Propergol liquide - Définition

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Développement et utilisation des propergols liquides

Peenemünde : un V2 quatre secondes après son décollage du pas de tir d'essai VII, été 1943.

Dans les années 1940

Les bases de l'astronautique ont été jetées par les ingénieurs allemands durant la seconde guerre mondiale à travers une série d'innovations techniques supportées par toute une gamme de substances chimiques conventionnellement désignées au moyen d'une lettre, notamment (compositions approximatives en fraction massique) :

  • A-Stoff : oxygène O2 liquide (ergol cryogénique utilisé avec le B-Stoff dans les fusées V-2)
  • B-Stoff : hydrate d'hydrazine N2H4•H2O ou ( 75% éthanol H3C-CH2OH + 25% eau H2O utilisé avec le A-Stoff dans les fusées V-2 )
  • C-Stoff : 57% méthanol CH3OH + 43% hydrate d'hydrazine N2H4•H2O (utilisé avec le T-Stoff dans le Messerschmitt Me 163B)
  • M-Stoff : méthanol CH3OH
  • N-Stoff : trifluorure de chlore ClF3
  • R-Stoff : 57% xylidine H2N-C6H3(CH3)2 + 43% triéthylamine N(CH2CH3)3
  • S-Stoff : 90-97% acide nitrique HNO3 + 3-10% ( acide sulfurique H2SO4 ou perchlorure de fer FeCl3 )
  • SV-Stoff : ( 85-90% acide nitrique HNO3 + 10-15% acide sulfurique H2SO4 ) ou ( 95% acide nitrique HNO3 + 5% peroxyde d'azote N2O4 )
  • T-Stoff : 72-76% peroxyde d'hydrogène H2O2 + 18-19% eau H2O + 5-10% ( 8-oxyquinoline + phosphate de sodium Na3PO4 + acide phosphorique H3PO4 ), hypergolique avec le C-Stoff

Après la seconde guerre mondiale

Tir d'un missile américain Redstone à Cape Canaveral en 1958 ; il était propulsé au propergol oxygène liquide / éthanol, comme le V-2 allemand, mais avec 3 % en masse de peroxyde d'hydrogène dans l'oxygène

Développée notamment au prix de la vie de nombreux prisonniers de guerre, la technologie allemande en matière de propulsion chimique a été reprise dans les années 1950 par les ingénieurs américains et soviétiques, qui expérimentèrent d'autres substances, parfois exotiques, telles que la tétrafluorohydrazine N2F4 avec le pentaborane B5H9.

L'éthanol H3C-CH2OH a été très utilisé, pur ou mélangé avec d'autres combustibles, par les ingénieurs allemands puis alliés dans les années 1940 en raison de sa chaleur latente de vaporisation élevée, qui permettait de l'utiliser pour refroidir les moteurs. Ses performances sont néanmoins inférieures à celles permises par les hydrocarbures, plus denses et plus énergétiques. Le principal obstacle à l'utilisation d'hydrocarbures comme combustible pour fusées était leur mauvais comportement thermique : en passant dans les circuits de refroidissement des moteurs, les fractions les plus lourdes avaient tendance à polymériser et à bloquer les bulles issues de la vaporisation des fractions les plus légères, ce qui finissait par obstruer les circuits.

Ces problèmes ont été résolus au milieu des années 1950, en réduisant sévèrement la teneur en soufre, qui favorise la polymérisation, ainsi que celle en hydrocarbures insaturés (les plus susceptibles de polymériser), tout en privilégiant les alcanes ramifiés et cycliques, plus résistants à la chaleur que les alcanes linéaires. Les espèces recherchées sont de type ladderane en C12. Ceci a conduit au développement du RP-1, Refined Petroleum-1 ou Rocket Propellant-1 selon les versions. Avec le développement de l'industrie pétrolière et des techniques de raffinage, le RP-1 et l'hydrogène liquide se sont imposés depuis comme combustibles de puissance, tandis que l'hydrate d'hydrazine N2H4•H2O (B-Stoff) était remplacé par des formes anhydres méthylées, monométhylhydrazine H2N-NHCH3 (MMH) et diméthylhydrazine asymétrique H2N-N(CH3)2 (UDMH) pour en accroître les performances dans les manœuvres de précision.

Côté oxydant, l'oxygène liquide est resté le comburant des applications de puissance avec le kérosène (RP-1) et l'hydrogène liquide, tandis que les recherches sur le SV-Stoff ont visé à stabiliser l'acide nitrique HNO3 pour limiter les effets nocifs des vapeurs de dioxyde d'azote NO2 abondamment libérées par l'acide nitrique (ces vapeurs sont d'ailleurs la raison pour laquelle HNO3 concentré est appelé acide nitrique fumant, WFNA en anglais, pour White Fuming Nitric Acid). Ceci fut réalisé en diluant HNO3 dans le peroxyde d'azote N2O4, ce qui donnait à l'ensemble une coloration rougeâtre (d'où le nom acide nitrique fumant rouge, RFNA en anglais), tandis que le problème de la corrosion des réservoirs était résolu en ajoutant de l'acide fluorhydrique HF pour passiver la surface intérieure des réservoirs en y déposant une couche de fluorure métallique : c'est ce qu'on appelle l'acide nitrique fumant rouge inhibé, ou IRFNA en anglais.

Aujourd'hui

On a coutume de distinguer formellement trois types de propergols liquides selon le nombre d'ergols qui les constituent :

  1. les monergols (ou monoergols), qui ne sont composés que d'un seul ergol
  2. les diergols (ou biergols), qui sont composés de deux ergols
  3. les triergols, qui sont composés de trois ergols

Cette nomenclature est en fait assez artificielle car la différence fondamentale réside entre les monergols et les autres propergols liquides :

  • les monergols fonctionnent sur la base d'une décomposition exothermique catalysée
  • les autres propergols reposent sur la combustion d'un ou plusieurs carburants dans un ou plusieurs comburants

Hydrazine

L'hydrazine N2H4 est le monergol le plus couramment employé, notamment dans les phases finales de descente des sondes spatiales avant atterrissage sur leur cible : ce fut le cas des landers du programme Viking ainsi que de la mission Phoenix, arrivée sur Mars le 25/05/2008. La sonde Mars Reconnaissance Orbiter a été mise en orbite avec un réservoir de plus d'une tonne d'hydrazine pour stabiliser sa trajectoire autour de Mars. L'hydrazine se décompose de façon très exothermique sur catalyseur métallique d'iridium sur alumine Al2O3 ou nanofibres de carbone ou, plus récemment, du nitrure de molybdène sur l'alumine, qui catalysent les réactions :

  1. 3 N2H4 → 4 NH3 + N2
  2. N2H4 → N2 + 2 H2
  3. 4 NH3 + N2H4 → 3 N2 + 8 H2

Ces réactions dégagent suffisamment d'énergie pour conduire la chambre de combustion à 800 °C en une milliseconde avec un très bon rendement, d'où une impulsion spécifique dans le vide d'environ 220 s.

Propergols stockables

Le développement des technologies à propergols stockables a été mené dans un but largement militaire, essentiellement afin de mettre à disposition des arsenaux une batterie de missiles prêts à être tirés dans les délais les plus brefs sur la période de temps la plus longue possible à partir d'installations aussi réduites que possible. La plupart des lanceurs russes et américains à propergols stockables sont ainsi dérivés de missiles ballistiques intercontinentaux.

Le lanceur ukraino-russe Dniepr-1, propulsé au NTO/UDMH, a été développé à partir des missiles soviétiques R-36 (SS-18 Satan) reconvertis en lanceurs commerciaux LEO ; il est tiré depuis un silo enterré.
Combustibles Aérozine 50, UDMH, UH 25 ou MMH

Le mélange 50% hydrazine H2N-NH2 + 50% UDMH H2N-N(CH3)2 est appelé aérozine 50. C'est un combustible développé aux États-Unis dans les années 1950 au départ pour équiper les missiles Titan II, à l'origine de lanceurs à la suite desquels ce carburant a été très employé dans l'astronautique ; il fut notamment à l'honneur dans la mission Apollo 11 pour avoir assuré l'alunissage puis le décollage du LEM. L'aérozine 50 est un peu moins dense que l'hydrazine pure et a un point d'ébullition un peu moins élevé, mais offre une stabilité et un temps de réponse optimisés avec le NTO (peroxyde d'azote N2O4).

La France avait opté dès les années 1960 pour une propulsion NTO / UDMH avec les fusées Diamant, à l'origine du programme Ariane : lancées depuis Hammaguir (Algérie) jusqu'en 1967, puis à partir du Centre spatial guyanais de Kourou à partir de 1970, les fusées Diamant ont connu trois échecs et neuf succès, dont la mise en orbite du satellite Astérix en 1965 ainsi que de Castor et Pollux en 1975. Afin d'assurer la propulsion du lanceur Ariane 1, le programme Ariane avait opté, dans la continuité des fusées Diamant, pour une propulsion à l'UDMH pure, qui fut en partie à l'origine de l'échec du second lancement de la fusée, en 1980. Après cela, les lanceurs Ariane 2 à Ariane 4 fonctionnèrent avec de l'UH 25, un mélange 75% UDMH H2N-N(CH3)2 + 25% hydrate d'hydrazine H2N-NH2•H2O, Ariane 4 devenant l'un des lanceurs les plus fiables au monde, avec un taux de succès de plus de 97 %.

Plus récemment, la MMH H2N-NHCH3 s'est imposée face aux diverses combinaisons d'hydrazine et d'UDMH pour le fonctionnement dans l'espace ; elle est notamment employée dans le système de manœuvre orbital (OMS) de la navette spatiale de la NASA ainsi que dans l'étage à propergol stockable (EPS) d'Ariane 5.

Oxydant NTO ou MON

Le peroxyde d'azote N2O4, généralement désigné par NTO (pour Nitrogen Tetroxide), est l'oxydant « historique » avec tous ces carburants azotés : il est à la fois hypergolique avec eux, et stockable dans les conditions terrestres. Aujourd'hui, il est rarement utilisé pur mais mélangé avec du monoxyde d'azote N≡O dans des proportions variables, afin de limiter les effets de la corrosion du NTO, notamment sur les alliages en titane utilisés dans les systèmes de propulsion. Un mélange de x% de N≡O avec (100-x)% de NTO est appelé MON-x (pour Mixed Oxides of Nitrogen), la limite étant le MON-40 ; les Américains utilisent généralement du MON-3, tandis que les Européens semblent préférer le MON-1,3.

Actuellement, le propergol NTO / aérozine 50 est surtout employé au décollage, les systèmes MON / MMH sont utilisés pour les ajustements orbitaux dans l'espace sur des engins assez gros et pour des périodes d'utilisation de l'ordre de quelques semaines, et l'hydrazine comme monergol reste la solution privilégiée pour le positonnement des engins plus petits tels que des satellites ou des sondes sur des périodes de temps se chiffrant en mois, voire en années.

Décollage d'une fusée Delta II emportant la sonde Dawn en septembre 2007.
Propulseurs d'appoint : PCPA solide
   - Impulsion spécifique : 278 s
   - Poussée : 628,3 kN pour chacun des neuf propulseurs
   - Durée : 75 s
1er étage : LOX / RP-1 non-hypergolique cryogénique
   - Impulsion spécifique : 302 s
   - Poussée : 1 054,2 kN
   - Durée : 265 s
2ème étage : NTO / aérozine 50 hypergolique stockable
   - Impulsion spécifique : 319 s
   - Poussée : 43,6 kN
   - Durée : 431 s.
3ème étage (Payload Assist Module facultatif) : PCPA solide
   - Impulsion spécifique : 286 s
   - Poussée : 66,0 kN
   - Durée : 87 s

Propergols cryogéniques LOX / RP-1 ou LH2

Propergol LOX / RP-1

Le RP-1 a été largement utilisé aux États-Unis dans les années 1960 et 1970 comme combustible de puissance pour les premiers étages de lanceurs tels que les fusées Atlas, Titan I, Delta, Saturn I et IB, et bien sûr Saturn V, célèbre pour ses lancements du programme Apollo et du laboratoire Skylab. A la fois dense et stockable, optimisé pour les moteurs-fusée, il offre d'excellentes performances au décollage avec l'oxygène liquide, généralement désigné par l'acronyme LOX.

A la différence des propergols azotés, le système LOX / RP-1 n'est pas hypergolique et nécessite donc un système d'allumage dans le moteur pour initier la combustion. Il est 8 % moins dense que le système NTO / aérozine 50 mais fournit une impulsion spécifique légèrement supérieure (3 %). Il est surtout bien moins dangereux à manipuler.

Les lanceurs Delta, qui devaient être retirés du service dans les années 1980 au profit des navettes spatiales, ont été remis sur le devant de la scène suite à l'explosion de Challenger en 1986, et le Delta II est aujourd'hui un pilier de l'astronautique américaine, avec une impressionnante série de sondes spatiales lancées dans le système solaire ; leur premier étage est propulsé au LOX / RP-1 tandis que le second est propulsé au NTO / aérozine 50. Ces lanceurs devraient être retirés du service en 2011.

Propergol LOX / LH2

L'hydrogène liquide, généralement désigné par l'acronyme LH2, est le plus puissant combustible utilisé avec l'oxygène liquide : son impulsion spécifique est supérieure de près de 30 % à celle du RP-1, mais la densité apparente d'un système LOX / LH2 est inférieure également de près de 30 % à celle d'un système LOX / RP-1. Son utilisation pose donc des problèmes d'encombrement des réservoirs et d'aérodynamisme au décollage, les forces de frottement sur le lanceur pouvant faire perdre l'avantage énergétique procuré par les systèmes à LH2 par rapport aux systèmes à RP-1.

De surcroît, l'hydrogène liquide est une substance particulièrement fugace dont la manipulation implique de tenir compte de forts risques d'explosion, en disposant d'une technologie cryogénique robuste permettant de manipuler un fluide à une température n'excédant jamais 20,28 K, soit -252,87 °C. Enfin, la technologie de liquéfaction de l'hydrogène est coûteuse en énergie et doit gérer le problème de l'isomérie de spin du dihydrogène : à température ambiante, l'orthohydrogène représente 75 % des molécules, proportion qui tombe à 0,21 % à l'état liquide au terme d'une transition exothermique qui tend à réchauffer l'hydrogène une fois liquéfié en accélérant son évaporation.

Autres propergols liquides

CLF3 ou CLF5 / N2H4

Le trifluorure de chlore ClF3 et le pentafluorure de chlore ClF5 sont deux oxydants qui ont été étudiés — et développés — pendant la guerre froide en vertu de leur densité élevée, de leur facilité de stockage et des performances avec l'hydrazine. Ce sont néanmoins des composés réellement dangereux à manipuler, qui ont tendance à enflammer la moindre matière oxydable, et qui constituent donc un danger majeur pour tous les intervenants amenés à les manipuler. De surcroît, leurs gaz d'échappement contiennent du fluorure d'hydrogène HF et du chlorure d'hydrogène HCl, particulièrement nocifs pour l'environnement.

Triergols

Les triergols ont été étudiés de façon intensive aux États-Unis et en Union Soviétique, sans jamais aboutir à des réalisations concrètes en raison de leur coût prohibitif et surtout des obstacles technologiques à leur mise en œuvre. Les plus connus sont :

  • LO2 / LBE + LH2, c'est-à-dire oxygène liquide avec hydrogène liquide dopé au béryllium, rapidement abandonné en raison du coût et de la dangerosité du béryllium et de ses oxydes
  • NTO / MMH + LBE (puis aluminium), c'est-à-dire peroxyde d'azote avec monométhylhydrazine dopée au béryllium (puis à l'aluminium pour des raisons de coût et de toxicité), abandonné malgré tout également en raison de la difficulté à mettre en œuvre une propulsion liquide à partir d'un métal solide
  • LF2 / LLI + LH2, c'est-à-dire fluor liquide avec lithium liquide et hydrogène liquide, a priori le plus puissant propergol connu mais dont la mise en œuvre nécessiterait de maîtriser ensemble et de sécuriser dans le même engin spatial la technologie des trois ergols les plus exigeants qu'on puisse imaginer
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