Généralités sur la maladie
Comme chez les mammifères, le saturnisme induit des troubles et symptômes qui, selon leur gravité et le moment de l'intoxication, seront ou non réversibles (anémie, troubles digestifs… atteinte du système nerveux, encéphalopathie, paralysie et mort…).
symptômes
- L'oiseau intoxiqué est d'abord victime de dépression, désorientation, et d'anorexie (perte d'appétit). L'intoxication chronique par faible dose conduit l'oiseau à une perte de poids, alors que l'intoxication aiguë conduit à la mort, avant que l'oiseau n'ait eu le temps de maigrir. Des symptomes tels qu'une anémie (avec conjonctive pâle) et des selles verdâtre et anormalement liquides à diarrhéiques apparaissent, parfois accompagnées de vomissements ; Vient ensuite une phase de prostration avec douleurs (équivalent des « coliques de plomb » décrites chez l'homme). Cette phase est parfois accompagnée d'œdème et gonflement du proventricule ;
- Des Troubles neurologiques sont associés à une réduction des capacités cognitives et conduisent à un comportement léthargique ou parfois à des phases d'hyperactivité peut-être liées à la douleur ;
- Des troubles psychomoteurs sont expliqués par le fait que le plomb affecte à la fois les systèmes nerveux central et périphérique. L'oiseau peut être gêné par une faiblesse des muscles extenseurs, qui conduit éventuellement peu à peu à une Paralysie des membres ; L'oiseau vole d'abord moins bien, puis marche moins bien et finit par ne plus pouvoir voler. À ce stade, il présente beaucoup plus de risque d'être abattu à la chasse ou tué par un prédateur. S'il a survécu jusqu'au stade pré-terminal, il se cache soigneusement et meurt en quelques jours, victime d'un dysfonctionnement général de l'organisme (défaillance du foie et des reins, paralysie respiratoire suivie d'un Coma puis de la mort, généralement provoquée par une encéphalite);
- In vitro, sur le modèle animal, une exposition chronique à de faibles doses peut conduire à une Stérilité (par effet toxique et/ou de perturbation endocrinienne) ;
- 13 macrolésions sont associées au saturnisme mais n'en sont pas caractéristiques ; Parmi ces liaisons, les indicateurs les plus fiables de saturnisme concernaient le haut du tractus digestif (oedème sous-mandibulaire), le cœur (nécrose myocardique) et le foie (décoloration biliaire verdâtre causant, avec hémosidérose des cellules de Kupffer, gros bouchons de bile dans les canalicules dilatés, pigmentation biliaire dans les hépatocytes, extravasation biliaires associée à une nécrose hépatique). Ces lésions présentent une sévérité non-corrélée au taux de plomb du foie. De plus, si elles sont plus fréquentes chez les oiseaux morts de saturnisme, elles ne coexistent pas toujours, et elles existent aussi pour d'autres causes de mortalité. Elles ne suffisent donc pas à établir un diagnostic de saturnisme aviaire ;
- Le nombre de grenailles de plomb présentes dans le gésier est un critère plus fiable (surtout s'il est élevé), mais il ne fournit qu'un indice de gravité ; Il ne traduit pas l'intoxication chronique;
- Une teneur anormalement élevée en plomb des organes vitaux (foie, rein, coeur, cerveau...) est la seule preuve fiable. On se contente généralement de mesurer le plomb dans le foie (dans les plumes parfois lors d'études basées sur des ailes coupées) ;
- Si le foie contient du plomb, mais que le gésier ne recèle pas de billes de plomb, le cas échéant, une analyse isotopique pourra indiquer la part de responsabilité du plomb de chasse ou de pêche (par rapport au plomb issu du fond pédogéochimique ou de l'essence plombée, de la peinture, etc.) ;
- Le nombre de plomb dans le gésier n'est que faiblement corrélée avec la concentration du foie en plomb (qui traduit l'intoxication chronique). La corrélation est néanmoins assez bonne une fois que le poids des animaux a été pris en compte ; En toute logique, les oiseaux appartenant à des espèces de petite taille, à nombre de billes de plomb ingérées égal, présente plus de plomb dans le foie ; Lors de cette étude, le foie des canards contenait plus de plomb que celui des oies et cygnes également morts de saturnisme. Cette différence ne semble pas due à une cinétique différente du plomb dans l'organisme de ces espèces, mais au fait que par kg de poids - en moyenne - les canards avaient avalé un plus grand nombre de billes de plomb.
- Les taux hépatiques de plomb chez les oiseaux morts de saturnisme semblent indépendants de l'âge et du sexe de l'animal ;
- 85% des oiseaux d'eau diagnostiqués morts de saturnisme avaient au moins 38 ppm en poids sec (10 ppm en poids humide) de plomb dans le foie. Moins de 1% des oiseaux d'eau jugés morts d'autres causes présentaient un taux de plomb dans le foie élevé. Ce cinquième percentile, de 38 ppm en poids sec (10 ppm en poids humide) confirme que l'analyse du foie est le diagnostic le plus fiable pour le saturnisme aviaire, surtout en l'absence d'observations pathologiques ;
- Le diagnostic est confirmé chez un oiseau morts si son foie contient 6-8 ppm ou plus de plomb (poids humide) et/ou que de la grenaille de plomb est trouvée dans le gésier (l'observation aux rayons X est alors préférable pour distinguer le plomb des graviers). L'abscence de billes de plomb dans le gésier ne signifie pas qu'un oiseau n'est pas mort de saturnisme, car les billes de plomb se dissolvent totalement après quelques dizaines d'heures ;
- Chez un oiseau encore vivant, le diagnostic peut s'appuyer sur la teneur en plomb de plumes, ou s'appuyer sur les analyses classiquement réalisées pour la détection du saturnisme chez l'homme (plombémie, mesure de biomarqueurs (ALA-D, ALA, FEPP ou ZPP) et test CaNa2 de mobilisation du plomb par l'EDTA
A titre de rappel ou comparaison, chez l'homme, le seuil légal de danger ou quantité maximale tolérée est en France de 50 µg de plomb par litre de sang, mais des auteurs estiment que des effets sur le cerveau et la cognition apparaissent avant ce taux ou quelle que soit la dose. L'individu jeune et plus encore le fœtus et l'embryon y sont beaucoup plus sensibles que l'adulte.
Confusions possibles (diagnostic différentiel)
Le saturnisme aviaire n'a pas de symptômes physiologiques véritablement spécifiques. Sans analyse de plomb, il peut être confondu avec de nombreuses maladies aviaires (dont grippe aviaire et Maladie de Newcastle).
De plus, hormis les gros oiseux (cygnes, grues, cigognes,...) les oiseaux sauvages se cachent soigneusement pour mourir, et une fois mort, leur cadavre est rapidement mangé ou enterré par des nécrophage. Même en les cherchant, les cadavres de millions d'oiseaux qui meurent chaque année dans la nature sont difficiles à trouver. Pour ces raison, le saturnisme aviaire a été longtemps très mal détecté.
Effets synergiques
Le tableau clinique dominant est dû à la grande toxicité du plomb.
Dans le cas d'intoxication par grenaille de plomb de chasse, il ne doit cependant pas faire oublier que les effets du plomb sont aggravés par ceux de l'arsenic et l'antimoine, deux autres métaux toxiques ajoutés au plomb par les fabricants (ils servent à durcir le plomb pour que les billes ne s'agglomèrent pas entre elles lors de l'explosion de la poudre de la cartouche, et afin qu'elles ne se dispersent pas trop anarchiquement lors de leur projection vers la cible en raison d'un aplatissement excessif (si elles ne sont pas durcies, les billes s'écrasent les unes contre les autres et se déforment).
D'autres synergies entre le plomb et d'autres polluants qui affectent les oiseaux (organophosphorés...) semblent également possibles et probables.
Une étude récente (publiée en 2006) montre qu'en Amérique du Nord, plus de 20 ans après l'interdiction des cartouches à grenaille de plomb (sauf dérogation pour L'intoxication au plomb pour les amérindiens et inuits), le saturnisme touche encore fréquemment des oiseaux, qui sont par ailleurs également exposés à des pesticides (dont organophosphorés et carbamates connus pour leur toxicité sur les animaux à sang froid et à sang chaud).
Effets directs et indirects du saturnisme aviaire
Le plomb est un poison mutisystémique (il affecte tous les organes) qui a des effets immédiats et différés, directs et secondaires et collatéraux, sur l'individu, sur l'espèce, sur l'écosystème, et indirectement sur la santé humaine. L'effet global direct est l'empoisonnement mortel ou l'affaiblissement physique et immunitaire des oiseaux victimes de saturnisme. Les effets indirects découlent de la contamination du réseau trophique.
L'impact direct le plus visible est la mortalité induite par l'intoxication aigue (en quelques jours). mais les effets indirects ou collatéraux sont nombreux et holistiquement et à long terme probablement aussi, voire plus graves :
- En tant que toxique général, il impacte les comportement et compétences des oiseaux, dont pour l'alimentation, la migration et tous les traits de vie. Il affecte ainsi indirectement mais significativement la dynamique des populations, aux échelles locales et des métapopulations, pouvant même contribuer en quelques décennies à menacer des espèces de disparition;
- En tant que reprotoxique le plomb diminue le succès de reproduction (cf. mortalité accrue des embryons et oisillons, moindre taille des oeufs et moindre poids des poussins, moindre taux d'éclosion des oeufs capacité de développement inhibées, moindre recrutement, etc.), avec des variations selon que ce soit le mâle et/ou la femelle qui était exposée au plomb, selon leur nourriture et selon l'espèce.
- Le plomb affecte le fonctionnement de la thyroïde des oiseaux qui ont ingéré de la grenaille, avec des impacts possibles (glandulaires et hormonaux) en cascade (y compris éthologiques). 24 h après ingestion de grenaille, le poids de la thyroïde augmente, de même que l'absorption d'iode 125 (125I), alors que dans le même temps l'iode 125 liée aux protéines sériques est réduite. Les analyses chromatographiques d'hydrolysats de thyroïde montrent une perte d'iodothyronine.
- En milieu acide, le plomb est plus mobile et biodisponible dans le sol et l'eau. Il diminue ainsi aussi l'abondance et la disponibilité des proies pour les oiseaux, pouvant conduire à des situation de pré-famine. Les végétaux peuvent aussi le bioconcentrer et empoisonner les oiseaux et autres animaux les consommant;
- Sa bioconcentration dans le réseau trophique augmente le taux de toxicoses, à la fois chez les prédateurs et chez les nécrophages qui ne peuvent alors plus assumer leurs services et fonctions écologiques, a priori très importantes pour l'écosystème.
- Paradoxalement, dans un premier temps, le plomb accroît la disponibilité des proies elles-mêmes empoisonnées en limitant leur vigilance et leur comportement de fuite face aux prédateurs (ou chasseurs). Le plomb rend aussi les oiseaux plus vulnérable aux collisions (avec mise à disposition du cadavre « pollué » aux nécrophages). Ceci accélère sa diffusion dans le réseau trophique.
- En affaiblissant le système immunitaire des oiseaux, le saturnisme pourrait peut-être aussi faciliter certaines épidémies et pandémies, notamment quand le plomb a aussi induit une moindre abondance des proies et par suite des carences nutritives qui amplifient l'absorption et la rétention du plomb par les oiseaux.
- Le saturnisme accroit la vulnérabilité aux stress dû au froid, au dérangement, aux chasseurs et autres prédateurs.
« Entrée » et cinétique du plomb chez l'oiseau
- Chez l'oiseau mort de saturnisme, la cause la plus fréquente est l'ingestion de grenaille de plomb. Elle a été érodée dans le tractus digestif, plus ou moins rapidement selon l'espèce, et selon la dureté et la nature de la nourriture. L'expérimentation a montré que la rapidité de l'érosion ne dépendait pas du nombre de plombs ingérés, et que plus ce nombre était élevé, plus la plombémie s'élève et plus l'intoxication est aiguë.
- Chez l'oiseau abattu par volée de petits plombs à la chasse (mort sur le coup, ou plus tardivement des suites de ses blessures, une entrée presque toujours négligée est due à la micro-fragmentation des grenailles quand elles pénètrent la chair ou frappent les os. Ceci a été récemment démontré par des analyses de plomb faites sur un grand nombre d'échantillons d'oiseaux (gibier) tués à la chasse (oiseaux d'eau surtout). Certains muscles contiennent aussi des taux élevés de plomb (Ex : une étude a porté sur 827 lots de muscles pectoraux droit et gauche. Caque lot contenait des échantillons provenant de 1 à 12 oiseaux. L'examen visuel de tous les échantillons de muscle n'avait révélé aucune grenaille de Pb ou morceau de grenaille détectable. 92 de ces muscles présentaient pourtant des taux de plomb élevés, dépassant 0,5 μg/g de poids humide, (environ 2 μg/g de poids sec). Le taux de plomb moyen pour ces 92 échantillons était de 12 ± 38 μg/g de poids frais (soit environ 40 ± 125 μg/g de poids sec). Sur les 190 oiseaux contenant beaucoup de plomb, 40 avaient des taux de plomb très élevés, supérieurs à 5 μg/g (poids sec) dans le muscle pectoral droit.
Les muscles pectoraux droit des oiseaux chez lesquels les taux de plomb étaient les plus élevées contenaient en moyenne 211±634 μg/g (n=40) de plomb, et variaient de 5,5 à 3910 μg/g (poids secs). Les auteurs de l'étude ont noté de fréquentes fortes différences dans les teneurs en Pb des muscle pectoraux gauche et droite de mêmes individus, ont été souvent noté.
L'ampleur de ces différences, ainsi qu'entre les différents échantillons prélevés à partir d'un même tissu, plaidaient pour un apport hétérogène de plomb peu avant la mort de l'animal. Et en effet, la radiographie a montré la présence de nombreuses micofragments métalliques (de taille toujours inférieure à 1 mm de diamètre) dans les échantillons de muscle pectoral de ces oiseaux. Les billes de plomb en pénétrant la chair de l'animal perdent donc assez de fragments pour "polluer" la chair de l'animal, loin de la plaie et des canaux de pénétration, assez pour être une source de saturnisme pour les consommateurs réguliers de gibier (en particulier dans les collectivités autochtones ou non qui utilisent la chasse comme source principale de viande ou pour toute personne faisant du gibier sauvage abattu une importante source de nourriture.
Ce risque là peut être minimisé par l'utilisation de la grenaille non toxique pour la chasse précisent les auteurs. Il serait également possible de capturer les animaux par piégeage et de les tuer sans projectiles. Ceci montre aussi qu'il n'y a pas que le foie et les reins qui contiennent du plomb en quantité susceptible de poser problèmes pour la santé. - Une partie du plomb absorbé par l'oiseau (par ingestion) est évacué par les excréments ;
- Le reste s'accumule relativement durablement dans l'organisme, essentiellement dans les os ; 80% (voire plus) du plomb absorbé se fixe dans les os en s'y substituant au calcium.
Chez les mammifères, dans l'os, le plomb a une demi-vie moyenne de 20 à 25 ans. Elle ne semble pas avoir été étudiée chez les oiseaux. Il est aussi stocké dans le foie, le rein, le cerveau... où il cause des effets graves et irréversibles, dont difficultés d'apprentissage, hypertension, troubles neuromoteurs voire paralysie, stérilité, paralysie et mort. - Une autre partie du plomb est accumulée dans le foie et les reins ;
- Le reste est fixé dans les phanères. Les oiseaux excrètent ainsi une petite partie du plomb qu'ils ont ingéré via leurs plumes lors des mues.
- Les femelles excrêtent également un peu de plomb via leurs œufs (coquilles et contenu). Quelques radionucléides et les principaux métaux toxiques ont été recherchés chez des eiders à duvet (Somateria mollissima) vivant dans une région isolée (îles Aléoutiennes d'Amchitka et de Kiska). Ces toxiques ont été analysés dans leur muscle, dans leurs œufs et dans leurs plumes. La teneur des plumes de la mère était relativement bien corrélée à celle des oeufs, et chez ces éiders, les plumes contenaient plus de plomb (et de mercure) que les oeufs qui "évacueaint" inversement plus d'arsenic et de cadmium que les plumes ; les taux moyens de métaux dans les œufs (en poids sec) étaient 769 ppb (parties par milliards ou ng/g) pour l'arsenic, 76,1 pp pour le cadmium, 414 ppb pour le chrome, 211 ppb pour le plomb, 1470 ppb pour le manganèse, 430 ppb pour le mercure et 1.730 ppb pour le sélénium. Plusieurs de ces métaux peuvent interagir synergiquement.
Mécanisme physiologique de l'empoisonnement
Le plomb est aujourd'hui considéré comme toxique au niveau cellulaire, quelle que soit sa concentration. Il est très biodisponible sous forme ionique libre (dissous dans l'eau par exemple) et le plus toxique sous forme organique et trivalente (ex alkylée), plus que sous forme divalente et inorganique. Sa toxicité et sa distribution dans l'organisme sont liés au métabolisme du calcium ; le plomb se substitue dans différents organes (des oiseaux notamment) à des éléments vitaux tels que le calcium, et moindrement au fer et au zinc.
Il interagit ainsi avec la production normale de protéines et de molécules impliquant ces trois métaux. Le plomb freine ou empêche ainsi des processus vitaux ou secondaires ; en particulier :
- Il interfère négativement avec une enzyme vitale (Delta-aminolevulinic acid déshydratase ou ALAD, une protéine contenant un pont moléculaire dépendant du zinc. Or cette protéine est vitale pour la biosynthèse de l'hème, cofacteur de la production de l'hémoglobine qui permet le transport de l'oxygène dans l'organisme.
- Il inhibe aussi une autre enzyme vitale (ferrochelatase) qui catalyse la réunion de la protoporphyrine IX et de l’ion Fe2 + qui forme l'hème.
Aspects éco-épidémiologiques
Le saturnisme n'est bien entendu pas transmissible au sens infectieux du terme, mais un animal intoxiqué, s'il a bioconcentré du plomb, devient lui-même une source de contamination : son cadavre sera une nouvelle source de contamination environnementale, et des parents peuvent transmettre du plomb à leurs petits, ou le plomb de la femelle peut affecter le développement neuromoteur de l'embryon et du poussin.