En mathématiques et plus particulièrement en algèbre, on appelle polynôme cyclotomique (du grec κυκλας : cercle et τομη : découpe) tout polynôme minimal d'une racine de l'unité et à coefficients dans un corps premier. Un corps premier est un corps engendré par l'unité de la multiplication. Les polynômes ainsi obtenus sont aussi ceux qui apparaissent dans la décomposition des polynômes Xn − 1 en produit de facteurs irréductibles.
Sur le corps des rationnels un polynôme cyclotomique possède des propriétés fortes, c'est un polynôme à coefficients entiers, de degré égal à φ(n) si la racine considérée est une racine primitive n-ième de l'unité, où φ désigne la fonction indicatrice d'Euler. Les racines du polynôme cyclotomique sont toutes les racines primitives n-ièmes de l'unité.
Dans le contexte des corps de caractéristique finie, il est nécessaire de faire appel à la théorie de Galois, ils apparaissent essentiels car tout polynôme irréductible est un polynôme cyclotomique (à l'exception du monôme unitaire de degré un).
D'une manière générale, le corps de décomposition encore appelé extension cyclotomique associé est une extension abélienne dont le groupe de Galois est cyclique.
L'analyse de ces polynômes permet la résolution de nombreux problèmes. Historiquement, la construction des polygones réguliers à la règle et au compas est celui qui a amené le développement du concept. Ils sont largement utilisés dans la théorie de Galois, pour la résolution d'équations algébriques et la compréhension de la structure des extensions abéliennes. Ils sont aussi au cœur de la cryptographie pour la conception de codes correcteurs.
Carl Friedrich Gauss utilise dans ses Disquisitiones arithmeticae, parues en 1801, les polynômes cyclotomiques. Il apporte une contribution majeure à un problème ouvert depuis l'Antiquité : celui de la construction à la règle et au compas de polygones réguliers. Ces travaux servent de référence durant tout le siècle. Dans ce texte, Gauss détermine avec exactitude la liste des polygones constructibles, et donne une méthode effective pour leur construction jusqu'au polygone à 256 côtés. Ce problème de construction reçoit une réponse définitive par Pierre-Laurent Wantzel dans un article désormais célèbre.
Cette approche est novatrice et, à bien des égards, préfigure l'algèbre moderne :
Un polynôme n'apparaît plus comme un objet à part entière mais comme un élément d'un ensemble structuré. Si la notion d'anneau des polynômes n'est pas encore formalisée, sa structure euclidienne est découverte et représente l'outil de base de l'analyse de Gauss.
La résolution effective de l'équation cyclotomique conduit Gauss à considérer une structure finie : celle des permutations des racines. On les appelle maintenant période de Gauss. Là encore leurs propriétés algébriques permettent de trouver la solution. Cette approche préfigure l'utilisation de la théorie des groupes en algèbre et la théorie de Galois.
De nouvelles structures sont par la suite définies. La division euclidienne introduit la notion de reste et leur ensemble possède des propriétés algébriques fortes. Une telle structure est maintenant considérée comme un cas particulier de corps fini si le diviseur est un nombre premier. Gauss met en évidence de tels ensembles et utilise avant l'heure le transport de structure par morphisme entre deux anneaux pour montrer le caractère irréductible des polynômes cyclotomiques. Dans le même livre, il utilise ces mêmes structures pour résoudre un autre problème pressenti par Fermat et formalisé par Euler : celui de la loi de réciprocité quadratique.
Dès cette époque, de nombreuses applications sont proposées. L'utilisation de la géométrie ne se limite pas à la construction à la règle et au compas. Le polynôme cyclotomique d'indice quatre permet la construction d'un nouvel ensemble de nombres algébriques celui des entiers de Gauss. Une branche mathématique naît : la théorie algébrique des nombres, elle simplifie la résolution d'équations diophantiennes et permet d'en résoudre de nouvelles.
La recherche de solutions à l'équation polynômiale est un problème qui remonte aux premiers développements sur les polynômes par les mathématiciens de langue arabe. Si l'on cite généralement Al-Khawarizmi comme précurseur avec la résolution de six équations canoniques puis Girolamo Cardano pour la résolution du cas de degré trois et Ludovico Ferrari pour le quatrième degré, le cas général est resté longtemps mystérieux.
Joseph-Louis Lagrange comprend que la résolution de ce problème général est intimement liée aux propriétés des permutations des racines. Le cas particulier des polynômes cyclotomiques l'illustre. Le groupe des bonnes permutations, aujourd'hui appelé groupe de Galois, est non seulement commutatif mais de plus cyclique. Cette propriété, utilisée à travers le concept des périodes de Gauss, permet une résolution effective pour ce cas particulier.
Une analyse plus profonde par Paolo Ruffini , Niels Henrik Abel et surtout par Évariste Galois montre que l'aspect commutatif du groupe est en fait une condition suffisante. Pour être précis, la condition indique que le groupe doit être décomposable en une suite de groupes emboîtés commutatifs. La question naturelle qui se pose alors est de déterminer les extensions du corps des rationnels dont le groupe de Galois est commutatif. Ces extensions sont appelées extensions abéliennes. La structure de corps associée au polynôme cyclotomique, appelée extension cyclotomique, en est un exemple. Qu'elle soit unique signifie que toute équation algébrique résoluble par radicaux se ramène d'une manière ou d'une autre à un polynôme cyclotomique. La réponse est positive : toute extension abélienne du corps des rationnels est un sous-corps d'une extension cyclotomique. La démonstration de ce résultat a demandé presque un demi-siècle d'effort. Les artisans principaux sont Leopold Kronecker et Heinrich Weber .
Si l'analyse des extensions abéliennes finies se termine avec le XIXe siècle, elle laisse ouvert un large champ de questions, par exemple en arithmétique. Il apparaît alors nécessaire de généraliser la notion de corps cyclotomique sur les extensions infinies. Le sujet est ouvert par David Hilbert . Cet axe de recherche est appelé la théorie des corps de classe. Cette théorie est l'une des plus fructueuses au XXe siècle. On peut citer par exemple le théorème de réciprocité d'Emil Artin qui résout le neuvième des problèmes de Hilbert, ou plus récemment, deux lauréats de la médaille Fields pour leurs travaux sur des généralisations de la théorie : Vladimir Drinfeld en 1990 ou Laurent Lafforgue en 2002.
Le développement de l'ébauche de la théorie des corps finis initié par Gauss demande plus de temps. À la fin du XIXe siècle, la théorie des groupes fait apparaître la nécessité de travailler sur d'autres extensions que celle des nombres rationnels. La représentations des groupes impose à Frobenius l'étude des corps de caractéristique finie. Ce sont les corps où la somme itérée de l'unité est périodiquement nulle. Une analyse, à l'aide de la théorie de Galois montre que, dans ce contexte, la théorie des corps finis est essentielle. Sa connaissance suffit pour la compréhension de la structure des polynômes cyclotomiques dans le cas de la caractéristique finie.
L'analyse de ces corps est rapide, notamment grâce à l'apport de l'école américaine. Au début du XXe siècle, les travaux de L. E. Dickson puis de Joseph Wedderburn mettent en évidence leur structure. Dickson publie la première étude systématique et Wedderburn démontre en 1905 son théorème stipulant que tout corps fini est commutatif. Les polynômes cyclotomiques sont essentiels car ils forment l'ensemble des polynômes irréductibles (à l'exception du monôme unitaire de degré un: X). Sur tous les corps de caractéristique finie, toutes les extensions finies sont cyclotomiques.
Durant la deuxième moitié du XXe siècle, un nouveau champ d'investigation utilise les corps finis : la cryptographie. Si la sécurité d'un code ne nécessite pas l'utilisation des polynômes cyclotomiques, en revanche la fiabilité, c’est-à-dire la capacité à corriger les erreurs utilise les polynômes, on parle alors de code correcteur. Ce type de code, pour être optimal, utilise les corps finis et les polynômes cyclotomiques. On peut citer par exemple le code de Hamming ou dans un cas plus général les codes permettant un contrôle de redondance cyclique. La dimension algorithmique est aussi largement étudiée.