexion sur le temps, lesquelles permettront, peut-être ? de dépasser les limites actuelles des modèles théoriques scientifiques et philosophiques, en construisant ou en découvrant un « temps causal unifié ».

Pour l'heure, c'est donc la flèche du temps qui porte le concept moderne de temps, aussi bien en sciences qu'ailleurs. Ainsi, la physique n'impose pas une flèche du temps universelle : la biologie introduit son propre cours immuable des choses, et on peut réfléchir à une flèche du temps psychologique. Et la physique elle-même a mis à jour plusieurs flèches du temps, adaptées à l'un ou l'autre de ses champs disciplinaires : on trouve ainsi pêle-mêle la flèche gravitationnelle, qui voit son expression la plus spectaculaire dans l'effondrement stellaire ; la flèche radiative, qui révèle que toute source radiative est vouée à s'éteindre ; la flèche thermodynamique, explicitée ci-avant ; ou encore la flèche quantique... Nous nous créons intuitivement notre propre flèche du temps, du passé vers le futur, mais il est vrai que nous sommes plus sensibles aux durées qu'à la direction du temps – aussi la science conserve-t-elle un « monopole » de l'étude des flèches temporelles. La diversité de ces modélisations est peut-être un indice de leur imperfection.

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