La toxicité du plomb est connue depuis l'antiquité. Des preuves de cette maladie existent pour l'antiquité depuis l'âge du bronze.
Un saturnisme aigu touchait autrefois principalement les mineurs et ouvriers de la métallurgie du plomb, ceux qui utilisaient de la vaisselle de plomb, et les ouvriers sertissant au plomb les vitraux. Mais avec l'avènement de la peinture au plomb, et l'essence plombée, le saturnisme est devenu très courant aux XIXe siècle et XXe siècle.
C'est une des six premières maladies à avoir été déclarée maladie professionnelle en octobre 1919.
Malgré l'interdiction du plomb dans les peintures et l'essence dans de nombreux pays, des cas graves de saturnisme persistent dans la plupart des grandes villes (habitat ancien où les enfants sont exposés aux peintures contenant du plomb) et régions industrielles.
Le saturnisme n'a pas de symptômes spécifiques. Il est pour cette raison mal détecté, et souvent très tardivement après avoir été confondu avec d'autres troubles bénins (intoxication alimentaire, maux de tête, fatigue, alcoolisme, anomalies congénitales, troubles de comportement..).
Une mutation génétique de l’ALAD cause une maladie assez rare (la porphyrie) qui peut être confondue avec le saturnisme (et que le film The Madness of King George a illustré), mais qui peut en être différenciée par le fait que le plomb produit une anémie, ce qui n’est pas le cas de la porphyrie.
Origine de la toxicité du plomb : Elle semble surtout venir de sa capacité à circuler dans les chaînes alimentaires et les organismes, en « mimant » le comportement d'autres métaux vitaux, dont principalement le calcium, et moindrement le fer et le zinc.
Le plomb s'y substitue dans différents organes et interagit ainsi avec la production de protéines et molécules impliquant ces trois métaux. Le plomb freine ou empêche ainsi des processus vitaux ou secondaires ; il inhibe la production de certaines enzymes et le transport de l'oxygène par le sang en particulier.
La plupart des premiers symptômes du saturnisme découlent du fait que le plomb interfère négativement avec une enzyme essentielle, Delta-aminolevulinic acid déshydratase (ALAD). L'ALAD est une protéine contenant un pont moléculaire dépendant du zinc. Elle est vitale pour la biosynthèse de l'hème, cofacteur de la production de l'hémoglobine.
Le plomb inhibe aussi une autre enzyme vitale (ferrochelatase) qui catalyse la réunion de la protoporphyrine IX et de l’ion Fe2 + qui forme l'hème.
Il reste un problème de santé publique, peut-être encore sous-estimé y compris dans les pays riches où la majorité des cas graves et repérés de saturnisme concerne des enfants de moins de douze ans, vivant dans des zones exposées à du plomb d'origine industrielle ou vivant dans un habitat ancien, voire insalubre où des peintures au plomb sont accessibles. Ailleurs la situation est mal connue.
De nos jours, le saturnisme aigu est le plus fréquent chez l'enfant et souvent induit par l'ingestion de plomb sous forme de particule fines ou d'écailles de peinture au plomb (céruse ou hydroxycarbonate de plomb). L'origine de ces cas est le plus souvent une exposition dans l’habitat ancien à la céruse de plomb, peinture très utilisée jusqu’à son interdiction en 1948. La peinture est ingérée directement ou sous forme de poussières produites lors de sa dégradation au cours du temps ou à l'occasion de travaux (ravalements, grattage, brossage, ponçage...) En France, une expertise collective de l’INSERM a estimé en 1999 que 85 000 enfants de 1 à 6 ans étaient encore victimes de ce type de saturnisme.
Plus rarement, on constate des intoxications par l'eau contaminée par d'anciennes tuyauteries en plomb (notamment dans les régions où l'eau est naturellement acide).
L'inhalation est localement (à proximité des usines et de sites pollués par le plomb) un facteur très important de contamination (par exemple dans le nord de la France, la fermeture de l'usine Métaleurop Nord s'est traduite par une chute rapide de la plombémie chez les enfants des zones périphériques, sans toutefois faire disparaitre les traces d'une pollution de fond).
Certains aliments cultivés sur des sols pollués par le plomb, viandes d'animaux ayant ingéré des végétaux riches en plomb ou souillés, et certains champignons sont aussi des sources de saturnisme d'origine alimentaire. En particulier, les consommateurs de gibier d'eau tués dans certaines régions très chassées et fortement contaminées par la grenaille de plomb de chasse sont exposés à un risque élevé de saturnisme. Plus rarement, la pièce de viande située près de l'entrée de la balle dans la chair d'un grand gibier (chevreuil, cerf, sanglier…) tué par balle de plomb pourrait aussi être une source d'intoxication. Elle est en tous cas une source démontrée de saturnisme aviaire chez le condor de Californie.
Hors intoxications professionnelles ou liées à l'habitat ancien, la prévalence du saturnisme reste mal connue ; Hormis dans les situations où le risque est connu, la maladie n'est en effet que rarement détectées par la médecine du travail. De même pour la médecine scolaire (quand elle existe), la médecine rurale ou de ville et la médecine d'urgence. On peut y voir plusieurs raisons :
La source originelle (le danger) peut être :
Dans tous les cas, le risque est que ce plomb soit absorbé par l'organisme, et tout particulièrement par le fœtus, embryon ou jeune enfant.
Elle est multiple et varie selon les pays et les contextes (époques, lieux, comportements à risque, âge..) ; Ce sont notamment :
Rappel préalable : Chez les mammifères, une contamination intergénérationnelle (de la mère au fœtus in utero ou via l'allaitement) est toujours posible. (Chez l'oiseau, le saturnisme aviaire de la mère peut aussi influer sur la survie et les capacités du poussin).
La première voie demeure, semble-t-il, l’ingestion directe de particules (peinture) au plomb ou de sol et poussières contaminées. Les jeunes enfants ont aussi tendance à sucer la peinture de barreaux ou de châssis de fenêtres, ou peuvent parfois être intoxiqués en portant leurs doigts à la bouche après avoir touché les plaques de plomb utilisés pour l'étanchéité de toitures, gouttières ou chéneaux autour de châssis de fenêtres (ou autres éléments accessibles d'architecture). Depuis la fin du XXe siècle, dans un nombre croissant de pays, et dans la plupart des États américains et d’Europe, les propriétaires, loueurs et/ou vendeurs de maisons anciennes doivent à leurs frais faire un diagnostic, et informer les résidents potentiels du danger.
Les enfants sont parfois contaminés par une exposition chronique à des particules de plomb involontairement rapportés à la maison par des parents travaillant dans la métallurgie du plomb, les batteries ou la plomberie (ce plomb est rapporté sur les cheveux, la peau et les vêtements et chaussures). Ainsi par exemple lors d'une étude nord américaine, 75% de 16 enfants de travailleurs exposés au plomb présentaient une plombémie nettement supérieure à celle des autres enfants de leur quartier (en moyenne 22.4µg/dL contre 9.8 µg/dL, p=.049). Une autre étude a porté sur 50 enfants âgés de 6 ans (31 enfants de parents exposés au plomb dans le secteur du bâtiment, et 19 cas-témoins, enfants de parents non exposés) ; les enfants de travailleurs exposés étaient 5 fois plus nombreux à avoir une plombémie jugée excessive (25.8% contre 5.3% pour les cas témoins). Une autre étude a porté sur 18 enfants (de moins de 7 ans) de réparateurs de radiateurs automobile (soudures contenant du plomb, et radiateurs éventuellement contaminés par le plomb de l'essence); tous les enfants dépassaient le seuil critique de 10 µg/dL.
L'enfant est plus souvent intoxiqué entre la deuxième et troisième années de sa vie (période où l'on porte souvent les doigts et objets à la bouche). Plus rarement (mais avec des effets plus graves), un empoisonnement au plomb peut survenir plus tôt (in utero, ou ensuite via le lait contaminé de la mère ou via du lait artificiel mal préparé ; par ex réchauffé dans un samovar soudé avec un étain riche en plomb (Ainsi, un nourrisson de 4-mois a atteint une plombémie veineuse de 46 mg/dl).
Des intoxications d'enfants sont également régulièrement constatées suite à utilisation de jouets en plomb, et de faux bijoux ou objets décoratifs portés sur la peau ou que les enfants peuvent porter à la bouche. Idem pour des jouets peints avec une peinture au plomb.
L’alimentation reste une source de fond d’apports en plomb, généralement faibles, mais avec certains aliments plus à risque : champignons capables de fortement bioconcentrer et bioaccumuler le plomb, comme le font aussi d'autres espèces dont les moules, huitres, autres coquillages et poissons ou mammifères carnivores. Les légumes ayant poussé sur des sols pollués, le gibier abattu par des grenailles ou balles de plomb, ou ayant vécu dans une zone humide depuis longtemps chassée, c’est-à-dire polluée par la grenaille de plomb sont d'autres sources alimentaires de plomb qui peuvent être ponctuellement facteur de saturnisme.
L’air est une source localement importante. La plombémie moyenne a nettement décliné dans la décennie qui a suivi l’interdiction du tétra-éthyle de plomb dans l’essence, mais certains pays ne l’ont interdit que tardivement ou ne l’ont pas encore interdit (Nigéria, Arabie saoudite, exceptions pour les territoires d’outre-mer pour la France..). Dans les régions industrielles, à proximité d’incinérateurs anciens et non mis aux normes, de certains sites miniers ou d’usines métallurgiques, l’inhalation de vapeurs et microparticules de plomb est une source majeure de plomb à ne pas sous-estimer.
L’eau du réseau de distribution d'eau potable, là où elle est naturellement acide ou neutre, peut apporter une quantité non négligeable de plomb. L’UE a imposé la suppression progressive de toutes les tuyauteries en plomb. Le plomb dissous dans l'eau peut provenir des tuyaux, mais aussi des soudures et d'accessoires en laiton de mauvaise qualité, riche en plomb lentement soluble dans l’eau. Dans les zones à risque, il est recommandé de faire couler l'eau qui a stagné la nuit dans les tuyaux avant de la boire ou de l'utiliser pour la cuisson.
Certains cosmétiques importés tels que les khôls traditionnels du Moyen-Orient, d'Inde, du Pakistan, et de certaines régions d'Afrique sont également source d’intoxications, notamment d'enfants (certains khôls traditionnellement réputés protéger les yeux de diverses maladies contiennent jusqu'à 83% de plomb). Une étude ayant porté sur 538 fillettes âgées de 6 à 12 ans a montré que le khôl provoquait une augmentation de la plombémie des fillettes. Une autre étude a porté sur 175 enfants pakistanais et indiens âgés de 8 mois à 6 ans vivant au Pakistan ; ceux qui ont été traités avec du kohl traditionnel présentaient des plombémie moyenne triplée et excessive (12.9 µg/dL contre 4.3 µg/dL pour les autres enfants n'ayant pas utilisé ce cosmétique).
Des poteries cuites avec des émaux au plomb, des étains de mauvaise qualité ou des théières traditionnelles soudées avec du plomb ont fréquemment été des sources avérées d’intoxication, ayant justifié diverses alertes sanitaires et retraits de vente.
L’exposition au plomb-métallique liée à l’ingestion de petits objets (grenaille de chasse, lests de pêche) est peu réputée pour conduire à une plombémie élevée, mais on connaît quelques exceptions ; quand le plomb stagne dans le tube digestif et en particulier dans l’appendice où il peut rester piégé des années, ce qui n’est pas exceptionnel chez les grands consommateurs de gibier d’eau. Chez les oiseaux, le problème est très différent, car les morceaux de plomb ingérés (grenaille de plomb, plomb de pêche) sont rapidement érodés et solubilisés dans le gésier, provoquant un saturnisme aviaire, souvent aigu, très commun chez les oiseaux d'eau dans les zones très chassées mais également plus fréquent qu'on ne l'a d'abord cru chez d'autres espèces, hors des zones humides.
De nombreux composés organiques du plomb passent facilement au travers de la peau et des barrières intestinales. C'est le cas du plomb tétraéthyl qui était ajouté à l'essence, et l'est encore dans certains pays.
Certains "remèdes" populaires dont l’« Azarcon » ou le « greta » qui contiennent jusqu'à 95% de plomb, utilisés pour "guérir", sont des sources graves d'intoxication. Ce médicament est si toxique que, s'il tue tous les microbes, il contribue aussi à empoisonner gravement l'organisme, celui des enfants en particulier.
La médecine militaire et la médecine d'urgence ont parfois à faire face à des cas particuliers d'empoisonnement saturnin liés à des plaies balistiques (par balles ou grenaille de plomb).
Le saturnisme est plus fréquent et grave chez le jeune enfant, pour au moins 4 raisons ;
Un enfant est généralement considéré comme nécessitant des soins à partir d'une plombémie de 100 µg par litre de sang, mais ce seuil pourrait être revu à la baisse en raison d'effets démontrés sur le cerveau à des doses bien inférieures.
En termes d'impacts sur le cerveau, on a longtemps considéré que les enfants étaient le plus vulnérable au plomb de l'état fœtal jusqu'à l'âge de 2 ans, mais une étude récente a montré qu'à l'âge de 6 ans, les effets neurologiques, pour une exposition au plomb inférieur à celle d’un enfant de 2 ans, induisaient davantage de troubles neurologiques. Les risques de handicap mental, troubles psychomoteurs, du langage et de l’attention ou de la cognition, anémie seraient encore plus élevés à 6 ans qu'à 2 ans.
Aux USA, dans les pays où le plomb est encore très utilisé dans l'essence, autour de certaines aires industrielles ou là où il est récupéré par les enfants, les cas de saturnisme infantile sont encore nombreux. A titre d'exemple, en France en 2006, ce sont encore 437 nouveaux cas de saturnisme infantile qui ont été repérés en métropole. Il s'agissait essentiellement d'enfants de 1 à 5 ans, vivant en Île-de-France pour 56% des cas, et dans le Nord-Pas-de-Calais pour 13% (deux régions où le dépistage est beaucoup plus poussé (Cf. risques liés aux séquelles industrielles et aux peintures au plomb dans l'habitat ancien. 89% de ces enfants avaient une plombémie de moins de 250 µg/L; mais 9 enfants dépassaient les 450 µg/L, et l'un dépassait 700µg/L. l'INVS note que sur 349 cas notifiés, 20 ne l'ont été notifiés qu'à la seconde plombémie dépassant 100 μg/L (tout signalement tardif à la DDASS retarde le traitement du risque environnemental, et augmente le risque d'aggravation de l’intoxication alerte l'INVS).