François Viète | |
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Naissance | 1540 Fontenay-le-Comte (France) |
Décès | 23 février 1603 Paris (France) |
Nationalité | Française |
Champs | Algèbre, Cryptographie et Géométrie |
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François Viète, ou François Viette, en latin Franciscus Vieta, est un mathématicien français, né à Fontenay-le-Comte (Vendée) en 1540 et mort à Paris le 23 février 1603.
De famille bourgeoise et de formation juridique, il a été l'avocat de grandes familles protestantes, dont les Parthenay-l'Archevêque et les Rohan, avant de devenir conseiller au parlement de Rennes, sous Charles IX, puis maître des requêtes ordinaires de l'hôtel du roi sous Henri III. Maître des requêtes et déchiffreur d'Henri IV, membre du conseil du roi, il mène, parallèlement à ces charges au service de l'État, une carrière de mathématicien « amateur » qui lui vaut l'estime des grands professionnels de son temps.
Inspiré par Ramus, Gosselin et Jacques Pelletier du Mans, il restaure la géométrie des anciens (Apollonius, Theon et Diophante) et prolonge les travaux d'Albategni, de Rheticus et de Regiomontanus sur les sinus et les triangles sphériques. La publication de son livre phare Isagoge Artem Analycitem ou Isagoge marque en 1591 le début de la révolution algébrique qui, poursuivie par Thomas Harriot, William Oughtred, Albert Girard et René Descartes, fondera les notations de l'algèbre contemporaine. Viète est le premier mathématicien à noter les paramètres d'une équation par des symboles. Il fonde ainsi l'algèbre nouvelle ou « logistique spécieuse », une version « homogène » de notre façon actuelle de mener les calculs symboliques. Écrivant en latin et connu de toute l'Europe, il formera quelques élèves, Nathanael Tarporley, Pierre puis Jacques Aleaume, Marino Ghetaldi, Jean de Beaugrand, Alexander Anderson, ainsi que des correspondants dont Lansberg de Meulabeecke, qui contribueront à sa renommée et prolongeront ses méthodes, les diffusant en Angleterre, en Hollande, en Italie et en Allemagne. Il finit par l'emporter sur quelques contradicteurs tels qu'Adriaan Van Roomen et Joseph Juste Scaliger. Une partie de ses travaux est dédiée à l'astronomie. Il anticipe même, avec une décennie d'avance mais sans publication, la découverte par Kepler de la forme elliptique des orbites des planètes. Enfin, par ses travaux de déchiffreur, et singulièrement les dernières recommandations qu'il communiqua au duc de Rosny (alias Sully) quelques semaines avant sa mort, François Viète est l'un des premiers cryptologues à systématiser l'art de casser les codes.
Sa logistique spécieuse, appréciée par Frans van Schooten, Pierre de Fermat, Huygens, et Newton, détermine la façon d'écrire les mathématiques jusqu'à ce que Descartes libère cette écriture de ses contraintes d'homogénéité. Des mathématiciens du XIXe siècle, Michel Chasles et Joseph Bertrand, redécouvriront sa figure et l'importance de ses travaux, notamment ceux qui préfiguraient l'invention du triangle sphérique polaire et celle des inversions.
Son grand-père, qui lui-même se nommait François Viette, était un marchand originaire de la Rochelle. Installé dans la paroisse de Foussais-Payré, il avait légué son commerce à son aîné, Mathurin, et fait donner une solide instruction à son cadet, Étienne. Il eut aussi un troisième fils, et deux filles, Jeanne et Josèphe. Le second de ses fils, Étienne Viète, le premier à écrire son nom avec un seul t, était devenu procureur de Fontenay-le-Comte et notaire de Busseau. Il avait épousé Marguerite, fille de François Dupont et de Françoise Brisson se liant ainsi à la famille de Barnabé Brisson, futur premier président du parlement de Paris et pendu pendant la domination de la Ligue.
Le couple habita de 1535 à 1547, au 34 grand rue (où est probablement né le mathématicien) du temps de Benjamin Fillon, entre la rue Perate et la rue des Trois-Rois. Il emménagea par la suite une maison située à l’emplacement des actuels 2 rue du Puy-de-la-Vau et 32 rue Gaston-Guillemet. Étienne Viète reçut alors en héritage la métairie de la Bigotière.
Sept enfants, trois garçons et quatre filles, naissent de cette union : François, qui est l'aîné, Nicolas, René, ainsi que Claude, Françoise, Jeanne, et Julie (ou Julienne). En ancien poitevin, Viette signifie « rusé » selon Grisard, mais « Vieux » selon Georges Dubosc.
Quoique catholique, la famille de François Viète se montrait sensible aux idées de la réforme. Néanmoins, si Étienne se convertit à la nouvelle foi, Nicolas et René demeurèrent fidèles à Rome. Un fils de leur oncle Mathurin, marchand à Marrans, leur cousin François Viette, connu pour son ardent catholicisme vers 1565, devint dans cette décennie un calviniste zélé. Les territoires du bas-Poitou étaient, en effet, soumis à l'influence des seigneurs huguenots de Bouchard d'Aubeterre, du Pons et de Parthenay, qui depuis le retour de Ferrare de Michelle de Saubonne, professaient la nouvelle doctrine et faisaient dire le prêche sur leurs terres.
Dans sa jeunesse, l'aîné des fils d'Étienne et futur mathématicien François Viète est l'élève des franciscains, au collège des Cordeliers, dans le collège où a vécu François Rabelais ; on connaît cependant une dissertation écrite de sa main, lue devant un précepteur, Marin Evrard Bellovaque (de Beauvais ou du collège de Beauvais), en 1555, et publiée dans Quinque orationes philosophicae sous le nom de Franciscus Vietoe. Ses autres camarades sont : Franciscus Talpinus, Tusseanus Puteanus (Toussaint Dupuy), Franciscus Raguellus et Franciscus Morellus. Le titre de sa dissertation est Quod Captae ab hostibus regionis melior est quam vastata conditio.
À partir de 1555, il fréquente la faculté de droit de Poitiers, dont il sort bachelier et licencié ès droit en 1559. Il y a pour camarades Charles Tiraqueau, petit-fils du poète André Tiraqueau, Pierre Gabryaud, Nicolas Rappin et Scévole de Sainte-Marthe. En 1560, il devient avocat au barreau de Fontenay-le-Comte et réside dans un petit hôtel à Fontenay, qu'il possède en héritage ; toutefois, on le nomme déjà Sieur de la Bigotière sur les actes d'état civil du nom d'une terre et d'une métairie, sise à Foussays, qui lui vient de son père mais demeure indivise entre ses frères (il ne leur racheta leurs droits qu'en 1564 pour René, 1574 pour Nicolas). Fondé de pouvoir de son père à Paris (acte du 26 août 1560), ses mandataires lui confient alors des affaires importantes, notamment un partage de revenus ecclésiastiques à la Rochelle (acte du 15 février 1561), la liquidation des fermages en Poitou de la veuve de François Ier(acte introuvable selon la thèse de J. Grisard) ou encore les intérêts de Marie Stuart, reine d’Écosse, pour sa part d'un trésor qu'un laboureur a trouvé sur ses terres et dont le partage donne lieu à procès (acte du 21 janvier 1564).
En 1564, à la suite de son oncle Brisson, il entre au service d’Antoinette d'Aubeterre, épouse de Jean de Parthenay-l’Archevêque, dit Soubise, un des plus grands capitaines de guerre calvinistes. Elle le fait venir dans sa résidence du Parc-Mouchamps, aux Herbiers à quelque dix lieues de Foussays, comme secrétaire particulier chargé de défendre les intérêts de sa famille.
Jean V de Parthenay, adversaire du duc de Guise, seigneur de Soubise et d'autres terres du Poitou, a tenu la ville de Lyon (jusqu'en 1563) sur ordre du prince de Condé, le beau-frère de Jeanne d'Albret. Il a défendu cette ville contre les armées royales commandées par le duc de Nemours et ne l'a rendue au roi qu'après la signature de la paix d'Amboise. Pendant sa défense de Lyon, le duc de Guise a été assassiné par un des lieutenants des Parthenay, Poltrot de Méré, qui accuse sous la torture, l'amiral Coligny, Théodore de Bèze et Jean de Parthenay d'avoir commandité le meurtre.
Par suite, une des missions dont Antoinette d'Aubeterre charge François Viète est d'assurer la défense de son époux. À cette fin, il axe sa plaidoirie sur la conduite exemplaire des armées de Jean V de Parthenay à Lyon. Il le suit dans cette ville, lors du passage de la cour (juin 1564), afin de recueillir les faits relatifs au siège que Soubise a soutenu l’année précédente contre les armées de Nemours pendant qu'ils étaient dans toutes les mémoires.
Il parvient à innocenter Soubise des accusations portées contre lui par la maison de Guise, puis revient au parc-Soubise, à Mouchamps et reprend sa place de secrétaire. Généalogiste de la famille, il en retrace l'histoire depuis les origines des Lusignans et, fin 1564, il devient le précepteur de la fille de Soubise, Catherine de Parthenay, alors âgée de onze ans. Comme ses père et mère, la jeune fille connaît déjà le latin, le grec et sans doute l'hébreu ; François Viète lui enseigne les sciences, et notamment des rudiments d'astronomie, de géographie et de trigonométrie... Femme d’action, de lettres et de sciences, elle entretint par la suite avec lui une relation faite d'admirative mutuelle, qui ne faiblit jamais et ne s'éteignit qu'à la mort de Viète, en 1603. Pour elle, à fins éducatives, il rédige de nombreux traités, dont un seul, traitant de principes de cosmographie, a traversé les âges. Traduit en français, ce traité, publié plusieurs fois entre 1641 et 1647, donne de précieuses indications sur les conceptions astronomiques dominantes dans ce foyer huguenot.
Pour elle encore, il a écrit un jour d'hiver 1591, en préface de son œuvre principale :
« C'est à vous, auguste fille de Mélusine, que je dois mes études mathématiques, auxquelles m'a poussé votre amour pour cette science. »
Lors de leur voyage à Lyon, Jean V de Parthenay le présente au roi Charles IX, mais après deux ans, passés en pourparlers avec Catherine de Médicis, Soubise meurt (le 1er septembre 1566). Viète commence alors la rédaction de sa biographie, intitulée Mémoires de la vie de Jean de Parthenay-Larchevêque, sieur de Soubise, qui, plusieurs fois remaniée (notamment en collaboration avec Catherine de Parthenay), n'a été publiée par Jules Bonnet‘ qu'en 1879.
La question de l'adhésion de Viète à la foi protestante lorsqu'il vivait au parc Mouchamps semblait acquise jusqu'aux travaux de Benjamin Fillon et de Frédéric Ritter. Élevé dans la foi catholique, mais dans un milieu peu à peu séduit par le protestantisme, Viète était réputé huguenot. Rien n'est moins assuré. François Viète faisait dix ans plus tard profession de foi catholique et, d'après Ritter et Fillon, s'il se convertit jamais à la doctrine calviniste, sa conversion fut de courte durée. Effectivement, dans ses traités de cosmographie, dans ses adresses à Clavius ou sa dédicace à la fille de Mélusine, François Viète, fait parfois allusion au « Créateur ». Mais il ne mentionne jamais selon quel mode on doit lui rendre grâce et semble avoir suivi, dès sa jeunesse, les traces de Michel de l'Hospital et du parti des politiques (Frédéric Ritter le croit indifférent en matière religieuse, Grisard est plus mesuré sur ce point).
Entre temps, François Viète s'est marié avec Barbe Cothereau, fille de Jehan Cothereau, marchand de Luçon, et petite-fille de dame Garotine (actes du 17 juin 1566 et du 29 janvier 1586).
Dans l'année qui suit la mort de Jean V de Parthenay, Antoinette d'Aubeterre se met en quête d'un parti pour sa fille. Parmi les trois prétendants, Châtillon (le fils de l'amiral de Coligny, qui meurt en 1568), René de Rohan (qui n'est pas assez titré) et Charles de Quellenec, baron du Pont, elle se résout pour ce dernier et trouve ainsi un protecteur aux terres des Parthenay. Mais le baron Charles de Quellenec, après avoir épousé Catherine de Parthenay le 15 juin 1568, se montre vite un gendre indocile. Déçue de ne pouvoir régner sur le parc Soubise comme au temps de son époux, la dame d'Aubeterre s'exile en septembre 1568 à la Rochelle, où elle rejoint la cour de Jeanne d'Albret. François Viète la suit et rencontre dans son sillage la très haute aristocratie calviniste : les principaux chefs militaires, Coligny et Condé, mais aussi Jeanne d’Albret, reine de Navarre et le fils de celle-ci, Henri de Navarre, le futur Henri IV, et encore Françoise de Rohan, qui bientôt allait l'employer dans ses fameux procès.
Après avoir combattu sous les ordres de René II de Rohan en Saintonge, le baron de Quellenec qui a relevé le nom de Soubise, est défait à la bataille de Jarnac. Fait prisonnier, il s'évade et rejoint Mouchamps. Cependant, il se révèle bien vite incapable de donner une descendance aux Parthenay. Des confidences de domestiques alertent Antoinette d'Aubeterre et bientôt, en septembre 1570, sa fille vient se réfugier auprès d'elle. L'affaire vient devant Jeanne d'Albret et Théodore de Bèze conseille de rompre le mariage.
En réaction, de Quellenec vient rechercher son épouse à la Rochelle et l'enferme dans son château breton. Pour correspondre avec sa mère, celle-ci insère alors quelques vers de langue non connue (par son mari) dans les lettres qu'elle envoie vers la Rochelle et fait connaître à son ancien précepteur (Viète) qu'elle a écrit entre les lignes, au jus d'orange, des caractères qui se révèlent lorsqu'on les approche d'un flamme. Ceci est le premier témoignage sur le rapport de Viète avec le déchiffrement de lettres secrètes. Après d'autres récriminations auprès de Jeanne d'Albret et Théodore de Bèze, Antoinette d'Aubeterre, convaincue de l'impuissance de son gendre, finit par intenter un procès au baron de Quellenec (le 11 septembre 1571) devant le parlement de Paris.
Vers cette époque, François Viète refuse de lui servir d'avocat contre le baron de Quellenec, quitte son service et se déplace à Paris (où Ritter le croit avocat mais Édouard Mangis n'en trouve aucune trace). Sans doute peut-il compter sur son oncle Barnabé Brisson, ainsi que sur l'appui de ses amis et clients protestants, pour se faire un nom dans la magistrature. Par ailleurs, il a déjà rédigé une grand partie de son Canon mathématique qu'il propose à l'éditeur Jamet Mettayer dès 1571.
Domicilié à Paris, Viète continue néanmoins à visiter Catherine de Parthenay et à rallier régulièrement Fontenay-le-Comte, où il occupe des fonctions municipales. D'après le témoignage de Jacques-Auguste de Thou, il poursuit ses recherches mathématiques la nuit ou pendant des périodes de loisir. Il a la réputation de demeurer près de trois jours sur une question, le coude sur la table de travail et de s’y nourrir sans changer de position (selon de Thou). Frédéric Ritter, son biographe du XIXe siècle, croit pouvoir affirmer qu'il a déjà pris en mains les intérêts de Françoise de Rohan. Il pense que, dès cette époque, Viète fut en rapport avec Ramus, Gosselin et Jacques Pelletier du Mans ; néanmoins il ne dispose d'aucune certitude sur ce fait.
En 1572, Catherine de Parthenay, Françoise de Rohan et son frère René viennent à Paris pour assister au mariage du roi de Navarre et de la Reine Margot. Ils parviennent par chance à s'enfuir de la capitale à l'aube de la Saint-Barthélemy. Prévenus anonymement, ils franchissent les portes avant le début du massacre. François Viète est probablement à Paris cette nuit-là ; nuit pendant laquelle le baron de Quellenec est assassiné dans la cour du Louvre quelques heures après l'assassinat de l'amiral Coligny. Ramus, dont la pensée influença Viète, périt également peu après cette nuit-là, son cadavre promené d'université en université en hommage à Aristote.
Lié avec Françoise de Rohan (avec laquelle Benjamin Fillon soutint qu'il eut une aventure) et que son siècle connaît sous le nom de dame de la Garnache, il l'accompagne à Beauvoir-sur-Mer (acte du 26 décembre 1572) et la soutient dans le procès qu'elle nourrit contre le duc de Nemours dans l'espoir d'être officiellement reconnue comme son épouse. Il se met également au service des intérêts de son frère, René II de Rohan et semble jouer le rôle d'un puissant auxiliaire pour triompher de la résistance de la dame de Soubise (Antoinette d'Aubeterre) au mariage de Catherine de Parthenay et du futur duc de Rohan. François Viète achète dans ces années là une maison de ville à Beauvoir, surnommée l'Ardouinière, dans la rue qui va de la halle au château ; Il y loge alors que Françoise de Rohan subit déjà les persécutions des troupes royales, dirigées par Mercœur, et que Catherine de Parthenay fait jouer sa tragédie Holopherne dans La Rochelle assiégée.
En 1573, après la levée du siège de La Rochelle et la rentrée en grâce des chefs protestants, François Viète est nommé par Charles IX conseiller au parlement de Rennes (24 octobre 1573). Cette charge de conseiller est parmi les moins onéreuses, notamment pour les conseillers issus du Poitou, de plus elle n'est guère contraignante, le parlement ne siégeant qu'une fois l'an d'août à octobre. Pour y être agréé, Viète doit y témoigner de sa foi catholique, le 6 avril de l'année suivante en une cérémonie dont les minutes sont conservées dans les archives secrètes de ce parlement.
L'acte qui nomme Viète est libellé ainsi :
« Charles par la grâce de Dieu, roy de France, à tous ceux qui la présente verront, salut. Savoir faisons que nous a pleine confiance de la personne de notre cher et amé Maître François Viette, avocat à la court de Parlement de Paris et de ses sens suffisance, littérature, loyauté, prudhommie, expérience en fait de judicature et bonne diligence... avons donné et octroyé, donnons et octroyons, par ces patentes l'état et office de Conseiller à la Court du Parlement de Bretagne... »
Le 16 mai 1575, le duc Henri de Rohan, dit Henri le goutteux, meurt au château de Blain ; sa fille, de douze ans, meurt quelques jours après lui. Dernier frère d'Henri, (leur autre frère, Jean, est mort sans descendance mâle), René de Rohan devient duc à son tour. Antoinette d'Aubeterre accepte dès lors le remariage de l'héritière des Parthenay avec le frère de la dame de la Garnache, mariage qui a lieu le 25 avril de la même année.
En 1576, probablement sur recommandation de Françoise et de René de Rohan, François Viète entre au service du roi Henri III, comme chargé de mission spéciale. Sa présence au parlement de Rennes durant la session annuelle s'en ressent fortement : si les deux premières années de sa charge, il assiste à de nombreuses séances du parlement, il ne siège plus dans la Cour de Rennes ni cette année-là, ni la suivante. Il est excusé par le roi, qui lui fait néanmoins tenir ses gages. Le roi affirme dans des lettres patentes :
« Nous avons advisé d'employer notre ami et féal conseiller en notre cour, Maître François Viète, Seigneur de la Bigotière ; nous l'avons donc fait venir en notre cour et suite, en laquelle il était nécessaire qu'il fasse quelque séjour et même durant les mois d'août, septembre et octobre prochain. Nous lui avons permis et permettons qu'il lui soit loisible désemparer d'icelle notre cour durant la séance des dits trois mois... »
L'hiver 1577, il réside à Beauvoir-sur-Mer, près de la dame de la Garnache. Parallèlement, il agrandit sa maison de Fontenay (acte du 8 novembre). Le fils que Françoise de Rohan a eu avec le duc de Nemours, venant d'Allemagne avec quelques routiers, est capturé cette année-là par le duc de Montpensier. Il échappe à la potence, par l'action du Roi (et sans doute de Viète) ; mais le duc refuse de le rendre, même contre rançon.
En 1578, François Viète paraît six jours en août, trois en septembre et cinq en octobre devant le parlement de Rennes. Son absence lors de la messe du Saint Esprit est très remarquée. L'année suivante, il ne paraît que le 15 octobre pour s'excuser de ses absences.
De toutes les missions, extraordinaires et secrètes que lui confie Henri III à cette époque, une seule fut divulguée pour apaiser la colère de ce parlement et concerne la vente de bois du domaine royal. Peu de choses de cette période de la vie de François Viète sont connues mais aux dires de son éditeur Jamet Mettayer, chacun peut juger qu'il est entièrement occupé par le service de l'État. Ayant pénétré fort avant dans la confiance d'Henri III, Viète suit une Cour qui, selon le mot d'Armand Baschet décrivant la vie quotidienne des derniers Valois, ne réside pas mais campe. Viète trouve néanmoins le temps pendant cette période de visiter Catherine de Parthenay dans ses châteaux bretons de Salles et de Blain et de presser les imprimeurs pour hâter l'impression de son premier ouvrage mathématique.
En 1579, celui-ci sort enfin des presses de l'éditeur Jamet Mettayer. Mais après huit ans de travail, François Viète est fort mécontent de l'impression de son Canon mathématique et particulièrement des compléments qui figurent à la suite de cet ouvrage. Ce livre, Des inspections mathématiques, donne les sinus à l'aide de formules et marque un premier pas dans la création du formalisme algébrique. Le livre étant truffé d'erreurs, Viète menace d'en faire détruire tous les exemplaires. C'est pourtant dans ce livre qu'il donne par la méthode d'Archimède et à l'aide d'un polygone à 393 216 côtés (6×216) un encadrement rigoureux de π avec onze chiffres exacts, valeur notée à l'aide de nombres décimaux, dont il est l'un des premiers à montrer l'utilité, et à donner une notation.
Vers la même époque à l'occasion de la paix de Fleix, le duc d'Alençon et Viète obtiennent le règlement du procès opposant le duc de Nemours à Françoise de Rohan, au bénéfice de cette dernière. Les lettres royales datent du 16 novembre 1579. Elles mettent la dame de la Garnache sous la protection d'Henri III, qui écrit :
Sa terre du Loudunois élevé en duché, la libération de son fils, 20 000 écus pour celui-ci et l'assurance d'en toucher 50 000 pour la dame de la Garnache mettent un terme à ce procès qui a duré plus de vingt ans. La conclusion de cette affaire, très favorable à Françoise de Rohan, vaut vraisemblablement à Viète la rancune tenace du parti ligueur. Ces lettres patentes seront néanmoins contresignées par le parlement de Paris et la cour des comptes en 1582.
Toujours en 1580, son oncle Barnabé Brisson achète la charge de président à Mortier du parlement de Paris et le 25 mars de la même année, François Viète est autorisé à se défaire de sa charge au Parlement de Bretagne : Henri III le nomme maître des requêtes au parlement de Paris, attaché au service exclusif du roi.
À cette époque, les conseillers ordinaires habitent les logis royaux et reçoivent les requêtes des parties pour les mettre sous les yeux du roi. Reçus par le Parlement de Paris, qui examine leurs lettres patentes, ainsi que leurs capacités, ils ont rang de conseillers et prennent place immédiatement après le président, avec autorité et voix de délibération sur toutes les affaires du royaume. Ils passent toutefois une grande partie de leur temps à cheval, mandatés par le roi, pour régler telle ou telle affaire urgente dans les provinces, récolter de l'argent, calmer les parlements, acheter des soutiens. Ce sont de véritables missi dominici. Un privilège de poste leur assure des facilités pour obtenir des chevaux frais. Ils ne sont pas récompensés en épices mais en frais de mission, ils ont interdiction de se mêler d'autres affaires que celles du Roy sans son autorisation expresse et dérogation aux ordonnances.
L'année qui suit, Viète doit épauler la dame de la Garnache dans deux affaires, l'une qui l'oppose au poète Nicolas Rapin, alors en charge de la prévôté de Fontenay-le-Comte, ligueur convaincu à cette époque, qui la menace par ce qu'elle protège la religion réformée ; l'autre concernant le fils qu'elle a eu avec le duc de Nemours, qui se prétend toujours duc de Genevoix et qui, meurtrier d'un orfèvre à Paris et ayant résisté aux forces de police venues l'arrêter, a été enfermé au Châtelet (jusqu'au 15 janvier 1585). Deux affaires sordides, qui réclament toutes deux l'intervention du roi de Navarre. De juin à juillet 1581, Viète agrandit de nouveau son hôtel de Fontenay.
En 1583, Françoise de Rohan accueille dans son château Dom Anthonio, héritier de la maison de Portugal, dépossédé de son royaume par Philippe II. Le roi de France l'arme pour une seconde expédition (malheureuse) aux Açores. Le 3 novembre 1584, Viète vend à son cousin homonyme sa maison de Beauvoir-sur-Mer. Celui-ci devient receveur des fermes de la dame de la Garnache. Viète demeure alors au château de Françoise de Rohan.
Aux premiers jours de 1585, la Ligue obtient la mise à l’écart des conseillers d'Henri III accusés de sympathie pour la cause protestante et le roi doit se séparer de François Viète entre janvier et février. Celui-ci se réfugie probablement à Beauvoir-sur-Mer, chez Françoise de Rohan. Henri de Navarre, qui est le neveu de la dame de la Garnache, écrit deux lettres en faveur du protégé des Rohan, afin d'obtenir son retour au service du roi. Dans une lettre, datée de Montauban, le 3 mars 1585, le roi de Navarre écrit :
« II y a quelque temps, qu’à la considération et prière très humble de mon oncle de Rohan et de ma tante la duchesse de Lodunnois, sa sœur, il vous pleust accorder un estat de conseiller et maistre des requestes ordinaire à monsieur François Viette, de l'exercice duquel il a esté discontinué par des considérations que Vostre Majesté pourra entendre. Et d'aultant, Monseigneur, oultre que le dict Viette est personnage très capable, Je l'ay tousjours connu si affectionné aux affaires de mon dict oncle que je supplie très humblement Vostre dicte Majesté, que le dict Vielle soit remis à l'exercice de son dict estat. »
Une seconde lettre, datée de Bergerac, le 26 avril, n’a pas plus d'effet.
François Viète se retire donc dans le Poitou. Entre Fontenay et Beauvoir-sur-Mer, chez lui ou sur les terres de ses amies. Le 19 juin, le duc de Nemours meurt de la goutte, déliant définitivement la dame de la Garnache de ses vœux. À la fin de l'année 1585, René de Rohan meurt à l'âge de 36 ans et Catherine de Parthenay, veuve pour la seconde fois, quitte son château de Blain, en Bretagne, et se retire au parc-Soubise avec ses cinq enfants. Le mathématicien anglais Nathanael Tarporley, futur élève et ami d’Harriot, occupe probablement un poste de secrétaire (amanuensis) auprès de François Viète pendant ces années-là et pour une période de deux à trois ans.
Le 16 mars 1586, Viète afferme pour cinq ans sa métairie de la Bigotière, mais la même année, le 9 août, Françoise de Rohan, dont le château est investi par les troupes du duc de Mercœur contracte une promesse de mariage avec le capitaine François Le Felle, chevalier de l'ordre du Roi et seigneur de Guébriant, dont on pense qu'il est chargé de commander la garnison catholique occupant le château de Beauvoir et qui l'abandonna peu après pour mettre le siège du château de Blain au nom de Mercœur. Henri III s'opposa dans l'année à cette mésalliance.
Fin 1586, Françoise de Rohan fait lever sur ses terres la taille royale par le cousin homonyme du mathématicien, François Viette, Sieur de Saint Nicolas. L'année suivante, son fils, le turbulent duc de Genevoix assiège la Garnache, puis Beauvoir et elle supplie Catherine de Médicis de lui envoyer des renforts. Elle n'en reçoit qu'une lettre indignée (en date du 19 février 1587) lui demandant de rembourser la taille royale injustement confisquée. Elle s'enfuit alors à Nantes. Il lui fallut attendre que les troupes du roi Henri IV pacifient le Poitou pour retrouver ses places fortes. Frédéric Ritter affirme que Viète retourne alors sur Fontenay, reconquise en 1587 par les troupes du roi de Navarre. Le mathématicien retrouve son ancienne élève, Catherine de Parthenay, au parc-Mouchamps. Quoique l'époque soit bouleversée, il parvient, pendant ces quatre années de retraite à consacrer une grande partie de son temps aux mathématiques, rédigeant le programme qu’il fixe à l’Art Analytique (analyse spécieuse) ou Algèbre nouvelle et avançant sans doute dans la rédaction de ses Zététiques.
Le 12 mai 1588, le roi Henri III est chassé de Paris par la journée des barricades. La cour se réfugie à Chartres, puis, devant l'avancée des troupes des ligueurs, à Blois. Les liasses de déchiffrements conservées dans les cinq cents de Colbert à la Bibliothèque Nationale font mention de François Viète, entre 1588 et 1594, comme déchiffreur. On ne sait pour autant à quelle date précise Viète reprend son office de maître des requêtes. Après avoir fait assassiner le duc Henri de Guise, Henri III enjoint aux officiers royaux de se trouver à Tours avant le 15 avril 1589. Viète semble l'un des premiers à répondre à cet appel (s'il n'est pas déjà présent à Chartres). Logé rue Traversayne dans un petit hôtel loué par les soins de son éditeur, Jamet Mettayer qui a également suivi la cour, il y retrouve Pierre Aleaume d'Orléans, qui devient son secrétaire. On connaît le nom d'un de ses valets, Henri Garaud, qu'il emploie dans ses transactions avec ses frères, Nicolas et René, demeurés à Fontenay et y occupant des positions en vue.
La même année, est imprimé à Londres,chez François Bouvier, une édition remanié du Canon de 1579.
Alors que Viète, demeuré à Tours, déchiffre les dépêches codées des ligueurs et des ennemis du roi, Henri III est assassiné à Saint-Cloud par le moine Jacques Clément. Ce régicide est l'occasion pour Viète de commettre quelques vers latins inédits encore aujourd'hui, désobligeants et grivois contre le duc de Mayenne et sa sœur, la duchesse de Montpensier, soupçonnés d'être les instigateurs de l'assassinat. Parallèlement, il commence la publication de son Isagoge.
Après la mort d’Henri III, Viète entre au conseil privé d’Henri IV (Grisard doute qu'il fit partie des douze membres du conseil restreint, car la liste qu'en donne Lavisse ne comporte pas son nom). Il est cependant très apprécié du roi, qui admire ses talents mathématiques. En septembre 1589, usant d'analyse statistique et de méthodes qu'il se garde de publier, François Viète parvient à casser les codes des lettres secrètes espagnoles. Ceux-ci employaient une méthode par substitution, comportant de multiples symboles pour noter la même lettre et parfois des symboles nuls, une cinquantaine par lettre, tirés au sort parmi six cents caractères. Le 19 décembre 1589, il fait une apparition à Fontenay, pour la mort de son oncle Nicolas Dupont. La preuve que sa mère est encore en vie est apportée en cette occasion et la signature de François Viète apparaît sur un contrat passé par son frère Nicolas. En 1590, Henri IV l'autorise à rendre publique la lettre du commandeur Moreo au roi d'Espagne qu'il a déchiffrée six mois plus tôt. Le contenu des lettres décodées par Viète, révèle que le chef de la Ligue en France, le duc de Mayenne, projette de devenir roi à la place d’Henri IV. Cette publication met le duc de Mayenne en position délicate et trouble beaucoup les Espagnols pendant deux ans. Ceux-ci conservent néanmoins leur méthode, persuadés qu'elle n'est pas réellement déchiffrable. Ritter pense que cette publication a favorisé le règlement des guerres de religion.
Le premier avril de cette même année, François Viète s'entremet auprès du roi Henri pour obtenir aide et soutien en faveur de la Dame de la Garnache contre les exactions d'un prévôt agissant pour le duc de Nevers. Le roi la confirme dans ses titres de duchesse de Loudunois et les troupes royales lui permettent de réintégrer ses châteaux. Dans une même lettre, il informe le roi de l'arrestation de deux porteurs de messages, Chamin et Perrin, qui ont trahi sa confiance et qu'il fait traduire devant le procureur du roi afin qu'il soit procédé contre eux criminellement.
En 1591, paraît chez Jamet Mettayer, l'ouvrage qui va bouleverser l'algèbre : In Artem Analycitem Isagoge. Cet opuscule est en quelque sorte l'acte de fondation de l'algèbre moderne. Dans sa dédicace à Catherine de Parthenay et à François de Rohan, il en fait le programme d'un art nouveau, entièrement restauré. Pour lui, cette façon de poser les problèmes géométriques doit conduire à la solution de tous les problèmes. Cette publication est immédiatement suivie par celle des cinq livres des Zététiques. En décembre de la même année, Françoise de Rohan meurt à Beauvoir-sur-Mer.
Les traductions des messages secrets reçus à Tours se multiplient et Viète doit s'adjoindre Charles du Lys, un chevalier descendant de la famille de Jeanne d'Arc (par son frère) pour préparer la transcription de ces messages. On compte plus d'une dizaine de liasses de messages par mois, dont certains lui parviennent sans avoir été ouverts. Ils portent essentiellement sur les affaires espagnoles et les prétentions que le roi d'Espagne nourrit de marier sa fille avec le duc Des Deux Ponts ou quelque prince de sang proche du trône pour proposer l'infante à la succession des Valois. On y trouve encore d'autres lettres, émanant de la ligue, du duc de Mayenne, du légat du pape ou des ambassadeurs vénitiens.
En 1592, Viète, quoiqu'en conflit avec son propriétaire, l'érudit Nicolas de Nancel, renouvelle son bail, à Tours, et agrandit son logis. Son travail de maître de requêtes se poursuit parallèlement à son emploi de déchiffreur. En 1593, Catherine de Parthenay le retrouve dans cette ville, où elle donne un bal à l'occasion du retour de Pau de la sœur du Roi, le bal de Madame, qui mêle cavaliers français et béarnais. Cette année-là marque également le début de sa polémique avec l'humaniste protestant Joseph Juste Scaliger. Celui-ci, qui s'est fait un nom dans les lettres à la suite de son père et se réclame de la noblesse italienne sous le nom de Scala, se vante d'avoir résolu le problème de la quadrature du cercle, prétention vaine, qui a déjà couvert de ridicule des mathématiciens plus fameux (dont quarante ans auparavant, Oronce Fine). Viète en triomphe à de nombreuses reprises les deux années qui suivent.
À partir de 1594, le mathématicien est chargé exclusivement du décryptage des codes secrets ennemis. Dans deux des lettres de François Viète à Henri IV le mathématicien s'y déclare explicitement interprète et déchiffreur du Roy. À cette époque, il se lie d'amitié avec le conseiller Jean d'Espagnet. Par les confessions de Dominique Baudier à Scaliger, on sait aussi qu'il mène grand train à Tours. Enfin lors d'un dîner copieux, il semble qu'il se soit vanté devant les ambassadeurs vénitiens de décrypter leurs lettres et celles des espagnols depuis plus de deux ans. Le roi d'Espagne l'apprend et accuse devant le pape le roi de France d'user de magie et Viète d'être un nécromant. Cette prétention fait rire toute la cour de France.
Joseph Juste Scaliger, après avoir affirmé qu'il tient la quadrature du cercle, publie entre 1592 et 1595 plusieurs poèmes et livres de cyclométrie destinés à étayer sa thèse. Remplis de considérations littéraires, ces ouvrages révèlent la totale incompétence de l'érudit en matières mathématiques. Il y affirme entre autres approximation très mauvaise, dont il croit détenir la paternité, mais qui était déjà connue de Regiomontanus, qui la savait fausse et en attribuait déjà la provenance aux mathématiciens indiens. Il y affirme aussi détenir les secrets de la duplication du cube et de la trisection de l'angle.
Alors qu'il négocie avec l'université de Leyde la succession de l'érudit Juste Lipse puis qu'il dirige celle-là, Scaliger ne veut pas reconnaître ses erreurs et s'enferre dans une stratégie désespérée. Précédé d'une réputation de savant et d'humaniste, il parvient à dissimuler ses erreurs pendant un temps aux yeux des gens ignorant la géométrie. Cazaubon l'applaudit, Dominique Baudier, ou Baudius, alors secrétaire du banquier Scipion Sardini le soutient, tandis que le mathématicien du roi Henri IV, Monantheuil se mure dans le silence et que Jacques-Auguste de Thou se détache peu à peu du « prince des érudits ». Soutenu par une partie des protestants, qui voient en lui leur champion, Scaliger alla jusqu'à tenter de faire interdire (à Genève) l'impression des livres d'Adrien Romain contre sa cyclométrie.
Le 10 juin 1592, Scaliger écrit à Baudier :
« Au reçu de votre lettre voici ce que j'en écris ; j'entends les rumeurs répandues par Thrason (Viète). Il prétend que je cherche à éluder le débat c'est un mensonge. Donnez-lui hardiment un démenti. Et à l'appui je lui enverrai par écrit de ma main mon défi avec promesse en cas de perte de lui payer une somme de 1 000 à 1 200 écus d'or. »
Une dispute doit avoir lieu entre eux à Tours. Viète exige un débat public, un jury d'experts et un renoncement à faire appel de leur jugement. D'avril à mai 1593, Scaliger écrit à Baudius pour tenter de régler les détails d'une telle rencontre. Dans cette correspondance Scaliger nomme Viète « le moucheron » et défend l'idée que la géométrie se juge d'elle-même. Mais le 21 mai, il est nommé à l'université de Leyde et dès lors, l'humaniste refuse de participer aux disputes publiques prévues à Tours, où il entre avec une troupe d'armes le 23 juin, dit adieu au Roi et quitte la France en juillet sans donner suite à ses promesses. Ritter assure que Viète maintint ces rencontres, qu'il décrit comme des conférences publiques, où Viète annonce l'incommensurabilité de π (non démontrée). Conseillant aux mathématiciens de ne pas perdre leur temps à vouloir démontrer la quadrature, Viète invoque les mânes de Terence et de Plaute :
Il termine avec sa formule donnant π comme un produit infini, où il croit déceler la preuve que le nombre d'Archimède ne peut être construit à la règle et au compas. Partant de considérations géométriques et au moyen de calculs trigonométriques qu'il maîtrise parfaitement, il sait en effet que :
En date du 10 mai 1593, l'avocat Pierre Daniel d'Orléans, érudit en correspondance avec de nombreux savants et anciennement lié à Scaliger, écrit à Viète une lettre qui vante ces conférences et lui en réclame la publication.
« Je pense que vous serez d'accord avec moi qu'il est de l'intérêt de la science de pas laisser plus longtemps une aussi audacieuse espèce de gens tourmenter avec leurs écrits incendiaires les hommes de bien... »
François Viète consigne cette lettre en tête de publication de son Varorium de rebus Mathemiticis, publié à Tours chez Mettayer l'année même et qui reprend - selon Ritter - l'exposé de ses conférences (ce point de vue est néanmoins mis en cause par de plus récentes recherches qui doutent que ces conférences aient eu lieu). Ritter mentionne également une citation à comparaître qui laisse présumer que Viète menaçait Scaliger - qu'il nomme ironiquement monsieur de l'Escale, professeur de grammaire - d'un procès pour diffamation. Le 13 novembre 1593, François et son frère Nicolas hypothèquent par contrat tous leurs biens passés et à venir contre le prêt d'une somme de 2 000 écus. On ignore la destination de cette somme. Ritter la croit pour partie destinée à honorer le contrat avec Scaliger ou les frais de son second mariage. Viète s'est probablement mis en ménage avec sa seconde femme, Julienne Leclerc, dans ces années-là.
En 1594, devenu recteur de l'université de Leyde, Scaliger publie, quant à lui, une cyclométrie nouvelle, où il corrige quelques erreurs relevées par le chevalier Jean Errard de Bar-le-Duc et Ludolph van Ceulen de cette même université de Leyde. En novembre, il en envoie quelques exemplaires à Pierre Pithou, érudit ami de Thou, qui en communique un à Viète.
L'année suivante, François Viète publie un Bouclier contre les petites haches de la nouvelle cyclométrie, tiré des impromptus géométriques de Monsieur Viète, œuvre ironique qui conduit Scaliger à déclarer le 4 mai, à Monantheuil :
« J'ai trouvé la quadrature mais je n'ai pas su si bien la démontrer qu'il n'y ait rien à reprendre. »
Cependant, devant Cazaubon, le « prince des érudits » maintint que le périmètre du cercle égale les six cinquièmes de l'hexagone inscrit. Scaliger publia encore sur le sujet, de Leyde, un opuscule tout aussi infondé mathématiquement : le Mesolabium. Viète lui répondit par un ironique Pseudo Mesolabium édité en 1595. Adriaan van Roomen et Christophe Clau reprirent alors le flambeau en publiant respectivement in Archimédie circuli Dimensionae contra Josephum Scaligorum... et ces mots d'une dureté inouïe sous la plume de Clavius :
« Voici mon dernier mot : je ne puis aimer des hommes comme vous, payant comme on dit tribut à tous les vices ; je ne puis ne pas détester un homme aussi malhonnête aboyant après tous les gens de biens, après tous ceux de mérite, portant à bout les gens tranquilles. Ni les hommes ni Dieu, dont vous amassez sur votre terre la colère, ne peuvent plus supporter un homme comme vous, menteur, faux mathématicien, infâme, scélérat. »
En comparaison de ces attaques, celles de Viète font preuve d'un grand respect pour l'érudit et l'homme de lettres protestant. Scaliger, après cela, ne dit plus un mot de cyclométrie. Il continua néanmoins à distiller son venin contre Viète, rappelant en 1600 à Jacques-Auguste de Thou, qu'il lui avait appris à écrire son nom, et que son anagramme pouvait se lire
Du 10 au 15 octobre 1594, Henri IV et son petit conseil sont réunis à Fontainebleau avec Monsieur de Villeroy et l'ambassadeur des États (de Hollande). Ce dernier, devant qui Henri IV fait étalage de la diversité du génie français, prétend qu'il n'y a pas de mathématicien en France, sous prétexte qu'il n'en figure aucun dans le défi qu’Adrien Romain a lancé aux mathématiciens du monde entier‘.
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Cette célèbre polémique est narrée par Tallemant des Réaux en ces termes (historiette 46) :
Du temps d'Henri IV, un Hollandais, nommé Adrianus Romanus, savant aux mathématiques, mais non pas tant qu'il croyait, fit un livre où il mit une proposition qu'il donnait à résoudre à tous les mathématiciens de l'Europe ; or, en un endroit de son livre il nommait tous les mathématiciens de l'Europe, et n'en donnait pas un à la France. Il arriva peu de temps après qu'un ambassadeur des États vint trouver le Roi à Fontainebleau. Le Roi prit plaisir à lui en montrer toutes les curiosités, et lui disait les gens excellents qu'il y avait en chaque profession dans son royaume. « Mais, Sire, lui dit l'ambassadeur, vous n'avez point de mathématiciens, car Adrianus Romanus n'en nomme pas un de français dans le catalogue qu'il en fait. -- Si fait, si fait, dit le Roi, j'ai un excellent homme : qu'on m'aille quérir M. Viète. » M. Viète avait suivi le conseil, et était à Fontainebleau ; il vient. L'ambassadeur avait envoyé chercher le livre d'Adrianus Romanus. On montre la proposition à M. Viète, qui se met à une des fenêtres de la galerie où ils étaient alors, et avant que le roi en sortît, il écrivit deux solutions avec du crayon. Le soir il en envoya plusieurs à cet ambassadeur, et ajouta qu'il lui en donneroit tant qu'il lui plairait, car c'était une de ces propositions dont les solutions sont infinies.
Ut legi, ut solvi, note François Viète ultérieurement. « Aussitôt lu, aussitôt résolu ».
Le problème d’Adrien Romain que présente l’ambassadeur, et dont Viète donne une solution rapide, plus complète que celle de Ludolph van Ceulen consiste en la résolution d'une équation de degré 45 dans laquelle le géomètre et maître des requêtes reconnaît le partage d'un arc donné en 45 parts égales. Les exemples que donnent Romain à sa résolution l'indiquent clairement. La solution que donne Viète correspond à la corde d'un arc de 8 ° (soit rad). Il lui est alors aisé de déterminer par la suite 22 autres solutions positives, les seules admissibles à l'époque et d'en présenter la liste le lendemain à l'ambassadeur.
Écrit en langage actuel, le problème que soumet Adrien Romain revient à déterminer x tel que
où N est donné. Cette équation est exposée dans : Idée mathématique partie un, imprimée à Louvain en 1593.
Van Roomen ajoute que pour
la solution est
et donne quelques autres issues de division en 45 morceaux d'un arc complémentaire au côté d'un polygone inscrit dans le cercle. Pour plus de détail, on consultera, la notice que Frédéric Ritter à consacré à Viète dans la revue occidentale philosophique, sociale et politique (2d série, volume X), page 29
Quand, en 1595, Viète publie sa réponse à Adrien Romain, sous le titre Ad problema quod omnibus mathematicis totius orbis construendum proposuit Adrianus Romanus, Francisci Vietae responsum. Paris, Mettayer, 1595, in 4, 16 fol, il propose en retour au mathématicien belge une autre énigme : la résolution à la règle et au compas du problème des contacts ou problème d’Apollonius de Perga dont la solution s'est perdue depuis l'antiquité et que Regiomontanus a pu résoudre par l'algèbre, mais sans donner de construction géométrique. C'est le dernier problème d'un traité perdu d'Apollonius, à savoir trouver un cercle tangent à trois cercles donnés. Dans ses mémoires, Adrien Romain affirme l'avoir résolu en aussi peu de temps que Viète a résolu le sien, c'est-à-dire dès réception. Toutefois, sa solution passe par la construction de l'intersection de deux hyperboles, ce qui ne respecte pas les contraintes de construction à la règle et au compas imposées par Euclide. Van Roomen dit de Viète à cette occasion :
« un homme éminent, un véritable mathématicien qui ne se laisse pas chatouiller par cet aiguillon de la gloire qui fait perdre la tête à tant d'autres : c'est un Français, nommé François Viète, conseiller du Roi et maître des requêtes au Parlement. Ne pouvant souffrir, comme il dit lui-même, qu'un Belge ou un Romain lui ravit sa gloire, il répondit surabondamment à mon défi par un traité d'une remarquable érudition. »
François Viète publie sa propre solution en 1600, dans l'Apollonius Gallus.
Il lui écrit :
« Éminent Adrien, tant qu'on touche le cercle par des hyperboles, on ne le touche pas finement. »
À quoi, le professeur de Wurzbourg demande à des juges italiens, dont on ignore le jugement, de trancher. Selon ses propres mots :
« Nous sommes tous des hommes... c'est pourquoi j'ai voulu choisir un juge... et qui ne penchât pour aucune des parties en cause. La lutte étant ouverte entre un Français et un Belge, j'ai récusé tous les juges pris dans ces deux nations, et c'est vous, qui résidez dans cette ville où siège le juge suprême de l'univers (Rome), c'est vous que j'ai voulu prendre pour arbitre : je vous offre donc ma réponse : examinez-la, et s'il vous convient de vous adjoindre des juges comme Christophe Clavius de la Société de Jésus, Jean Antoine Magin, l'illustre marquis de Monte, ou tels autres que vous voudrez, usez-en à votre discrétion : j'attendrai votre sentence et je m'y soumettrai en toute humilité. »
De Thou raconte dans son histoire universelle qu'Adrien Roman abandonne dès réception de cette solution (vers 1597) son université de Wurtzbourg, selle son cheval et se rend à Paris puis à Fontenay-le-Comte, où Viète réside alors. On ne trouve nulle part trace de cette légende dans les lettres d'Adrien Romain. Aux dires de De Thou, le mathématicien belge demeure un mois avec Viète et s'initie aux méthodes de l'algèbre nouvelle. Les deux hommes deviennent amis, Viète raccompagne Romain à la frontière et le défraie de ses dépenses. On peut douter de cette nouvelle historiette, d'autant qu'aux dires du R.P Bosmans, Adrien Romain semble avoir vécu sa défaite comme une humiliation. Elle illustre néanmoins en quelle estime on tenait les exploits du maître des requêtes à la cour de France.
La résolution du problème de Romain (ou Roomen) et la restauration du traité perdu d'Apollonius ont en effet un retentissement presque immédiat en Europe. Elles valent à Viète l'admiration de nombreux mathématiciens à travers les siècles. Pour le problème des contacts, il reconnaît que le nombre de solutions dépend de la position relative des trois cercles et expose les dix situations résultantes mais ne traite pas des cas particuliers (cercles confondus, tangents entre eux, etc.). Descartes compléta en 1643 le théorème des trois cercles d'Apollonius, aboutissant à une équation quadratique de 87 termes dont chacun est un produit de six facteurs (ce qui rend la construction effective humainement impossible par ce biais). Pierre de Fermat étendit aux sphères la formule donnée par Descartes et enfin, Frederick Soddy (1936) en donna de superbes illustrations.
Épuisé par son travail de maître de requêtes et déchiffreur, Viète obtient du roi quelques loisirs en 1597. L'occasion s'en présente lorsqu’éclate la rébellion des notaires : les Suisses mercenaires qui se battent au côté des armées d'Henri IV réclament depuis des années le paiement de leurs gages. Ils menacent de changer d'alliance et pour satisfaire leurs exigences, le roi et son conseil décident d'un nouvel impôt. Celui-ci prend pour cible les notaires, auquel un édit du 12 mai 1597 ordonne de remettre leur charge contre remboursement afin d'en répartir aux enchères les nouveaux privilèges, devenus héréditaires et unifiés. Les notaires refusent ce qu'ils considèrent comme une spoliation et refusent de produire les actes d'achat de leurs charges. Les autres officiers royaux se solidarisent avec eux et les commissaires nommés par Henri IV sous la direction de Monsieur Audouyn de Montherbu se voient dans l'incapacité de faire appliquer l'édit royal. Une nouvelle mouture, décidée en novembre 1597 et qui se limite à taxer les charges pour leur conférer un caractère unique et héréditaire ne connaît pas plus de succès. Il fallut que le roi et son conseil donnent licence aux commissaires de taxer ces charges selon leur convenance pour qu'enfin cet impôt, qui trouva son aboutissement dans la paulette, voit le jour et permette à l'État d'honorer ses dettes envers les Suisses.
François Viète est le commissaire nommé par Henri IV pour faire rentrer dans l'ordre les notaires du Poitou, de la Rochelle et de Lusignan. Il s'en acquitte de 1597 à 1599, profitant de ce congé pour rétablir sa santé déjà chancelante. Accompagné d'un huissier et d'un clerc de notaire parisien, il loge alors à Fontenay-le Comte, où il a la douleur de perdre ses sœurs Jeanne (1595) et Julienne (1597) et de partager leurs biens avec ses deux frères et leurs héritiers. Dans la même période (1596), il cède une maison et le fermage de ses terres de Fontenay à son frère Nicolas en remboursement de ce qu'il doit, contre une rente de 40 écus l'an.
Ces actes nous donnent l'occasion de connaître sa signature. Par ailleurs, il ne semble pas s'être entremis dans le procès qui oppose en 1598 son ancienne élève, Catherine de Parthenay, au chevalier De Goust, qu'elle accuse d'avoir ruiné son château de Blain.
En 1600, le mathématicien ragusien Ghetaldi le rencontre à Paris et Viète lui communique quelques-uns de ses ouvrages, dont son Harmonicon Celeste. Ghetaldi publie chez David Leclerc l’Apollonius Gallus et le De Numerosa Potestum. Une lettre de la main du Ragusien, datée du 15 février, et destinée à son maître, Michel Coignet donne de Viète l'image d'un homme complaisant et généreux :
« Votre seigneurie sait le désir que j'avais de connaître M. Viète, depuis que j'ai vu quelques-uns de ses ouvrages. Cela a été cause que, me trouvant à Paris pour d'autres affaires personnelles, j'ai voulu, avant de partir pour l'Italie, lui faire visite. Sa connaissance m'a prouvé qu'il était non moins affable que savant. Non seulement il m'a montré beaucoup de ses ouvrages encore inédits, mais il me les a confiés, afin que je les visse dans ma maison et à ma commodité... comme je le priais instamment de le publier, il commença à s'excuser, disant qu'il ne le pouvait faire, et n'avait pas la commodité de pouvoir le revoir et le polir. Et véritablement il est plus empêché la grande partie du temps dans les affaires de S. M. très-chrétienne, étant du conseil d'État et maître des Requêtes. »
La lettre qui ouvre l’Apolonius Gallus et tutoie Viète semble également dans cet esprit.
« J'ai beaucoup de raisons de t'admirer, illustre ami, car tu vis la plupart du temps dans le monde des lois et des affaires publiques et cependant tu es habile et doué pour tout ce qui touche aux sciences, et surtout par cette connaissance du jugement qui d'autre part t'as permis de t'élever dans la connaissance et l'étude des mathématiques... Je considère comme un honneur d'obtenir de toi qui es perpétuellement en relation avec les affaires politiques et les affaires publiques de par les ordres du roi, que communiques avec ceux qui désirent s'instruire. »
La même année, ses secrétaires Pierre Aleaume et Charles Du Lys acceptent la mission de traduire en français les œuvres de leur maître. Henri IV confère à Jamet Mettayer un privilège exceptionnel pour la publication de cette œuvre, que l'imprimeur dit avoir payée, mais qui ne verra, hélas, jamais le jour.
En 1582, le pape Grégoire XIII avait demandé par la bulle Inter Gravissimas aux rois catholiques de passer du calendrier julien au calendrier actuel ou grégorien. Cette réforme avait été préparée avec soin, mais il y manquait une explication. Les calculs du médecin calabrais Aloysius Lillius ou Giglio, avaient été repris après son décès par le conseiller scientifique des papes, Christopher Clavius. Dès le début de ces travaux, Scaliger et Michael Maestlin, deux protestants, avaient attaqué le calendrier nouveau style mais leurs critiques avaient été aisément rejetées par le mathématicien romain.
À partir de 1593 (Huitième Livre des réponses sur diverses questions mathématiques) et jusqu'à sa mort, Viète prend la plume à son tour et critique sévèrement l'interprétation de Clavius. En 1600, il forme un calendrier parallèle à celui de l'église romaine, qu’il fait imprimer et qu'il communique au neveu du Pape Clément VIII, le cardinal Aldobrandini, lors de son passage à Lyon, comme négociateur entre Henri IV et le duc de Savoie, lui adjoignant le texte de la bulle Inter Gravissimas, et retrouvant à cette occasion les caractères mêmes de l'impression qu'en avait fait Jacques Kerver en 1583. Parallèlement, il saisit la congrégation chargée de réformer le calendrier. Clavius, qui préside cette congrégation, écarte sans y prêter attention ses critiques et ce nouveau calendrier. Mais Théodose de Perpino, un des élèves du jésuite de Bamberg, s'insurge au nom de la compagnie de Jésus que Viète ait fait circuler un calendrier perpétuel imitant le calendrier officiel.
Se voyant méprisé par son adversaire, Viète accuse alors Clavius, dans une série de pamphlets dont l’Adversus C. Clavium expostulatio (fin 1602), d'introduire des corrections et des jours intercalaires de façon arbitraire, et de s’être mépris sur la signification des travaux de son devancier (Giglio), notamment dans le calcul du cycle lunaire. Viète est particulièrement étonné que, certaines années, la date de Pâques du nouveau calendrier ne respecte pas les consignes données par les pères de l'église lors du concile de Nicée.
Dans cet ouvrage, le dernier qu'il publie, il se montre d'une rare violence contre son adversaire. Ainsi, il écrit dans son réquisitoire de 1602 :
« Personne ne peut être juge ni juger sa propre cause, ce n'est pas ainsi qu'on procède en justice... J'ai démontré que vous êtes un faux mathématicien et un faux théologien... toutes vos fanfaronnades sont sans aucune valeur... Vous vous moquez du Souverain Pontife, allant comme un âne devant la paille. »
Viète eut sans doute tort de s'attaquer à ce privilège des papes. A-t-il cru qu'il pouvait devenir le « roi du temps » comme l'affirme Dhombre ? Son calendrier, étudié par l'érudit autrichien Ferdinand Kaltenbrunner, est une composition mathématique qui ne semble avoir en réalité d'autres but que de démasquer Clavius. Il est vrai que Viète tenait Clavius en piètre estime ainsi que l'atteste de Thou :
« Il disait, que Clavius était très-propre à expliquer les principes des mathématiques, & à faire entendre avec beaucoup de clarté, ce que les auteurs avaient inventé, et écrit en différents traités avec beaucoup d'obscurité : qu'à l'égard de sa science il écrivait de manière à faire croire qu'il ne venait que d'apprendre ce qu'il mettait sur le papier: Qu'on n'y trouvait rien de lui : qu'il se contentoit de copier les auteurs, qui avaient écrit avant lui, et d'ordinaire sans les citer, en sorte que ses ouvrages n'avaient d'autre utilité que de rassembler dans un meilleur ordre ce qui se trouvait dispersé & confondu dans d'autres écrits : que cependant il fallait avouer qu'il rendait si clair et si intelligible ce qu'il y avait d'obscur dans ces ouvrages, qu'on pouvoir dire qu'il se les rendait propres. »
Focalisé sur l'idée toute pythagoricienne que 19 ans solaires correspondent à 20 années lunaires (peu s'en faut), et persuadé que le très haut l'avait voulu ainsi, Viète produit alors un calendrier pseudo-Grégorien d'une régularité (sur 3400 ans) que n'a pas celui du mathématicien des papes. Les Coperniciens, qu'il cite dans ses récriminations contre le jésuite de Bamberg savent pourtant dès cette époque qu'une telle période voisine plutôt les 3424 ans... En mars 1603, Clavius lui répond enfin dans son Explicatio. Il le fait avec beaucoup de respect, rendant hommage à l'intelligence de Viète. Il le prie néanmoins de ne plus l'importuner. Dans son bref paru le même jour, et justifiant les calculs de la commission chargée de peaufiner la réforme, Clément VIII se montre bien plus sévère et dénonce la prétention d'un certain François Viète de produire un calendrier perpétuel plus parfait que celui de l'église apostolique et romaine. Ignorent-ils que Viète est mort deux semaines plus tôt, à Paris ?
Dans les dernières années de sa vie, Viète fut attaqué dans un pamphlet par son ancien amanuensis Tarporley, devenu l'élève d'Harriot sous le nom de plume de Poltrey ou Poulterey. Toute trace de ce pamphlet semble avoir disparu depuis la mention qu'en a fait Anthony H. Wood. Selon certains témoignages, l'apparition de Tarporley dans la vie de François Viète daterait seulement de ces dernières années. Le recteur de Syon se serait-il déguisé sous le nom de Poltrey pour lui servir de scribe ? Cela paraît peu vraisemblable.
Malade, et épuisé par le travail, Viète s'est dégagé du service du roi et le 14 décembre 1602, une lettre d'Henri IV au chancelier de Pomponne de Bellièvre ordonne qu'on lui verse le solde de son compte. La résiliation de ses charges lui permet de toucher 20 000 écus (ou mille écus d'or) qu’on trouve à son chevet, après sa mort.
Hugues de Salins, médecin, né à Beaune en 1632 et mort en 1710, affirme à ce propos :
« Il ne mourut pas subitement mais d'une de ces affections impitoyables résultant de ceux-ci des travaux qui le minait depuis plusieurs années... Quelques jours avant sa mort, il sentit sa fin prochaine ; il avait écrit – d'une main ferme et assurée – à Monsieur de Rosny (alias Sully) sur le déchiffrement des écritures secrètes... »
Ce dernier mémoire sur les questions de cryptographie, rend caduques toutes les méthodes de chiffrement de l'époque.
Hugues de Salins, ajoute :
« Estant fort malade, le président Dolet le pria de se confesser à un prestre, et luy remonstra que s'il mouroit sans cela, sa fille ne trouveroit pas de party, comme fille d'un athée. Ce qui le fit resoudre à se confesser. Pour le medecin, il dit qu'il n'en vouloit point, si ce n'estoit Duret, à la charge qu'en ses visites, il l'entretiendroit de mathematiques, esquelles on disait qu'il estoit sçavant. »
Cette version des derniers instants de François Viète a parfois été jugée suspecte. Louis Duret, le médecin des rois Charles IX et Henri III, étant mort avant 1595 ; son fils présumé, l'avocat et herboriste Claude Duret, n'ayant aucune qualité de médecin (quoique s'étant beaucoup occupé d'astrologie). Il peut aussi s'agir de son autre fils Jean, médecin du collège royal. Toutefois, il y a probablement confusion avec Noël Duret, lui-même cosmographe du Roi au XVIIe siècle, qui publia une partie des œuvres posthumes de Viète : Jean Duret ne pouvait pénétrer à la cour d'Henri IV, ayant participé aux massacres de la Saint-Barthélemy. Les manuscrits d'Hugues de Salins, qui se trouvaient dans la bibliothèque de M. Feuillet de Conches ayant disparu depuis leur vente en mai 1887, on demeure prudent sur ces propos.
Viète meurt le 23 février 1603, laissant au monde deux filles, Suzanne, à peine nubile, née de Julienne Le Clerc (ou Leclere) avec laquelle on ne sait si Viète était marié (Fillon affirme que cette dernière est fille d'un conseiller du parlement de Paris) ; et Jeanne, son aînée, née de Barbe Cottereau et déjà mariée. La première meurt en janvier 1618, à Paris. La seconde a épousé le conseiller du Parlement de Bretagne Jean Gabriau et meurt, quant à elle, en 1628.
Le mathématicien écossais Alexander Anderson, que Pierre et Jacques Aleaume chargent d'éditer le reliquat des manuscrits de Viète, affirme que la mort de son maître fut une grande perte et il écrit à ce propos :
« prœcipiti et immature autoris fato (...) nobis certe. iniquissimo. »
Les portraits qu'on a de lui sont des créations du XVIIe siècle, dues à Daniel Rabel, peut-être d'après des dessins de son père Jean Rabel, peintre officiel à la cour de France et décédé quelques jours après le mathématicien. Ils ont été repris et gravés au XIXe siècle (vers 1860) par Charles Meryon. Un buste du mathématicien fut réalisé au XIXe siècle (vers 1860) par Hippolyte Maindron ; une statue du sculpteur Camille Crenier fut proposé pour Fontenay-le-Comte par l'architecte Jean Libaudière mais leur fut refusée en 1914. François Viète, anobli par sa fonction de maître de requêtes, possède deux blasons, dont l'un accompagne l'édition de ses œuvres mathématiques : d'argent au chevron d'azur accosté de six étoiles d'or accompagné en chef d'un soleil d'or et en pointe d'un lys de jardin arrosé par une main dextre issant d'une nuée au côté sénestre du chevron en souvenir des services rendus au Roi, particulièrement par le déchiffrement des lettres espagnoles.
Dans de nombreux ouvrages, le sieur de la Bigotière est cité comme maître des requêtes de la reine Marguerite ; ce titre semble l'effet d'une confusion qu'on retrouve chez Jean-Baptiste Delambre, et avant lui, chez Jean Baptiste Ladvocat (1764), Jean-Joseph Expilly et Pierre de L'Estoile (1761)
Les préoccupations de Viète en matière religieuse sont rares dans son œuvre ; on retrouve des invocations au Très Haut et à l'Être Suprême dans sa dédicace à l'Isagoge et dans ses attaques contre Scaliger ; elles se manifestent aussi dans ses stances à la mémoire d'Henri III et surtout dans les dernières années de sa vie lorsqu'il exhorte Clavius à respecter les principes des pères de l'Église. Longtemps considéré comme protestant, parfois comme un catholique zélé, et enfin comme un indifférent, le mathématicien résiste à la nomenclature et parvint si bien à brouiller les pistes qu'on ignore encore aujourd'hui ses convictions en matière religieuse.
Viète a été accusé de protestantisme par les ligueurs ; mais il n'existe pas de témoignage certain qu'il fut huguenot. Son père s'est converti, et sans doute une bonne part de sa famille proche, mais parmi ses neveux, et ses cousins, on compte autant de protestants que de catholiques. Dans la dédicace de son Isagoge (1591), il rend grâce à Catherine de Parthenay et à Françoise de Rohan de l'avoir sauvé de certains périls, qu'il ne précise pas, et rend hommage à la foi de sa protectrice avec fougue, ce qui a accrédité la thèse de sa conversion. Était-il indifférent en matière religieuse ? Certaines invocations au Très Haut (contre Scaliger, en face de Clavius) laissent penser que non. Il semble toutefois qu'il n'ait pas adopté la foi calviniste des Parthenay, ni celle de ses autres protecteurs, les Rohan. Ou alors, fort brièvement. Sa nomination au parlement de Rennes l'atteste : lors de sa réception en tant que membre de la cour bretonne, le 6 avril 1574, il lit en public une profession de foi catholique (ce à quoi n'aurait pas consenti un huguenot, sinon peut-être - comme Henri IV - sous la menace).
Néanmoins, Viète a défendu toute sa vie le parti des protestants et subi, en retour, les foudres de la ligue catholique. Cela n'est nullement contradictoire avec un certain attachement à Rome. De nombreux catholiques, modérés ou gallicans, étaient dans son cas et les Ligueurs les détestaient encore davantage que les réformés. Il semble que pour Viète, comme pour Jacques-Auguste De Thou, Pierre Pithou ou le cardinal de Perron, la stabilité de l'État dut être préservée avant tout et qu'au regard de cette exigence, la religion du Roi n'eut pas d'importance. On le classe donc d'ordinaire parmi les «politiques», mouvement qui trouve ses racines dans la prudence de Michel de l'Hospital.
Pour aller plus loin, on a vu qu'à l'article de sa mort, il ne souhaitait pas se confesser et que le président Dolet l'en aurait convaincu, arguant que sa plus jeune fille ne trouverait aucun parti s'il refusait les sacrements de l'Église. La question de savoir si Viète était athée fut un temps débattue. Athée ? Le mot n'avait guère de sens à l'époque et l'accusation d'athéisme était lourde de conséquence ; elle envoyait au bûcher ou à la potence. Seuls quelques esprits forts de l'entourage du neuvième comte de Northumberland et de Walter Raleigh, dont le mathématicien Thomas Harriot faisait partie, furent notoirement désignés comme athées ; et, même dans leur cas, cela ne semble guère justifié.