L'église Saint-Martin, en allemand Groß St. Martin (littéralement église Saint-Martin-la-Grande ou église Saint-Martin-Majeure, parfois traduit par Grand-Saint-Martin) est une des douze ― et la troisième par ses dimensions ― églises romanes qui subsistent à Cologne et dont la sauvegarde est appuyée par l’association Förderverein Romanische Kirchen Köln (litt. Association de promotion des églises romanes de Cologne). Elle se dresse au-dedans du périmètre de la vieille ville, quoiqu’elle se trouve aujourd’hui étroitement enserrée de maisons d’habitation et de commerce datant principalement des années 1970 et 80. Cette basilique à trois vaisseaux, au chevet en forme de trèfle, et au massif clocher de croisée doté de quatre clochetons d’angle, est parmi les monuments emblématiques les plus marquants de la ville de Cologne, contribuant à façonner la silhouette de la cité le long de la rive gauche du Rhin.
La basilique fut érigée au XIIe siècle sur les vestiges d’une construction romaine sise dans le faubourg rhénan (Rheinvorstadt), qui s’étendait dans ce qui était autrefois une île dans le fleuve. Au long de plusieurs siècles, elle servit d’abbatiale d’une abbaye de bénédictins, jusqu’à ce qu’elle fut, suite à la sécularisation au XIXe siècle, changée en église paroissiale. Les attaques aériennes durant la Deuxième Guerre mondiale causèrent à l’édifice ― ainsi qu’à la ville de Cologne tout entière ― des dommages considérables. Si la reconstruction du clocher fut achevée en 1965, les travaux de restauration dans leur ensemble se prolongèrent jusqu’en 1985 ; ce n’est que 40 ans après la fin de la guerre que l’église put être consacrée à nouveau.
Aujourd’hui, l’église St.-Martin est, en tant que lieu de prière, ouvert aux croyants et aux visiteurs. Dans la crypte reconstituée peuvent se contempler des fouilles archéologiques de l’époque romaine.
L’appendice la Grande (allem. « Groß » St. Martin) dans la désignation de cette basilique permet de la distinguer de l’église paroissiale dite église Saint-Martin-Mineure (allem. « Klein » St. Martin), dédiée au même saint Martin de Tours, mais plus petite, et peut-être plus ancienne, et dont seule subsiste une tour.
L’histoire de l’église Saint-Martin de Cologne est étroitement liée au destin de l’abbaye bénédictine dont elle faisait partie, et souvent, les décisions prises par l’abbaye touchaient également l’église. De l’époque où furent fondés le monastère et l’église ne sont parvenus jusqu’à nous que peu de documents et peu d’informations propres à nous renseigner sur leur édification ; aussi nos connaissances concernant la genèse de l’édifice s’appuient-elles, en complément, sur des indices archéologiques ainsi que sur des arguments apportés par l’histoire de l’art.
À l’origine, la zone autour de Groß St. Martin faisait partie d’un îlot situé autrefois dans le Rhin en face de la Cologne romaine, à l’est du Praetorium. Des fouilles menées dans les années 1965 et 1966, puis entre 1973 et 1979 ont permis d’établir que des constructions se trouvaient sur cet îlot dès le premier siècle après J.-C.
Une aire d’une longueur (dans le sens est-ouest) de 76 m au moins et d’une largeur de 71,5 m, ceinte d’une muraille, au-dedans de laquelle se trouvait une légère dépression de dimensions 55,7×43,8 m, ainsi qu’un bassin de 34×17,2 m de côtés et de 1,7 m de profondeur, a pu être identifiée comme constituant la première construction aménagée sur l’île. L’on a pas connaissance, à ce jour, d’un autre site similaire, du moins situé au nord des Alpes. Aucun renseignement n’étant parvenu jusqu’à nous quant à l’usage qui était fait de cette construction, l’on en est réduit à formuler des conjectures ; peut-être faut-il voir dans la grande aire un terrain de sport (palaestra), et dans le bassin une piscine (natatio) ou alors un réservoir où les pêcheurs du fleuve entreposaient leurs captures ; selon une autre théorie, il s’agirait d’un périmètre sacré, voire, quoique peu probable, du lieu où, aux premiers temps de la Cologne romaine, se dressait l’Ara Ubiorum, autel servant de sanctuaire d’abord aux Ubiens, puis peut-être à d’autres peuplades germaniques.
Au milieu du IIe siècle, l’on entreprit de rehausser le terrain d’environ 1,5 à 2 m et d’y construire, au sud, à l’est et à l’ouest, quatre halles de trois vaisseaux chacune. Tant leur localisation, ― directement sur la berge du fleuve ―, que leur forme et leur agencement portent à admettre qu’elles étaient utilisées comme entrepôts de marchandises (horrea). Cette aire, s’étendant sur quelque 7000 m², était délimitée à sa face nord par une muraille.
La quatrième de ces halles au moins, celle du sud-est, continua d’être utilisée au-delà de l’époque romaine. En effet, par trois fois, une nouvelle chape fut posée sur le sol, par dessus la précédente. Les piliers de grès, lisses jusque-là, furent ultérieurement pourvus d’une base cannelée, dont il n’est pas établi s’ils remontent encore à l’époque romaine ou s’ils datent déjà du haut Moyen Âge. Les débris de céramique de Pingsdorf (village au sud de Cologne où une industrie céramique existait du IXe au XIIIe siècles) qui ont été pris dans la chape sont d’origine carolingienne.
En outre, dans les années 1965 et 1966 fut réalisée, par une longue incision selon l’axe médian de l’église, une étude stratigraphique (c’est-à-dire des couches du sous-sol), laquelle permit de découvrir, jusqu’à une profondeur d’environ 2 m sous le dallage, un grand nombre de sépultures du Moyen Âge et des temps modernes.
Des témoignages directs attestant d’une fondation de l’église St.-Martin antérieure au Xe siècle font défaut. L’historiographe colonais Aegidius Gelenius, dans son ouvrage « Éloge de la ville de Cologne » (De admiranda sacra et civili magnitudine Colonia), paru en 1645, mentionne la possibilité d’une fondation à l’époque précarolingienne ; selon cet ouvrage, les missionnaires Viro et Plechelmus, venus aux bords du Rhin en compagnie de Suitbert ― appelé à devenir plus tard l’abbé de l’abbaye de Kaiserswerth ―, auraient fondé l’abbaye et l’église et auraient été soutenus dans cette entreprise par Pépin de Herstal et Plectrude, fondateurs de l’église colonaise de Sainte-Marie-du-Capitole.
C’est du reste aussi sur ces théories que s’appuyait la Chronicon Sancti Martini Coloniensis, chronique remontant en apparence au XIIIe ou XIVe siècle, qui jusqu’à la fin du XIXe siècle passa pour une source importante relativement à l’histoire de l’abbaye et de l’église. Ainsi, selon cette chronique, Saint-Martin aurait été d’abord fondée par l’Écossais Tilmon, qui aurait construit en 690 une chapelle, laquelle aurait été ultérieurement, en 708, transformée en abbaye par Viro, Plechelmus et Otger. Ladite chronique recense, sans en omettre aucun, les noms des abbés depuis les tout débuts de l’abbaye, et s’applique à en décrire toutes les vicissitudes, telles que la destruction du couvent et de l’église par les Saxons en 778, alors que Charlemagne faisait la guerre en Espagne ; ensuite, toujours selon cette chronique, un des paladins de Charlemagne, le roi danois Olger, aurait, à ses propres frais, et avec l’aide de Charlemagne, fait reconstruire l’édifice, et le pape Léon III, à l’occasion de sa deuxième visite à Cologne en 805, y aurait consacré deux autels. Pour les années 846 et 882, il est fait état d’une destruction par les Normands, dont l’église et l’abbaye ne se seraient remis que péniblement. C’est en 1900 seulement qu’Otto Oppermann démasqua cette chronique dans sa totalité comme une falsification de 1730, de la main d’Oliver Legipont, moine bénédictin de l’abbaye.
Si donc une fondation de l’abbaye et de l’église remontant à l’époque franque (Ve au IXe siècle) ne peut être documentée, le fait cependant que le patron en était saint Martin de Tours a souvent porté à la considérer comme vraisemblable, attendu que saint Martin passait pour être le saint que les Francs affectionnaient le plus et que la plupart des églises dédiées à ce saint patron furent fondées du VIIe au IXe siècle.
La fondation, citée dans le Code de Lorsch, par l’archevêque de Cologne Brunon (953–965), d’un monastère en l’honneur de Martin de Tours, en tant que communauté de chanoines, est aujourd’hui bien établie. Dans son testament, Brunon fit figurer l’église Saint-Martin parmi les églises à favoriser et, au demeurant, de son vivant déjà, il l’avait gratifiée des reliques de saint Élophe, qui furent translatées de Toul vers le monastère nouvellement fondé, faisant de saint Édolphe le deuxième patron de Saint-Martin-la-Grande.
En 1499, la chronique de Johann Koelhoff le Jeune note que l’archevêque Warin de Cologne (976–985) entreprit de faire rénover Groß St. Martin :
« Ainsi revint-il à Cologne et fit-il rénover la collégiale Saint-Martin de Cologne, laquelle était devenue vétuste et délabrée, et la dota richement. »
Cet extrait indique qu’il devait s’agir d’un édifice déjà ancien. Warin aurait passé les dernières années de sa vie au monastère.
Il est un fait établi qu’en 989, l’archevêque Ebergar (985–999), à l’aide de dons, transforma le monastère en Schottenkloster, c’est-à-dire en un monastère où des bénédictins irlandais (« Écossais ») pouvaient installer leurs quartiers. L’introduction de ces Écossais à Groß St. Martin se situe entre les premières implantations irlandaises dans la période mérovingienne et carolingienne, et la création, au milieu du XIe siècle, de la congrégation des Schottenklöster bénédictins, qui regroupait ceux-ci autour du monastère de Ratisbonne.
Cependant, au XIe siècle, les Écossais furent peu à peu remplacés par des moines d’origine locale. L’archevêque Pilgrim de Cologne (1021–1036), peu favorable, semble-t-il, aux moines étrangers, aurait insisté sur leur remplacement ; le dernier des abbés irlando-écossais fut Alvold, qui mourut en 1103. À partir de 1056, Marianus Scotus séjourna pour quelque temps à Groß St. Martin, ce qui laisse supposer qu’il y trouva encore un certain nombre de ses compatriotes.
Les historiens de l’art admettent que les vestiges de murs, que des fouilles ont permis de mettre au jour sous la paroi nord de la nef, et qui s’étendent jusqu’à la première travée de l’édifice actuel, appartiennent à une église édifiée sous Brunon. Le mur occidental de l’église se serait situé quelque sept mètres plus au nord. Sa largeur aurait ainsi coïncidé avec la largeur de l’ancien entrepôt romain ; peut-être même l’église primitive était-elle le résultat d’une transformation de cet entrepôt.
La Vita Annonis relate que l’archevêque Anno II (1056–1075) eut une apparition de saint Élophe et qu’il fit alors ériger deux clochers. Ils furent vraisemblablement construits de part et d’autre du chœur oriental.
En 1150, le faubourg rhénan fut dévasté par un incendie, qui n’épargna pas l’église des Bénédictins. Si l’étendue des dégâts n’est pas connue, il est supposé cependant que la catastrophe servit de motif à procéder à la démolition complète de la construction endommagée. Dans la suite, en un premier temps, fut érigé le triconque, seule partie de l’église à s’être maintenue quasi inchangée jusqu’à nos jours ― le clocher de croisée, la nef et l’extrémité occidentale ayant été en effet plusieurs fois remaniés à l’occasion d’interventions architecturales ultérieures.
L’archevêque Philippe Ier (allem. Philipp von Heinsberg) (1130 – 1172) consacra le nouvel édifice, lequel ne consistait alors qu’en un triconque, tandis que la nef était déjà, peut-on supposer, en cours d’édification. À l’abside septentrionale avait été adjointe la chapelle Saint-Benoît, construite sur deux niveaux, vers laquelle fut transférée la dépouille de l’abbé Hélias, décédé en 1042.
Lorsqu’éclata un nouvel incendie en 1185, la travée orientale de la nef se trouvait achevée, de même, ce semble, que les travées suivantes du collatéral sud. Celles-ci venant buter contre la paroi nord de l’église paroissiale Sainte-Brigitte, qui se dressait à cet endroit depuis une date plus ancienne, les bâtisseurs se virent sans doute contraints de s’écarter de l’alignement initial, ce qui expliquerait le renfoncement encore perceptible dans la paroi méridionale de l’église.
Des renseignements sur le processus de construction nous sont aussi parvenus de l’époque de l’abbé Simon (1206–1211). Le moine décédé Rudengerus léga par testament entre autres 7 talents et 30 deniers destinés à l’achat de pierres.
Au milieu du XIIIe siècle enfin furent ménagées, dans les murs déjà anciens au-dessus des collatéraux, des galéries ainsi que les ouvertures du triforium, par quoi l’on souhaitait donner à l’édifice une allure plus aérée. À la même époque, la nef fut allongée de cinq mètres et le porche occidental, grand de deux travées, fut achevé.
Après l’achèvement de la basilique au XIIIe siècle, l’on entreprit plus guère, jusqu’au XIXe siècle, de modifications touchant à la forme de l’édifice, hormis plusieurs travaux de réfection, rendus nécessaires dans les siècles subséquents, en particulier à la tour de croisée.
Ainsi, le comble de la tour de croisée, ayant été détruit par un incendie en 1378, fut-il reconstruit par la suite, grâce à des donations, mais de façon sommaire.
En 1434, une violente tempête fut à l’origine de nouveaux dommages, emportant trois des quatre pignons du clocher. Tandis qu’un des pignons alla s’abattre sur les bâtiments voisins situés place du Fischmarkt, les deux autres furent précipités directement sur les voûtes abritant le maître autel. Les voûtes furent promptement remises en état et une cloche portant la date 1436 fut accrochée.
Les réformes successives menées sous les abbés Jakob von Wachendorp (1439–1454) et Adam Meyer (1454–1499) assurèrent à l’abbaye bénédictine une situation financière plus stable, ce qui bénéficia aussi à l’église, en particulier à son mobilier. Parmi les pièces de valeur dont il s’enrichit alors ont été conservées notamment un ensemble de figures d’un autel de la croix de 1509.
Au lieu de nouveaux pignons, l’on donna pour couverture au clocher, entre 1450 et 1460, sa caractéristique flèche gothique en forme de pyramide brisée.
En 1527, en raison d’une instabilité de construction, le clocheton de l’angle sud-ouest du clocher s’effondra, allant s’abattre sur la chapelle Sainte-Madeleine sise du même côté, laquelle chapelle fut entièrement démolie par la suite. L’on renonça tout d’abord à reconstruire le clocheton.
De nombreux autels ornaient l’intérieur de Groß St. Martin depuis le Moyen Âge ; il est possible que ces autels aient été sacrifiés à un réaménagement du mobilier au début du baroque, au XVIIe siècle ; de ce mobilier baroque il ne subsiste toutefois plus rien aujourd’hui.
Après que les bâtiments de l’abbaye, tombés en décrépitude, eurent été démolis en 1707, puis remplacés par des édifices neufs, sous l’abbé Heinrich Obladen, celui-ci fit ensuite repeindre à neuf l’intérieur de l’église Saint-Martin et la dota d’un nouvel orgue plus grand. La nouvelle décoration s’inspirait résolument du style baroque ; ainsi p.ex. on fit apposer des bandes dorées sur les colonnes, les coupoles et les parois, et la décoration fut complétée de quatre lustres volumineux et d’une foule de bibelots et d’objets décoratifs.
La deuxième moitié du XVIIIe siècle fut également marquée par une série de modifications touchant aussi bien l’architecture intérieure que l’ornementation, interventions qui suscitèrent, déjà chez les contemporains, d’âpres critiques. L’abbé Franz Spix, qui dirigea l’abbaye entre 1741 et 1759, fit rehausser de 2 à 3 pieds la table de l’autel de croisée et le fit déplacer vers l’abside occidentale, dans le but, peut-on supposer, de donner aux messes une allure plus somptueuse. Le fait que les antiques pierres tombales des anciens abbés allaient être détruites par cette opération, et que les colonnes et piliers se retrouveraient dépouillés de leur socle, déclencha certes des critiques, notamment de la part d’Olivier Légipont, mais ni ces critiques, ni les notes de protestation adressées au nonce apostolique à Cologne, ne purent empêcher que le projet ne fût mis à exécution.
Quelque quarante ans plus tard, à la fin du XVIIIe siècle, Ferdinand Franz Wallraf fut chargé de renouveler la décoration de la basilique dans un sens contemporain. Le projet de Wallraf, s’il restait incontestablement marqué par le baroque, subissait d’autre part aussi l’influence du classicisme naissant. Ainsi, les autels latéraux et la chaire étaient d’une conception extrêmement simple, alors qu’au contraire le maître autel fut exécuté avec une certaine opulence, avec de claires références au panthéon grec et romain. Peter Opladen, dans Geschichte einer stadtkölnischen Abtei, le décrit ainsi (1954):
Quoique violemment critiqué par des représentants de l’historicisme et rejeté comme « paien » par les tenants du mouvement de renouveau catholique du XIXe siècle, le projet pictural de Wallraf tend cependant à être jugé aujourd’hui, du point de vue de l’histoire de l’art, comme une « réussite extraordinaire ».
Au remaniement intérieur s’ajouta en 1789 la décision de jeter à bas la tourelle à l’angle nord-ouest du clocher ; c’est ainsi que jusqu’au milieu du XIXe siècle, les vues de Groß St. Martin la montrent avec un clocher flanqué de ses deux seuls clochetons orientaux. Il y eut d’autres interventions architecturales encore, touchant les absides principales, qui furent en partie percées de baies, et la chapelle Sainte-Madeleine, située entre abside méridionale et vaisseau collatéral, qui fut entièrement démolie.
À partir de 1792, des guerres opposèrent la France révolutionnaire à une coalition de gouvernements européens, parmi lesquels l’Autriche et la Prusse. En octobre 1794, après que les troupes révolutionnaires se furent emparées de Cologne, commença une période d’occupation de 20 années, qui, fortement marquée par l’anticléricalisme, allait définitivement affranchir la ville de ses traditions et coutumes médiévales. L’archevêché de Cologne cessa ainsi d’exister en 1801, et la cathédrale de Cologne devint une église paroissiale ordinaire. Par le décret de sécularisation du 9 juin 1802, toutes les communautés spirituelles du Département du Rhin furent supprimées. Suite à cette directive, l’abbaye Saint-Martin dut se dissoudre le 21 septembre 1802, et les 21 moines restants durent trouver à se loger en dehors des murs de l’abbaye ; 11 d’entre eux endossèrent alors des charges de curé de paroisse à Cologne. L’église Sainte-Brigitte fut vendue en 1805, à l’exception de son clocher ; dans un compte rendu de vente publique de biens nationaux du 11 au 25 frimaire de l’an 14, il est spécifié:
L’église fut démolie et ses restes servirent à construire l’estrade de l’orgue en 1812. L’église St.-Martin eut depuis lors le statut d’église paroissiale, l’ancien abbé Felix Ohoven remplissant désormais la nouvelle fonction de curé de paroisse.
Dans les années qui suivirent, les bâtiments abandonnés de l’abbaye servirent de logis d’abord à quelques-uns des anciens moines, puis, à partir de 1808, à d’anciens combattants français. La caducité croissante des bâtiments fit décider leur évacuation en 1821 et leur démolition partielle par la municipalité en 1822 ; le cloître se maintint jusqu’en 1839, avant d’être mis à bas à son tour. Victor Hugo, lors de sa visite de deux jours à Cologne, faite dans le cadre de son voyage sur les bords du Rhin, fut témoin de l’ultime phase de cette démolition :
Dans l’ensemble, Groß St. Martin offrait, vers le milieu du XIXe siècle, un véritable aspect de désolation : les deux clochetons occidentaux faisaient toujours défaut, et la face nord, que jouxtaient autrefois les bâtiments de l’abbaye, n’était qu’une muraille dépouillée, percée de quasiment aucune fenêtre.
À partir de 1843, la municipalité de Cologne s’engagea financièrement dans la remise en état de l’église. L’édification, contre l’abside septentrionale, d’une nouvelle sacristie, dans le respect des formes romanes, par Johann Peter Weyer, et la nouvelle paroi du vaisseau collatéral nord furent les premiers travaux effectués ; ensuite, en 1847, le clocher fut complété de sa tourelle nord-ouest. Les projets de Heinrich Nagelschmidt, tendant à restaurer fermement la basilique tout entière, furent mis en oeuvre à partir de 1861. Là également, la ville de Cologne s’engagea dans l’entreprise, assumant la moitié des 32000 Taler environ auxquels s’élevaient les frais de restauration. En 1875, l’église Saint-Martin avait ainsi reçu une toiture neuve, vu son pignon occidental rénové, la paroi de son collatéral sud percée de nouvelles baies, et sa tour recouvrer enfin son quatrième clocheton. Le porche fut raccourci de moitié.
De même, l’intérieur de l’église fut promis à une complète rénovation. À cet effet, l’architecte August Essenwein, directeur du Germanisches Nationalmuseum (musée germanique national) à Nuremberg, à qui avait été confiée cette tâche, fit un sort à l’ornementation classiciste de la fin du XVIIIe siècle et s’évertua, dans l’esprit de l’historicisme, de reproduire une iconographie authentiquement médiévale dans la décoration des voûtes, parois et sols.
Essenwein était conscient que son projet ne pourrait, ne fût-ce que pour des raisons matérielles, être réalisé que pas à pas ; c’est pourquoi, tout en restant dans le cadre d’un concept unitaire global, il conçut, pour chaque partie de l’église séparément, un cycle d’images particulier pouvant être contemplé à part. Il était prévu que le travail progresserait d’est en ouest, de « l’essentiel au moins essentiel », et que l’on s’occuperait du sol en dernier.
Les trois espaces principaux de la basilique ― porche, nef et triconque ― devaient donner à voir, d’ouest en est, avec beaucoup de fidélité et de détail, toute l’Histoire sainte. Traditionnellement, le porche, comprenant alors encore ses deux travées, devait représenter le paradis ; huit motifs étaient prévus, de la Création jusqu’à la Chute originelle et l’expulsion du jardin d’Éden. Au portail d’entrée, un agneau symboliserait la rédemption.
Dans le nef, la vie humaine et le monde, ainsi que les rapports de l’homme envers Dieu et les Saints, devaient se trouver représentés dans toutes leurs facettes, y compris, chronologiquement, l’Ancienne Alliance, c’est-à-dire la période située entre Chute originelle et Rédemption chrétienne. La première travée devait contenir des allégories de la succession des temps, la deuxième être consacrée à la sphère terrestre et à ses créatures : élements, conditions météorologiques, les plantes, les animaux ; sur la troisième travée devait s’offrir à l’observateur l’espace extraterrestre infini : soleil, astres, voûte céleste, complété des signes zodiacaux et des phases de la lune. Les piliers devaient porter les effigies de ceux parmi les souverains temporels ayant eu un mérite particulier dans la diffusion de la foi chrétienne : Constantin le Grand, Charlemagne, Godefroid de Bouillon et Baudouin Ier de Constantinople. Tout au long des bas-côtés devaient s’enchaîner des motifs se rapportant à la vie des saints particulièrement vénérés dans cette église.
La travée de croisée devait par sa décoration jouer un rôle de transition entre les illustrations de la nef et celles du chevet : depuis la voûte, la grâce divine devait se déverser sur les hommes, tandis que le sol devait évoquer les trois parties du monde telles qu’on les reconnaissait au Moyen Âge.
Enfin, dans le chevet, au niveau de la croisée et des absides, le cycle de fresques devait se clore par une évocation de toute la gloire divine, sous les aspects de la Sainte Trinité, de nuées d’anges et de la Jérusalem céleste de la Révélation de Saint-Jean.
À partir de 1868, ce grand projet de décoration fut certes mis en oeuvre par le peintre colonais Alexius Kleinertz, mais sous une forme modifiée et simplifiée ; ainsi p.ex. les projets relatifs au porche ne furent pas exécutés. Le chœur exhaussé fut ramené à son niveau d’origine, et l’on fit acquisition de nouvelles orgues et de mobilier neuf. En 1885, les travaux étaient terminés.
Les derniers grands travaux entrepris au XIXe siècle concernèrent les rangées de maisons autour de la face occidentale de la basilique, ― lesquelles maisons furent démolies en 1892, afin de dégager la vue sur le triconque, ― et le comble du clocher, doté en 1894 d’une nouvelle pointe.
Abstraction faite de quelques travaux de consolidation effectués dans les années de 1909 à 1913, et que rappelle une plaque commémorative apposée sur les murs du collatéral nord, Groß St. Martin était, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, restée pour l’essentiel dans le même état de restauration qui était le sien au XIXe siècle, et qui a été décrit ci-haut.
Parmi les nombreuses attaques aériennes que subit Cologne entre 1940 et 1945, il s’en détache cinq en particulier qui causèrent à Groß St. Martin des dommages considérables.
Lors du premier raid aérien « à mille bombardiers » de l’histoire de la guerre, attaque dite Opération Millenium, qui eut lieu dans la nuit du 30 au 31 mai 1942, le comble du clocher et celui de la nef brûlèrent intégralement, tandis que fut aussi détruite la sacristie, qui était accotée à l’abside nord et hébergeait de nombreux objets anciens. La basilique endommagée fut ensuite pourvue, début 1943, d’une toiture de fortune, et la sacristie fut également reconstruite.
Lors du bombardement par tapis de bombes du 29 juin 1943, connu sous le nom d’attaque Pierre et Paul, qui fut l’un des plus violents qu'eut à subir Cologne, faisant 4377 morts dans la ville, de même que lors d’un bombardement en octobre 1943, les dégâts occasionnés à l’église St.-Martin furent relativement limités ; cependant, la chapelle Saint-Benoît, à la conque nord, ainsi que les verrières et le portail furent détruites.
Suite à l’attaque du 6 janvier 1945, les galeries ajourées extérieures des absides croulèrent toutes les trois presque totalement. Les murs de la tour de croisée furent fortement endommagés par un impact direct, et des quatre clochetons d’angle seul celui situé à l’angle nord-est demeura intact. La nef et la voûte du chœur restaient à ce moment-là largement préservées.
Mais le plus dévastateur pour l’église fut l’ultime grand raid aérien sur Cologne, le 2 mars 1945. En effet, lorsque les troupes américaines firent leur entrée dans la Cologne de la rive gauche quatre jours plus tard, ne se tenaient plus debout, au milieu des décombres de la vieille ville détruite à 95%, outre la tour de croisée, avec ses tourelles d’angle réduites à l’état de moignons, que la partie inférieure du triconque et les flancs de la nef. Presque toutes les voûtes se trouvaient soit défoncées, soit s’étaient écroulées tout à fait.
Quoique l’édifice le plus emblématique — à côté de la cathédrale — de la ville de Cologne offrît alors un aspect général de grande désolation, une analyse plus précise des dommages causés livra un diagnostic plus favorable que prévu ; ainsi, en 1947, l’historien de l’art Franz Wolff, comte de Metternich, classa-t-il la basilique dans le groupe des églises colonaises seulement « moyennement endommagées ». Un examen de l’édifice par des experts en 1946 aurait établi qu’une reconstruction poserait beaucoup moins un problème artistique que technique.
Le point de savoir s’il était opportun ou non de reconstruire Groß St. Martin, et, dans l’affirmative, de quelle manière il convenait de le faire, fit l’objet de controverses dès les premières années d’après-guerre. Fallait-il laisser la ruine telle quelle, comme mémorial, ou créer à la place quelque chose de tout à fait neuf, ou encore restaurer l’état ancien? Cette dernière possibilité à son tour appelait une autre question: quel état ancien devait être retenu comme le plus approprié, quel est celui « d’origine »? Cette question concernait plus particulièrement la décoration intérieure de la basilique. Les ornementations dix-neuviémistes historicisantes d’August Essenwein, dont quelques parties avaient été préservées, apparaisaient alors à certains comme un fourvoiement stylistique et artisanal.
Un cycle de conférences ayant pour thème Was wird aus den Kölner Kirchen? (« Quel destin pour les églises de Cologne ?»), qui se tint pendant l’hiver 1946-1947, et auquel participèrent notamment des hommes politiques, des artistes, des conservateur de patrimoine et des architectes connus, fut le reflet du débat alors en cours: à l’argument selon lequel une reconstruction fidèle de l’état d’avant 1939 ne pourrait que déboucher sur une « Colonia Aggrippinensis Attrapolis » de pacotille, sur un « monde d’apparence » peuplé de « fâcheuses copies » (Carl Oskar Jatho), s’ajoutaient d’importantes réserves, concernant en particulier une reconstruction du clocher de Groß St. Martin. L’on cite souvent, à ce sujet, les propos d’Otto Förster, alors directeur du musée Wallraf-Richartz :
Les sceptiques quant à la reconstruction cependant ne parvinrent pas à faire aboutir leurs vues; sous la direction de l’architecte Herbert Molis et de l’ingénieur en stabilité des constructions Wilhelm Schorn, de premiers travaux de reconstruction et de stabilisation furent entreprises dès 1948. Jusqu’en 1954 l’on travailla à restituer aux conques leurs galeries naines (allem. Zwerggalerien) – arcatures à claire-voie situées directement sous la corniche, qui toutefois demeurèrent provisoirement murées à l’aide de briques. En 1955 fut entreprise la reconstruction de la nef, laquelle se trouva pourvue de nouveau en 1971 d’une paroi occidentale et d’un comble. À partir de 1961, c’est l’architecte colonais Joachim Schürmann qui assuma la responsabilité de la suite des travaux de rénovation de l’édifice et de son aménagement intérieur; son concept a été déterminant de l’état actuel de l’église. En 1965, la tour de croisée retrouvait sa silhouette d’autrefois, la ville de Cologne recupérant du coup un de ses grands emblèmes.
C’est sans doute au fait que la reconstruction s’est étirée sur une quarantaine d’années que Groß St. Martin est redevable de la préservation de ses fresques intérieures dix-neuviémistes. En effet, si au milieu du XXe siècle l’époque historicisante n’avait en général pas bonne presse chez les conservateurs de patrimoine et chez les historiens de l’art, il se produisit dans la décennie 1970 et 1980 un changement de perception et de jugement de cette époque. Les artistes et restaurateurs du XIXe siècle n’avaient en définitive que sollicité les reliquats du moyen âge encore présents afin de façonner l’espace selon ce qu’ils considéraient être « le plus pur esprit médiéval ». De nos jours, l’église Saint-Martin est la seule parmi les églises romanes de Cologne à avoir gardé des fragments peints originaires du XIXe siècle. Cependant, quant à restituer, en la complétant, toute la décoration intérieure peinte, l’on ne put ni ne voulut s’y résoudre.
Après que le nouveau dallage eut été achevé à son tour entre 1982 et 1984 — pareillement aux fresques, les mosaïques d’Essenwein garnissant le sol avaient été en partie préservées — et que dans la foulée l’aménagement intérieur eut également été restauré, Groß St. Martin fut de nouveau, pour la première fois depuis 40 ans, ouverte au public, le 13 janvier 1985. Le 22 juin, l’archevêque de Cologne Joseph Höffner procéda à la consécration de l’autel ; à cette occasion, il déposa dans le reliquaire de l’autel les reliques de sainte Brigitte de Suède, de saint Sébastien et d’Engelbert Ier de Cologne.