La société Decauville, créée en 1875 a été un constructeur de matériel ferroviaire et de manutention, de cycles et d'automobiles.
Paul Decauville (1846-1922), initialement fils de l'agriculteur Armand Decauville spécialisé dans la production de betteraves et la distillerie, inventa un type de voie de chemin de fer de faible écartement (40 à 60 centimètres) qui prit le nom de « Decauville », suite à un stock de 9.000 tonnes de betteraves attendant dans des champs détrempées et d'accès très difficiles.
La voie est formée d'éléments entièrement métalliques qui peuvent se démonter et transporter facilement. Cette invention a trouvé des applications dans de nombreux domaines : exploitations minières et industrielles, desserte des ouvrages militaires. Les wagonnets étaient d'abord poussés à la main ou tractés par des chevaux. Par la suite, des voitures de formes diverses et des petites locomotives firent du Decauville un véritable système de chemin de fer. L'apparition des voies étroites Decauville, mais également d'autres fabricants, constituèrent une évolution majeure en permettant de déplacer de lourdes charges aisément à une époque où la brouette et le tombereau dominaient.
Emblème de la société, une gamme complète a été développée dès les premières années de production. Par la suite on verra apparaître successivement tous les éléments de ce qui était presque un jeu de construction pour tenter de répondre à tout besoin de transport. Le concept fut d'ailleurs repris par de nombreux industriels de l'époque tels que Koppel ou Pétolat.
Il fut un outil stratégique primordial lors de la Première Guerre mondiale.
En 1853 le père de Paul Decauville, Armand, crée au sein de la ferme familiale un atelier de chaudronnerie afin d'installer des distilleries dans les fermes de l'est de Paris. En 1864, Armand demande à son fils ainé, Paul, de venir l'aider suite à des ennuis de santé. Très vite ce dernier cherche à améliorer le fonctionnement du domaine. En 1867, afin de surmonter une pénurie de main d'œuvre, Armand Decauville cherche un moyen de mécaniser le labourage de ses champs. Il sélectionna un système anglais de l'ingénieur J. Fowler permettant de labourer à l'aide d'une locomobile et d'une charrue réversible. Un atelier de réparation de ces machines vint compléter celui de chaudronnerie. Armand Decauville meurt en 1871. Cette même année, les ateliers Decauville commencent à réaliser des travaux de chaudronnerie pour la compagnie PLM.
C'est en 1875 que les choses se précipitent. Paul Decauville essaye au début de l'année plusieurs moyens de transport dans l'enceinte même de sa ferme. Parmi ceux-ci se trouvaient le Système H. Corbin: une voie en bois, ressemblant à une échelle, dont les montants étaient recouverts d'une cornière en fer. Les wagonnets ne comportaient qu'un seul essieu, chacun reposant sur son précédent. Après essai de ce système, il fut jugé fragile et rejeté. Cette année là, la ferme Decauville a choisi de cultiver énormément de betterave sucrière et la récolte s'annonce excellente, il a aussi beaucoup plu et les moyens de transport ordinaires (le tombereau) s'avèrent inutilisables. Decauville se souvient alors du système Corbin et décide de faire réaliser par ses ateliers une voie constituée de deux fers carrés espacés de 40 cm et fixés sur des traverses en fer plat. Ainsi constitué, l'ensemble ne s'enfonçait pas dans le sol. Afin d'assurer le transport, inspiré par l'allure de la voie, un ouvrier eut l'idée de créer de petits wagons de chemin de fer, ce qui fut fait. L'ensemble ayant l'air de fonctionner, étant donné l'urgence de la récolte de 9.000 tonnes, il fut produit en quantité et permit de finir le débardage avant les premières gelées. Illustration
Dès 1876, les ateliers s'attachèrent à perfectionner le système de voie et le matériel roulant. Il fut par la même occasion généralisé au sein de la ferme : évacuation du fumier, transport de pièces dans les ateliers, etc. Après un peu moins d'un an d'essais et d'améliorations les premiers éléments furent commercialisés : les voies et un châssis de wagonnet, à adapter selon les besoins de l'acheteur.
Afin de démontrer l'efficacité de son système de chemin de fer « portable », Decauville obtint la concession du Tramway de Pithiviers à Toury (TPT) qui assura jusqu'en 1964 un important trafic betteravier ainsi qu'épisodiquement le transport de passagers.
Deux ans après l'épisode des betteraves, le succès du Porteur Decauville était tel que des éléments étaient envoyés aux quatre coins de la planète, comme le tableau ci-dessous l'indique.
Pays | Installations vendues |
---|---|
France | 202 |
Belgique | 9 |
Royaume-Uni | 8 |
Alsace | 6 |
Suisse | 5 |
Brésil | 4 |
Russie | 3 |
Algérie, Autriche, Égypte, Espagne, île Maurice, Martinique, Portugal | 2 |
Cochinchine, Afrique du Sud, Grèce, Hollande, île Bourbon, îles Seychelles, Italie, Jamaïque, Mexique, Monaco, Norvège | 1 |
L'année de ce relevé, en 1878, on note aussi la première utilisation d'un chemin de fer à voie étroite au sein d'une exposition universelle, puisque 2 km de voie à l'écartement de 50 cm seront utilisés pour la mise en place des exposants. Decauville propose l'utilisation de ces voies pour le transport des voyageurs, mais l'autorisation lui en est refusée. Il proposera la même installation au jardin d'acclimatation qui l'acceptera. Ce petit train, la ligne du jardin d’acclimatation, à l'écartement de 50 cm, existe toujours.
L'adaptation militaire du système Decauville va être effectuée par le commandant Péchot à la batterie de Bouvron près de Toul et être normalisée en 1888 ; la voie de 60 va être testée, notammment à Langres, en 1906.
Le matériel le plus connu est la locomotive Péchot Bourdon, la plateforme d'artillerie Péchot modèle 1888, différents types de wagons (citerne, couvert) et des wagons-artillerie que l'on appelle « affûts trucks » portant, sur un affût spécial, un canon de 120 long ou un canon de 155 court.
Decauville fournira beaucoup de matériel. Certains forts possédant une voie étroite à l'intérieur des galeries pour le transport de munitions, des plaques tournantes ont été placées dans les angles des galeries afin de faire pivoter le petit wagonnet.
Les quatre grandes places de l'Est, Épinal, Belfort, Verdun et Toul, ont été dotées de ce type de transport. Le développement de la voie de 60 sur la place d'Épinal était de 120 km ; elle desservait les 17 forts de la place, une partie des 91 batteries d'artillerie et les magasins à poudre.
De part sa plus grande facilité de transport il fut aussi utilisé par les troupes pour reconstruire des voies ferrées sur les fronts, le matériel fut par exemple utilisé par l'Armée française d'Orient.
Les productions Decauville dans le domaine de la voie métrique ont débuté vers 1896 par une 020 de cinq tonnes à vide. La concurrence faisant rage dans ce domaine, la société s'est dotée d'une gamme réduite mais suffisamment polyvalente.
Ainsi au catalogue 1897, cinq types sont indiqués : de 13 à 23 tonnes en marche. Une locomotive à vapeur 030T a été construite en 1908 sous le n° 512 pour la ligne Berck-Plage - Paris-Plage.
Côté matériel remorqué, on trouve seulement deux wagons: un wagonnet basculant "girafe" et un plat à ballast.
Au catalogue 1908 la gamme s'est largement étendue, au détriment de la voie de 60 :
Parmi le matériel de traction, les 5 types sont toujours présents, mais ils se sont affinés. C'est à cette époque que Decauville commence à se spécialiser dans l'équipement de réseaux pour les colonies. On voit alors apparaître de très grosses machines à voie métrique, jusqu'à 32 t pour celles destinées au chemin de fer du Soudan français.
20 modèles de voitures sont disponibles, dont plusieurs spécialement adaptés aux climats tropicaux. On compte également 14 types de wagons, la plupart couverts
En 1939, la société Decauville construit 3 autorails du type DXW pour le Yunnan en Indochine. Cependant la guerre d'Indochine empêcha leur expédition. En 1951, ils ont été rachetés par la SNCF qui les a affecté au Réseau Breton.
Le matériel Z 600 de la ligne Saint-Gervais-Vallorcine a été fabriqué par Decauville. Il a été livré en 1958.
L'intérêt des ingénieurs de Decauville pour ce genre d'engin, regroupant motrice et compartiments voyageurs, a existé dès 1896. Cette année, en collaboration avec Léon Serpollet, ils construisirent une automotrice à vapeur. Cette fabrication est d'ailleurs la première des établissements Decauville pour la voie "normale".
En 1932, la société reçut une commande de la Compagnie des chemins de fer du Nord pour deux autorails à caisse tubulaire de 2×130 ch à transmission mécanique. Ceux-ci seront immatriculés ZZ 13 et 14 puis ZZ DC 1001 et 1002 à la SNCF. La construction et les essais de ces autorails furent suivis de près par les autres réseaux. Ces deux autorails ont été vendus en 1944 à un réseau ferré local allemand.
Le PLM, à son tour et selon le modèle des autorails Nord, commanda sept puis neuf autorails. Leur puissance largement augmentée (2×320 ch) et la transmission électrique devaient les destiner aux lignes de montagne du réseau. Ils revêtirent la livrée bleue et crème du PLM. Leur esthétique particulière, avec capots d'extrémités, les fit baptiser Nez de cochon. Immatriculés ZZ P 1 à 9 à leur livraison à Grenoble en 1938, ils finirent leur carrière sous les numéros SNCF X 52001 à 8, l'X 52009 ayant été détruit par un accident en 1945. Leur caisse a été partiellement reconstruite en 1952-1953 suivant le modèle de la 2nde série avec suppression des fameux capots d'extrimités et mise en livrée rouge et crème. Une seconde série de 10 unités commandée par le PLM fin 1937 sera livrée directement à la SNCF à partir de 1945 (X DC 2101 à 10 renumérotés X 52101 à 10 en 1962).
Les deux séries X 52000 et X 52100 ont éffectué toute leur carrière au Centre Autorails de Grenoble. Ces autorails ont assuré des relations Lyon - Grenoble - Veynes, puis des liaisons estivales Genève - Digne via Grenoble de 1953 à 1958, puis des liaisons Valence - Genève via Grenoble de 1958 à 1972. Depuis Grenoble, ils sont également allés jusqu'à Bourg-Saint-Maurice (en Tarentaise), à Modane (en Maurienne), à Briançon et à Marseille, leur ligne de prédilection étant la célèbre ligne des Alpes. Ils ont effectué leur dernier service commercial avec l'X 52006 et l'X 52103, encadrant deux remorques d'autorails unifiées Decauville, sur un aller-retour Grenoble - Vif le 10/06/1973. L'X 52103 est conservé au Musée du chemin de fer de Mulhouse (baptisé Cité du Train) à Mulhouse où il représente la 1ère génération d'autorails diesel-électriques de France.
La Compagnie des chemins de fer de l'État commanda aussi deux autorails de cette famille. Mûs par deux moteurs Saurer de 150 CV, ils atteignaient facilement 130 km/h. L'esthétique revue elle aussi s'approchait étrangement de celle des TGV actuels. Ils ont été vendus en 1951.
En 1937, Decauville participa avec de nombreux autres constructeurs à un projet d'« autorail standard » (immatriculés à la SNCF dans la tranche ZZ A 3000 puis X 23000). 53 véhicules furent construits de 1937 à 1939, dont 23 caisses par Decauville.
Cette même année, les ingénieurs de la société, en quête de solutions nouvelles, construisirent un autorail particulièrement étonnant, puisque sa propulsion était assurée par une hélice ! Cet autorail, très inspiré des techniques aéronautiques, fut commandé par la Compagnie des chemins de fer du Nord pour « résoudre le problème du freinage à grande vitesse ». Les essais de cet engin hors normes ne semblent pas avoir été concluants. Cet engin, très abîmé en 1945, n'a jamais été réparé. À noter qu'un second brevet a été déposé par Decauville vers 1950 pour un autorail à turbine. Le prototype n'a par contre jamais été construit.
Par la suite, de 1950 à 1954, Decauville fabriqua les autorails unifiés de 600 ch, immatriculés X 2401 à 2479.
Enfin, et ce furent les dernières constructions d'autorails pour la SNCF : les 16 premiers engins des autorails unifiés de 825 ch X 2801 à 2919 furent construits de 1958 à 1960. Le reste de la série a été construite par Renault.
Outre ces engins, Decauville se fit une spécialité de la construction de remorques d'autorails. Des véhicules qui se devaient d'être légers et pourtant très rigides. On compte parmi les productions de la société pour la SNCF :
On ne compte pas ici les remorques, parfois produites à l'unité, pour d'innombrables chemins de fer africains, et qui, au total, sont certainement plus de 300. On ne cite pas non plus la dernière série de remorques, produite en 1961 en collaboration avec la société Lorraine, portant sur 102 remorques à bogies destinées aux chemins de fer argentins.