Programme lunaire habité soviétique - Définition

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Le programme N1-L3

Schéma d'une Saturn V américaine et d'une N1 soviétique

Le lanceur N1

L'existence du lanceur N-1 n'est révélée que durant la glasnost par les Izvestia. À la même période, la revue spécialisée Znanye Cosmonavtika Astronomiya en publie des plans, issus du journal de Vassily Michine, le successeur de Korolev, vendu 190 000 dollars aux enchères, en 1993, aux États-Unis.

Fin 1964, Korolev propose un lanceur de 2 200 tonnes pour une charge utile de 72 tonnes. Finalement, le projet N1 retenu en 1967 (un an après la mort de Korolev) mesure 112,5 mètres de haut, pèse 2 700 tonnes pour une charge utile de 95 tonnes. De dimensions similaires à la fusée lunaire Saturn V, la N1 est plus puissante (4620 tonnes de poussée au décollage, contre 3440 pour Saturn V).

Elle comprend 4 étages fonctionnant au kérosène RP-1 (le carburant) et à l'oxygène liquide (LOX) (le comburant), facile d'emploi mais moins performant que le couple hydrogène/oxygène liquides :

  • un 1er étage (dit bloc A) comprenant pas moins de 30 moteurs-fusée NK-15 délivrant une poussée de 4 620 tonnes au décollage (154 tonnes dans le vide). Il était envisagé d'utiliser des moteurs NK-33 (utilisant eux aussi du kérozène) sur les versions N1F du lanceur destinées à mettre sur orbite les stations Saliout ;
  • un 2 e étage (dit bloc B) comprenant 8 moteurs NK-15V (ou NK-43) délivrant une poussée de 1 427 tonnes au total ;
  • un 3 e étage (dit bloc V) comprenant 4 moteurs NK-21 (ou NK-39) de 653 tonnes de poussée totale ;
  • un 4 e étage (dit bloc G) comprenant un seul moteur NK-19 de 40,8 tonnes de poussée destiné à propulser le « train lunaire ».

Essais statiques

Ils comprennent :

  • 4 allumages à pleine puissance (environ 600 tonnes) de 4 des 8 moteurs NK15V du 2 e étage (bloc B) les 2 février, 13 avril, 23 août 1967 et le 25 novembre 1970 ;
  • 3 allumages à pleine puissance (environ 1 200 tonnes) des 8 moteurs NK15V du 2 e étage (bloc B) le 23 juin 1968, le 29 août 1970 et le 15 décembre 1973 ;
  • un cycle d'allumages de chacun des moteurs NK15 du 1er étage (bloc A) ;
  • des allumages du moteur NK-19 du 4 e étage (bloc G) et du moteur RD-58 (bloc D) du vaisseau lunaire LOK.

Selon l'OKB-1 (aujourd'hui RKK Energia), tous les essais statiques des moteurs sont couronnés de succès.

Le train lunaire L3

Le vaisseau LOK

Représentation du LOK

Le vaisseau lunaire LOK (Lunniy Orbitalny Korabl) ou L1K ou 7K-L3 est la version la plus lourde du vaisseau Soyouz puisque, avec une masse de 9 850 kg, il pèse 4 tonnes de plus que le Soyouz A (1963) et 3 de plus que le Soyouz 7K-OK (1967-1971). Il est également plus long (10,06 m) et plus large (2,93 m de diamètre).

Il comprend :

  • le module orbital BO (бытовой отсек) d'une longueur de 4,55 mètres, de forme conique (2,93 mètres de diamètre), est tronqué à l'avant par le système d'amarrage mâle Kontakt assisté de 4 amortisseurs (en lieu et place du système IGLA du Soyouz) permettant une jonction en douceur avec le LK. Autour se trouvent 6 réservoirs pour les moteurs-fusée de manœuvre du SA. Comme on le voit, le système Kontakt ne possède pas de sas, obligeant le cosmonaute à effectuer une sortie extravéhiculaire mais ayant aidé à réduire le poids du LOK et à simplifier son architecture. Au-dessus du module est installé le système de contrôle d'altitude ODOP, au-dessous un télémètre laser-optique. Le BO héberge également le système de support-vie Rosa qui recycle l'humidité en eau potable ;
  • le module de rentrée SA (спускаемый аппарат) d'une longueur de 2 mètres, d'un diamètre de 2,20 mètres et d'une masse de 2 850 kg possède un bouclier thermique plus fin que celui du Soyouz 7K-OK et deux ouvertures, dont l'une sur le côté, permettant les sorties extravéhiculaires. Enfin, certains équipements du panneau de contrôle semblent différents, tandis que des compartiments ont été rajoutés pour loger les combinaisons spatiales Krechet et les échantillons recueillis sur la Lune. Par contre, les 2 cosmonautes sont assis côte à côte dans les sièges standard des Soyouz ;
  • le module de service PAO (приборно-агрегатный отсек) comprend :
    • le compartiment de transition et la case à équipements PO logeant 4 paires de moteurs auxiliaires de roulis et de lacet permettant les manœuvres d'amarrage, les systèmes d'avionique, de communication, de télémétrie et l'ordinateur numérique guidant non seulement le LOK mais le train lunaire L3 tout entier lors de l'ensemble des phases de vol, de l'injection sur orbite lunaire jusqu'à la désorbitation, tout en affichant la position du vaisseau en temps réel grâce à une centrale à inertie. Le PO comprend également un système EKhG de piles à combustible alcalines Volna-20 alimentées par 4 réservoirs de 600 kg d'oxygène et d'hydrogène liquides. Similaires à celles installées sur les vaisseaux américains Gemini et Apollo, elles produisent de 1,5 kW d'énergie électrique à 27 volts pour 500 heures, de la chaleur et de l'eau potable, en complément du système Rosa. Elles sont testées de façon statique du 1er novembre au 29 décembre 1971 puis directement sur le 4e lanceur N1 du 24 août au 23 novembre 1972 ;
    • le compartiment des machines AO comprenant le moteur principal (Bloc I) de 3 388 kg de poussée et le moteur de rendez-vous et de correction d'orbite (SKD) de 417 kg de poussée.

Le module lunaire LK

Représentation du module L3.

Les modules lunaires soviétiques ont donné lieu à de nombreuses ébauches, comme la version initiale L3 (1963) puis le LK de Korolev (qui est finalement retenu en 1964), les LK-3 (1962) et LK-700 (1966) de Tchelomeï, les L3M (2 versions) de Korolev (1972) et LEK (1969-1974), les KLE (1964-1974) et Lunokhod de Tchelomeï ; le module DLB de Barmine (1962-1974), les LZM et LZhM de Korolev (1975), une autre version du Lunokhod et le LEK (1975) de Glouchko pour la base lunaire Vulkan. LK (Lunniy Korabl).

Profil de mission

Combinaison spatiale conçue pour le programme lunaire soviétique. Aujourd'hui, au National Air and Space Museum de Washington D.C..

La mission est prévue pour durer 11-12 jours. Elle comprend les séquences suivantes :

  • J+1 : la N1 met sur orbite terrestre basse (LEO) le train lunaire L3, qui peut y rester jusqu'à un jour ;
  • J+2 : le moteur NK-19 du 4 e étage (bloc G) accélère le L3 jusqu'à l'orbite d'évasion et le propulse à proximité de la Lune avant de se séparer ;
  • J+2 à J+5 : le moteur RD-58 (bloc D) poursuit l'accélération ;
  • J+5 à J+7 : le moteur RD-58 met le L3 sur orbite lunaire circulaire puis elliptique (Orbite de transfert de Hohmann) par deux corrections de trajectoire ;
  • J+7 : par sortie extravéhiculaire, un cosmonaute quitte le LOK en combinaison spatiale Krechet pour rejoindre le LK ;
  • J+7 : la phase de descente commence :
    • à 14 km d'altitude, une partie du bloc D et du LK est éjectée ;
    • à 4 km d'altitude, le bloc D se sépare du LK et s'écrase à 4 km de là sur la surface lunaire à 115m/s tandis que le moteur principal 11D411 (bloc E) du LK s'allume ;
    • de 4 km à 300 m d'altitude, le moteur 11D411 ralentit la descente (à cette altitude, la mission peut être annulée par l'allumage à pleine puissance du 11D411 et/ou de son moteur de secours 11D412 (un seul allumage) et rejoindre le LOK en orbite) ;
    • de 300 à 100 m d'altitude, l'atterrissage se poursuit de façon semi-automatique ;
    • en dessous de 100 m d'altitude, des moteurs de manœuvre permettent de se poser automatiquement jusqu'à une inclinaison de 30° ;
  • J+7 : le cosmonaute demeure sur la Lune de 6 à 24 heures et effectue plusieurs sorties extravéhiculaires ;
  • J+8 : le moteur principal 11D411 s'allume et propulse l'étage de remontée du LK vers l'orbite lunaire ;
  • J+8 : Le LK s'amarre automatiquement au LOK ;
  • J+8 : par sortie extravéhiculaire, le cosmonaute quitte le LK en combinaison spatiale Krechet pour rejoindre le LOK ;
  • J+8 : le moteur (bloc I) propulse le LOK jusqu'à l'orbite d'évasion et à proximité de la Terre ;
  • J+11 : le module de rentrée (SA) du LOK se sépare du couple module orbital (BO)/module de service (PAO) et rentre dans l'atmosphère terrestre puis est freiné par parachutes avant l'atterrissage.

Lancements

Tel n'est pas le cas des 4 lancements du site 110 du cosmodrome de Baïkonour de la fusée lunaire N1, qui sont des échecs tous dus à une défaillance du 1er étage :

  • la 1re N1 (vol 3L) embarquant une maquette du module lunaire explose en retombant au sol le 21 février 1969. Au bout de 10eseconde, le système de correction et de poussée KORD débranche les moteurs no 12 et 24, puis à T+66 secondes, une canalisation d'oxygène liquide se rompt sous l'effet des vibrations et le feu se déclare à l'arrière du lanceur. À T+70 secondes et à 14 km d'altitude, tous les moteurs s'arrêtent et le train spatial L3 est éjecté par le système de sauvegarde. La cabine L1 atterrira à plusieurs dizaines de kilomètres du pas de tir en bon état.

Une réunion houleuse de la commission chargée d'analyser l'échec du 1er lancement a lieu les 19 mai-20 mai 1969 entre officiels et constructeurs généraux du programme, où tous les problèmes -dit-on - auraient été identifiés et corrigés. Vladimir Barmine refuse que les moteurs soient éteints avant 15-20 secondes de vol afin de prévenir une destruction du pas de tir, mais le temps presse et cette mesure n'est décidée que pour le 3e vol. Mstislav Keldysh, soutenu par le ministre de la MOM Georgi Tyulin, déclare que si le 2e vol échoue, la N1 devra effectuer un autre vol d'essai sans le LOK et prédit que, même en cas de succès, le LOK et le LK ne seront pas optimaux à temps pour gagner la course contre les États-Unis. Michine, le premier adjoint de Korolev n'est pas d'accord et veut que le LOK fasse partie du 3e vol et exige que le train lunaire L3 complet serve à l'atterrissage lors du 4e vol. Konstantin Bushuyev déclare qu'un vol circumlunaire est pour l'heure impossible. Ivan Serbin, un officiel soviétique, rappelle que les ordres du Comité central du PCUS concernaient un 2e vol circumlunaire. Finalement, Leonid Smirnov, président de la commission militaro-industrielle VPK du Comité central, conclue sur la mission prévue pour l'anniversaire de la Révolution d'octobre au cours de laquelle 3 vaisseaux Soyouz seraient simultanément en orbite terrestre, 2 s'amarrant tandis que le 3e filmerait l'événement.

  • la 2e N1 (vol 5L) embarquant une maquette du module lunaire prend feu le 3 juillet 1969 à 100 mètres d'altitude en raison de l'explosion du moteur no 8 par suite de l'ingestion d'un débris d'aluminium par la pompe à oxygène. La N1 retombe sur le pas de tir de droite du site 110 (comme le confirmera des vues du satellite de reconnaissance américain KH 4B un mois plus tard), qui est détruit, comme la tour de service et certaines installations souterraines. L'explosion est équivalente à celle d'une bombe de 10 kilotonnes. La reconstruction du pas de tir de droite dure d'août 1969 à 1972 ;
  • la 3e N1 (vol 6L) embarquant une maquette du train lunaire L3 dévie de sa trajectoire (qui atteint 145°N à T+14 secondes) le 27 juillet 1971 et entraîne sa perte de contrôle à T+51 secondes de vol (soit 1 seconde trop tard pour enclencher l'arrêt du moteur) ;
  • la 4e N1 (vol 7L) embarquant une maquette du train lunaire L3 explose à T+107 secondes de vol (soit 7 secondes avant la séparation du 1er étage) le 23 novembre 1972 suite à la destruction de la pompe à oxygène du moteur no 4 due à une oscillation anormale (pogo oscillation).

Par contre, les essais par d'autres lanceurs auront été plutôt des succès :

  • le 1er lancement du vaisseau lunaire LOK (ou T1K) échoue à cause d'une défaillance du 3 e étage du Proton le 28 novembre 1969, tandis que le 2 e lancement est une réussite avec des simulations de rendez-vous et d'injection sur trajectoire terrestre le 2 décembre 1970 ;
  • les 2 e et 3 e lancements du module d'atterrissage LK (ou T2K) à partir d'une Semiorka-Soyouz sont des succès les 24 novembre 1970 et 12 août 1971.

La suite du programme (1970-1974)

La N1F et le train lunaire LEK

Michine avait travaillé sur le projet amélioré N1F (qui consiste en un remplacement des moteurs des 3 étages par, respectivement, des NK-33, NK-43 et NK-31) en vue du lancement d'une station spatiale, la future Saliout (Салют).

En juin 1970, autorisation est donnée 10 ans après la demande de Korolev de développer pour la N1F un étage supérieur à plusieurs moteurs-fusée cryotechniques (hydrogène liquide/oxygène liquide) nommé bloc Sr. En juillet 1970, l'OKB-276 de Kouznetsov est chargée de développer la N1F d'une capacité de 105 tonnes en LEO. L'ébauche du programme est validée en février 1972 puis en mai 1972. Le programme est étudié dès le 1er janvier 1973. Le Lunar Expeditionary Complex (LEK) comprend toujours un vaisseau Soyouz intégré dans une coiffe pressurisée (dite OB), qui permet le passage direct sans sortie extravéhiculaire du module orbital BO au module d'atterrissage L3M. D'une masse de 23-25 tonnes, d'une hauteur de 9,3 m d'une envergure maximale de 9,4 m et d'un diamètre de 4,4 m, il peut largement accueillir 3 cosmonautes pour une durée de 90 jours. La séquence de descente et de remontée est la même que pour le LK.

L'annulation du programme (1974)

Alors que deux N1F sont prêtes à être lancées (la première au 4e trimestre 1974), Michine est remplacé par Glouchko, qui annule le 2 mai 1974 les 5e et 6e lancements de la N1 (no  8L et 9L), tout comme la totalité du programme lunaire N1-L3, sans qu'aucun décret de la VPK ne l'y autorise. Ironiquement, le 1er janvier 1975, Glouchko plaide (sans succès) auprès de la même commission en faveur de la base lunaire permanente Vulkan de Michine, qui devait être lancée par des N1!

Le coût du programme N1-L3 est chiffré en janvier 1973 à 3,6 milliards de roubles, dont 2,4 milliards pour la N1 seule. En 1976, le montant de 6 milliards de roubles est inscrit à pertes et profits.

Aucun des 24 cosmonautes lunaires n'approchera la Lune.

Après ce fiasco, « le gouvernement [...] décida de cacher ce qui avait eu trait au programme lunaire [...]. On détruisit tout ce qui pouvait l'être : documents, films et même les deux derniers exemplaires de la fusée. » À Leninsk, la ville-dortoir du cosmodrome de Baïkonour, on peut encore voir un garage construit avec des éléments du 3e étage de la N1, des parties de la coiffe du L3 recyclées à divers usages plus ou moins variés (embarcations, pare-soleil, auvent de porcherie, etc).

Secret d'État

Tout ce programme était couvert, comme bien d'autres projets scientifiques ou militaires, par le secret d'État le plus absolu. Aucune communication officielle sur l'existence des efforts soviétiques pour atteindre la Lune ne fut effectué, et l'échec de ceux-ci fut littéralement enterré au nom de la raison d'État au point que le célèbre journaliste américain Walter Cronkite annonça gravement a son public au cours des années 1970 que l'argent utilisé par le programme Apollo a été gaspillé, car « les Russes n'avaient jamais été dans la course »

Ce n'est qu'avec la glasnost à la fin des années 1980 que l'on commence à voir paraître quelques informations sur le sujet et il a fallu attendre la chute de l'URSS pour que les dossiers s'ouvrent complètement.

Une seconde vie pour les moteurs (1995-)

Un moteur Aerojet AJ26-58/-59 (ex-NK-33) testé sur banc d'essai (1995)

Les moteurs NK-33 et NK-43 à flux intégré sont encore les plus puissants jamais produits. Malgré l'ordre de destruction, 46 d'entre eux sont stockés en 2009 dans un hangar des usines de Kouznetsov (aujourd'hui Dvigateli NK) à Samara pour une future utilisation.

Le 22 octobre 1995, un moteur NK-33 est testé avec succès sur les bancs d'essai d'Aerojet à Sacramento et est renommé en AJ26-58/-59. En août 1996, l'AJ26-58/-59 est proposé pour équiper le lanceur réutilisable Kistler k-1 de Rocketplane Kistler, qui en commande 76 après 5 tests réussis au banc (136 tonnes de poussée durant 450 secondes). Le lanceur K-1 aurait dû utiliser 3 AJ26-58/-59 sur son 1er étage et un AJ26-60 sur le 2e mais la NASA annonce en octobre 2007 la fin du financement de ce projet.. Par ailleurs, l'agence spatiale japonaise JAXA s'est intéressée à l'AJ26-58/-59 pour propulser le 1er étage d'une version évoluée de son lanceur à poudre J-1, tout comme Kelly Space & Technology de San Bernardino pour son avion spatial EXPRESS, avant de lui préférer le RD-120.

En 2009, l'usine Motorostroytel de Kouznetsov, de Samara, prévoit d'engager la fabrication de ces moteurs d'ici 2014 et de l'utiliser sur le lanceur américain Taurus II.

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